Créer un atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840)

Éditorialisation d’une base de données en histoire de l’art

Par Lena Krause

Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques, Faculté des arts et des sciences Université de Montréal

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de Maîtrise ès arts (M.A.) en histoire de l’art

CC-BY Lena Krause 2021

An meine Oma, die mir beigebracht hat eine moderne Frau zu sein.

Table des matières

Avant-propos

Remerciements

Liste des figures

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Tableaux

Liste des annexes numériques


Introduction

Des données en histoire de l’art ?

Une étude spatiale et quantitative de l’architecture publique en France de 1795 à 1840

La cartographie critique comme cadre théorique

Méthodologie pour la création d’un atlas numérique

Plan


Chapitre 1. Administration et architecture publique en France au XIXe siècle

1.1 L’administration de la France au lendemain de la Révolution

1.1.1 La division et l’unification du territoire

1.1.2 La centralisation administrative

1.1.3 La rationalisation de l’action publique

1.2 Formes de savoir et de pouvoir à l’œuvre

1.2.1 Miroir du territoire ou de la nation

1.2.2 La statistique

1.2.3 La pensée cartographique

1.3 Le Conseil des bâtiments civils

1.3.1 L’administration de l’architecture publique

1.3.2 Archives du projet architectural de la Nation

1.3.3 Approches quantitatives et spatiales

Conclusion


Chapitre 2 Les données CONBAVIL

2.1 Créer une base de données

2.1.1 La naissance d’un projet

Documenter des archives

Une approche quantitative et informatique

2.1.2 La conception de CONBAVIL

Le choix du logiciel

Création de la grille de dépouillement

L’entrée des données

2.1.3 Contraintes conceptuelles et logicielles

Interprétation : des archives aux données

La « reconstitution conceptuelle »

Les limites du logiciel

Les premiers résultats

2.2 L’accès aux données

Comment interroge-t-on une base de données ?

2.2.1 Les formes d’accès au contenu d’une base de données

Les requêtes

Vues

Web

2.2.2 Requêtes SQL

Les églises transformées en école dans le département de la Nièvre entre 1802 et 1810 (q2)

Le nombre et la nature des chantiers dirigés par l’architecte Boissonnade en Aveyron dans les années 1830 (q4)

2.2.3 Interface de l’INHA

Présentation du formulaire

Les dépôts de mendicité créés par Napoléon (q1)

Les rapports confiés à Chalgrin dès son retour au pouvoir sous le Directoire (q3)

Le nombre et la nature des chantiers dirigés par l’architecte Boissonnade en Aveyron dans les années 1830 (q4)

Observations critiques sur l’outil

2.3 Nouvelle interface, nouvelles approches

2.3.1 Enjeux épistémologiques

Des données aux humanités numériques

Nature des données CONBAVIL

Utilisation de sources numériques en histoire de l’art

2.3.2 Travail des données

Exportation et transformation de CONBAVIL

Enrichir les données par la géolocalisation

2.3.3 Vues distantes du contenu

Datascape 1 : occurrences et valeurs distinctes de chaque propriété

Datascape 2 : approche sensible de près d’un million d’affirmations

Conclusion


Chapitre 3 La création d’un atlas numérique

3.1 Espaces et interprétation des données

3.1.1 Approches quantitatives et cartographiques

Dimension quantitative et statistique

Pensée cartographique

3.1.2 De la cartographie à la visualisation de données

3.1.3 Les outils de visualisation et de cartographie numérique

Les logiciels

Les SIG

Les librairies de code

3.2 Pratiques de visualisation et de cartographie

3.2.1 Premières expérimentations et questions d’échelle

30’000+ communes françaises

Erreurs cartographiques

Variables visuelles

Carte thermique

3.2.2 Prototypes

Carte

Chronologie

Typologie

3.2.3 Observations critiques

3.3 Éditorialisation d’un atlas numérique

3.3.1 Mécanique interactive entre visualisations

Types d’affaires : construire ou réparer ?

Les avis du conseil : Paris vs provinces

3.3.2 Composition théorique

Interfaces

La forme-atlas

Éditorialisation

3.3.3 Assemblage pratique

L’atlas des données

Imaginaires d’un atlas numérique

Concrétisation effective et limites du projet

Conclusion

Conclusion

Bibliographie

Avant-propos

Ce mémoire est publié en deux éditions.

Ce format numérique combine texte, images et contenus numériques de façon continue.

Le format papier est accompagné d’un volume d’illustration. Toutefois, les contenus numériques, particulièrement les visualisations interactives publiées dans l’atlas numérique font partie intégrante du travail présenté dans ce mémoire.

Si produire la double édition a été un travail quelque peu fastidieux, nous pensons qu’il s’agissait de la seule façon de rendre compte du travail effectué. Nous espérons que nos lecteur·rice·s y trouveront leur compte.

Remerciements

Je voudrais tout d’abord remercier mon directeur de recherche, Prof. Emmanuel Château-Dutier, sans qui ce mémoire n’aurait jamais pu être réalisé. Merci pour ton soutien, tes encouragements et ton entrain sans fin. Je remercie également l’équipe du médialab pour l’accueil chaleureux, les apprentissages conséquents, l’expédition à FOSDEM et les nombreuses heures de déboguages. Paul, Guillaume, Arnaud, Benjamin, Barbara et tous les autres, ça a été un plaisir de travailler avec vous.

À la mémoire de Prof. Stéfan Sinclair, qui m’a secouru pour écrire les premières lignes de code avec d3.js, et dont la générosité dans l’enseignement comme la créativité dans ses projets de recherche m’ont beaucoup inspirée.

Ce mémoire a bénéficié des enseignements théoriques et pratiques des écoles d’été :

Il a également progressé et pris sa forme grâce à la participation aux journées d’études et aux colloques suivants :

Un grand merci à Prof. Suzanne Paquet et Prof. Christina Contandriopoulous, qui m’ont soutenue dans le processus de rédaction de mon premier article «Constellations de données historiques. Un atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840)» , dans le dossier «Cartographies actuelles. Enjeux esthétiques, épistémologiques et méthodologiques» qu’elles ont dirigé dans la revue Captures, vol. 5, n°1 (mai).

J’aimerais également remercier l’équipe du SESH, dont le soutien administratif, technique et psychologique m’a été précieux pour me rétablir et pour reprendre la rédaction de ce mémoire.

Un grand merci à tous mes proches, qui ont contribué à ce mémoire par leurs encouragements, leurs relectures et leur soutien précieux au cours de cette folle aventure.

Ce travail n’aurait pas pu être réalisé sans l’aimable autorisation du Centre André-Chastel à travailler avec les données de CONBAVIL.

Liste des figures

Chapitre 1

  1. P. Tardieu (graveur), La France actuelle et ses anciens défenseurs. Carte de France physique et administrative, dressée par P. Tardieu, Paris: Binet éditeur, 1838.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53083503z
  2. Roch-Joseph Julien (cartographe), César-François Cassini de Thury (cartographe du modèle), H. Boyet (graveur), Carte de France divisée en ses XXXI gouvernements militaires et en ses provinces, dressée sur les meilleures cartes qui ont parues jusqu’à présent et sur la carte des triangles en XVIII petites feuilles, levée géométriquement par ordre du Roi, et mise au jour par Mr. Cassini de Thury, ... Dédiée et présentée à Mons. le comte de St. Florentin..., 1754.1 carte en 6 feuilles assemblées, contours colorés, 150 x 135 cm.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53052984z
  3. Anonyme, Carte de France divisée en ses 83 Départements et Districts suivant les Décrets de l’Assemblée nationale, Paris: Mondhare et Jean, 1791.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53083405g
  4. Anonyme, Carte gastronomique de la France, Weimar : Institut géographique, tirée du Guide des voyageurs en France..., H.A.O. Reichard, 6e éd., Weimar : Institut géographique, 1810.
    1 carte, 28 x 21,5 cm, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8440342j
  5. Charles Monin, Nouvelle carte gastronomique, routière et administrative de la France, Paris : Chez Troude, 1830.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53084730z
  6. Anonyme, Carte des Productions Gastronomiques de la France avec ses chemins de fer, Paris : Lemière (éditeur scientifique), 1852.
    1 feuille en couleur, 600 x 485, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8493163b
  7. Chandelet, Tableau général de la France embrassant les parties physique, statistique..., 1838.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53083011k
  8. Charles Dupin (1784-1873), J. Collon (dessinateur), Carte figurative de l’instruction populaire de la France, détaché Des forces productives et commerciales de la France par le baron Charles Dupin, pl. I. . - Bf II, Bruxelles: s.n., 1826.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530830640
  9. Adriano Balbi (1782-1848) et André-Michel Guerry (1802-1866), Statistique comparée de l’état de l’instruction et du nombre des crimes dans les divers Arrondissements des Académies et des Cours Royales de France, Jules Renouard (1798-1854) éditeur, 1827.
    La feuille se compose de trois cartes : Crimes contre les personnes, Crimes contre les propriétés, Instruction, à la même échelle de 1 : 5.250.000 environ. En souscription, dédicace de Balbi au Chevalier de Marre.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53093802z
  10. Armand-Joseph Frère de Montizon (1790-1859), Carte Philosophique figurant la Population de la France, 1830.
    1 feuille, 490 x 335. Les Points signalent la population, 1 pour 10. 000 têtes. Les chiffres indiquent les départements et leurs Chefs-lieux. Les Lettres désignent les principaux fleuves. A droite et à gauche, index des départements avec le chiffre de leur population. En haut et en bas : notes, citations de Montesquieu, de Buffon.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8492261j
  11. Alexandre-Jean-Baptiste-Guy de Gisors (1762-1835), Détails faits par le soussigné qui sont en calque à son rapport concernant un projet d’établissement thermal au Mont Dore (Puy-de-Dôme), séance du 18 avril 1814. Dessin sur calque à l’encre noire et rouge, lavis gris et rose. Paris, Bibliothèque de l’Institut, Ms. 1044.
  12. (Signé : Chemot, ingénieur), Royaume de France, suivant le traité signé le 31 mai 1814, 1814.
    1 feuille en couleur, 42 x 28cm,https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8445701j
  13. Cartons de la sous-série, F21. Paris, Archives Nationales de France.
  14. Registres des procès-verbaux du Conseil des bâtiments civils. Paris, Archives nationales de France.
  15. Gilbert Érouard, Tableaux de distribution des projets par département de 1800 à 1851: Écoles et édifices judiciaires, analyse quantitative de Georges Teyssot et Gilbert Érouart, dans Georges Teyssot, « La Ville-équipement, la production architecturale des bâtiments civils 1795-1848 », Architecture, Mouvement, Continuité, n° 45, 1978, p. 89.
  16. Répartition des projets examinés par le Conseil des bâtiments civils (an IV -- 1851), 1988, Bernard Lepetit, dans Bernard Lepetit, Les villes dans la France moderne : 1740-1840, Paris, Albin Michel, 1988, p. 259.

Chapitre 2

  1. Registre des procès-verbaux du Conseil des bâtiments civil, Séance du 9 juin 1989, dossier n°1, p. 1.Paris, Archives Nationales de France, F21 2534.
  2. Lena Krause, Transcription des champs de la base de données CONBAVIL dans Texto, 2020, à partir de Szambien et Boudon, Les rapports présentés au Conseil des Bâtiments Civils, 1795-1840. Constitution d’une base de données. [Rapport de recherche] 676/90, Ministère de l’équipement, du logement, des transports et de la mer / Bureau de la recherche architecturale (BRA); Université de Paris IV / Centre de recherche sur l’histoire de l’architecture moderne, 1990, p.26.
    En ligne https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01909887
  3. Bull Micral 60 (released in February 1986).
    http://jean.thiery.pagesperso-orange.fr/en/2010/collect/BM-60.html, © 2010 ModLibre.info (cc-by-sa license)
  4. Lena Krause, Fiche CONBAVIL02308 - format JSON, capture d’écran, 2020
  5. Lena Krause, Fiche CONBAVIL02308 - interface INHA, capture d’écran de la délibération sur le site de l’INHA, 2020.
    https://www.inha.fr/conbavil/notice.php?pv=02308
  6. Lena Krause, Extrait de la fiche 00232, Capture d’écran, 2021.
    https://www.inha.fr/conbavil/notice.php?pv=02232
  7. Emmanuel Château-Dutier, Tables et relations CONBAVIL dans la base Filemaker, Capture d’écran, 2020.
  8. Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - dénomination, Capture d’écran sur l’interface d’interrogation en ligne de CONBAVIL, 2020.
    https://www.inha.fr/fr/ressources/outils-documentaires/conseil-des-batiments-civils-conbavil/interroger-conbavil.html
  9. Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - Contenu du rapport, Capture d’écran sur l’interface d’interrogation en ligne de CONBAVIL, 2020.
    https://www.inha.fr/fr/ressources/outils-documentaires/conseil-des-batiments-civils-conbavil/interroger-conbavil.html
  10. Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - 3 enregistrements correspondants à la recherche, Capture d’écran sur l’interface d’interrogation en ligne de CONBAVIL, 2020.
    https://www.inha.fr/fr/ressources/outils-documentaires/conseil-des-batiments-civils-conbavil/interroger-conbavil.html
  11. Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - Rapporteur, Capture d’écran sur l’interface d’interrogation en ligne de CONBAVIL, 2020.
    https://www.inha.fr/fr/ressources/outils-documentaires/conseil-des-batiments-civils-conbavil/interroger-conbavil.html
  12. Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - 102 enregistrements correspondants à la recherche, Capture d’écran sur l’interface d’interrogation en ligne de CONBAVIL, 2020.
    https://www.inha.fr/fr/ressources/outils-documentaires/conseil-des-batiments-civils-conbavil/interroger-conbavil.html
  13. Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - 29 enregistrements correspondants à la recherche, Capture d’écran sur l’interface d’interrogation en ligne de CONBAVIL, 2020.
    https://www.inha.fr/fr/ressources/outils-documentaires/conseil-des-batiments-civils-conbavil/interroger-conbavil.html
  14. Lena Krause, Interface E.A.T Datascape, capture d’écran de Christophe Leclerq, Paul Girard, Patrick Browne et Daniele Guido, EAT Datascape, MédiaLab SciencesPo, Paris, 2013.
    http://eat_datascape.medialab.sciences-po.fr/
  15. Lena Krause, Datascape #1, recherche associée à l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2020.
    https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/datascape/
  16. Lena Krause, Datascape #2, recherche associée à l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), capture d’écran, 2020.

Chapitre 3

  1. Mark Braude, Interface de Palladio, capture d’écran publiée dans Braude, Mark Braude, « Palladio: Humanities thinking about data visualization », entrée de blogue, 2014.
    https://hestia.open.ac.uk/palladio-humanities-thinking-about-data-visualization/ CC-BY 2.0
  2. Lena Krause, Carte figurant la densité par commune de la population française en 1831, avec les données de Thomas Thevenin, capture d’écran dans QGIS, 2019.
  3. Lena Krause, Code Leaflet.js et carte thermique des projets CONBAVIL, capture d’écran de l’environnement de code et de la carte produite, 2021.
    Disponible en ligne: https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/heatMapCommunes/index.html
  4. Mike Bostock, Galerie d’exemples de visualisations avec D3.js, iframe d’une cellule d’ObservableHQ, 2020.
    https://observablehq.com/@d3/gallery
  5. Lena Krause, Carte des départements français et densité des projets CONBAVIL, carte interactive réalisée sur ObservableHQ pendant le cours LLCU-498&698 « Digital Humanities Project » donné par Prof. Stéfan Sinclair, Version exportée pour sa publication dans notre atlas, iframe, 2018.
    https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/carte
  6. Lena Krause, Carte des noms des communes françaises, capture d’écran de la visualisation réalisée sur ObservableHQ, 2021.
  7. Lena Krause, Carte des communes françaises, capture d’écran de la carte réalisée avec QGIS, 2021.
  8. Lena Krause, Erreur cartographique #1, capture d’écran, 2019.
  9. Lena Krause, Erreur cartographique #2, capture d’écran, 2019.
  10. Lena Krause, Erreur cartographique #3, capture d’écran, 2019.
  11. Lena Krause, Erreur cartographique #4, capture d’écran, 2019.
  12. Lena Krause, Erreur cartographique #5, capture d’écran, 2019.
  13. Lena Krause, Carte varicelle CONBAVIL, capture d’écran, 2019.
  14. Lena Krause, Carte nez rouge CONBAVIL, capture d’écran, 2019.
  15. Lena Krause, Carte spéléologique de CONBAVIL, iframe, 2019.
  16. Lena Krause, Carte thermique - empâtement CONBAVIL, capture d’écran, 2019.
  17. Lena Krause, Carte des départements français et densité des projets Conbavil, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2019.
    https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/carteCommunes/
  18. Lena Krause, Chronologie des séances du Conseil des bâtiments civils, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2019.
    https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/chronologie/
  19. Lena Krause, Chronologie des séances du Conseil des bâtiments civils (détail), capture d’écran du prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), 2019.
  20. Lena Krause, Séances du Conseil des bâtiments civils, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2019.
    https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/barChart/
  21. Lena Krause, Répartition des projets CONBAVIL par type architectural, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2019.
    https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/sunburst/
  22. Lena Krause, Pourcentage des dossiers de construction et de réparation, exercice produit de le cadre des recherches autour de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2020.
    https://www.public.archi/atlas-2021/viz/BoudonSzambien/index.html#demoq5
  23. Lena Krause, Carte liée aux avis du Conseil, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2019.
    https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/carteAvis
  24. Pierre Grégoire Chanalaire (1758-1817) et P.C. Herbin, Atlas de la République Française composé de 102 feuilles indiquant les départements, les arrondissements communaux, les justices de paix actuelles, les anciens cantons... 2 parties en 1 vol. in-4 obl. (XIII-114 p.) dont 1 atlas (cartes) ; in-4 oblong, Paris : Impr. de la République, 1802.
    https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb36279296k
  25. J.-B. Poirson et Tardieu l’aîné (graveur), Tableau général par ordre alphabétique de départemens, des naissances, mariages et décès qui on eu lieu en France pendant l’an IX dans Pierre-Étienne Herbin de Halle (1773-18..), Jean-Baptiste Poirson (1760-1831), Statistique générale et particulière de la France et de ses colonies..., 7 vol. in-8 ° et un atlas in-4 °, Paris : F. Buisson, 1803, p.53.
    https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb36280157f
  26. Jacques Bertillon (1851-1922), Vente en gros de la volaille et du gibier aux halles centrales, dans Jacques Bertillon (1851-1922), Atlas statistique graphique de la ville de Paris..., 2 volumes, in-fol. (vol. 1) et in-4 (vol. 2), Paris: Service de la statistique municipale, 1889, folio 34.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52510505s/f34.item
  27. Jacques Bertillon (1851-1922), Paris 1888. Octroi de Paris_ Produits par bureaux et par nature de recettes, dans Jacques Bertillon (1851-1922), Atlas statistique graphique de la ville de Paris..., 2 volumes, in-fol. (vol. 1) et in-4 (vol. 2), Paris: Service de la statistique municipale, 1889, folio 37.
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52510505s/f37.item
  28. Lena Krause, Modélisation de l’atlas, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), 2019.
  29. Stéfan Sinclair et Geoffrey Rockwell, Voyant tool, iframe de l’interface avec le corpus Austen, 2021.
    https://voyant-tools.org/?corpus=austen

Tableaux

  1. Lena Krause, Comparaisons de quatre décennies d’ouvrage du Conseil des bâtiments civils, catégorisé par construction, réparation et autres interventions, 2021.
  2. Lena Krause, Comparaison Paris-Province: les avis du Conseil, 2021.

Liste des annexes numériques

https://www.public.archi/atlas-2021/viz/


Données issues de la base de données CONBAVIL (CONBAVIL. Dépouillement analytique des procès-verbaux des séances du Conseil des Bâtiments civils (1795-1840) (2009) [Base de données en ligne], réalisée sous la direction de Françoise Boudon et Werner Szambien, Centre André Chastel (CRNS, UMR 8150), Paris : INHA.
https://www.inha.fr/fr/ressources/outils-documentaires/conseil-des-batiments-civils-conbavil.html
git comTous droits réservés, Centre André Chastel.

Introduction

Des données en histoire de l’art ?

The finest historians will not be those who succumb to the dehumanizing methods of social sciences, whatever their uses and values, which I hasten to acknowledge. Nor will the historian worship at the shrine of that Bitch-goddess, QUANTIFICATION. History offers radically different values and methods. (Carl Bridenbaugh 1963 : 326)

L’approche quantitative ainsi que l’usage de données dans les disciplines historiques ont souvent été perçues comme entrant en conflit avec les valeurs fondamentales de ces disciplines. Pourtant, de l’école des Annales aux projets innovants en humanités numériques, la « déesse » de la quantification fait preuve de son riche apport à la recherche, particulièrement lorsqu’elle est combinée de façon adroite avec les postulats qui caractérisent la discipline concernée. Ce sera justement l’enjeu de ce mémoire, consacré à l’étude de bases de données et à leur emploi en histoire de l’art.

Pour commencer, nous devons définir ce qu’est une base de données et ce que sont des données. Le nom féminin « donnée » est défini, dans le dictionnaire, comme « ce qui est connu et admis, et qui sert de base, à un raisonnement, à un examen ou à une recherche. Toute question de politique intérieure doit être vidée d’après les données de la statistique départementale (Proudhon, Propriété,1840, p. 340) [...] » (DONNÉE : Définition de DONNÉE). L’exemple cité dans cette définition aiguille le·a lecteur·rice vers la dimension gouvernementale sous-jacente à ce terme qui sera également à l’étude dans notre travail. La définition du mot « donnée » se poursuit avec son acceptation dans un domaine spécialisé:

Spéc. : ’’Ensemble des indications enregistrées en machine pour permettre l’analyse et/ou la recherche automatique des informations’’ (Cros-Gardin 1964). Banque de données ; données documentaires, données lexicales. (DONNÉE : Définition de DONNÉE)

En effet, l’apparition de l’informatique a transformé l’usage et le sens de ce mot. « Le propre de l’informatique, c’est la faculté de maîtriser d’immenses quantités de données et d’en tirer instantanément les éléments utiles au chercheur. Ce qui peut servir à l’histoire de l’art, c’est la constitution de grandes banques de données » (Thuillier 1997 : 7). Une banque de données consiste donc en une accumulation, un ensemble ou une collection d’indications, enregistrées en machine et regroupées informatiquement. Percevoir cet ensemble comme une « curated data collection » est utile pour révéler la présence de choix, effectués par les auteur·rice·s lors de sa constitution.

Finalement, une base de données se définit comme une banque de données dans un format informatique normé, dont nous explorerons les spécificités structurelles et les utilisations dans le domaine de l’histoire de l’art. Un projet pionnier dans la documentation systématique et structurée d’édifices et d’objets d’art à des fins scientifiques revient à Julien Cain et André Chastel1. En 1969, ces dirigeants de la Commission nationale de l’Inventaire introduisent le premier tome de l’Inventaire général (Cain et Chastel 2004 [1969]). Notre discipline n’a cependant pas su être précurseure dans l’adaptation des innovations techniques à ses besoins et intérêts. Dans un article sur l’histoire de l’art et l’informatique publié en 1992, Jacques Thuillier affirme qu’ « un quart de siècle d’informatique n’a rien changé aux habitudes de l’histoire de l’art, tant internationale que française » (1992: 5). De la Bibliographie d’histoire de l’art --- « seule réussite [...] évidente » relevée par Thuillier en 1992 --- à aujourd’hui, la création et l’utilisation de sources numériques augmentent et se diversifient progressivement. La chercheuse Béatrice Joyeux-Prunel en propose un état des lieux à l’occasion du colloque « Art et mesure » qu’elle a organisé en 2008. « Alors que l’histoire quantitative du livre et de la littérature n’a plus à démontrer ses apports, le bilan pour l’histoire des arts est plus mitigé : pourquoi tant de bases de données, de répertoires, de catalogues en ligne, mais si peu d’utilisation de ces données ? » (Joyeux-Prunel 2010 : 18).

Nous émettons l’hypothèse que pour procéder à des études quantitatives, il s’avère nécessaire non seulement de disposer de données, mais aussi des méthodologies et des outils pour leur manipulation. L’instrumentation de la recherche, telle qu’étudiée par Christian Jacob dans ses Lieux du savoir, identifie un défi quant au développement d’environnements logiciels pour l’expérimentation avec des données (2013: s.p.). L’ouvrage Graphesis. Visual Forms of Knowledge Production, publié en 2014 par Johanna Drucker, propose une première étude d’envergure à propos de ce type d’outils. Cette publication annonce le potentiel d’une épistémologie visuelle au sein des interfaces de recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales. Dans ce mémoire, nous proposons l’usage de la cartographie et des visualisations comme outils de compréhension et d’interprétation critique de données quantitatives.

Une approche spatiale place les données dans un espace qui invite à l’étude de ses caractéristiques (Besse 2010: 218-219). Celle-ci peut offrir d’autres systèmes de pensée (Ways of thinking) à l’étude de l’histoire de l’art (Fernie 2009 : 341). Une historiographie très détaillée des relations entre la géographie et l’histoire de l’art est présentée par Thomas Kaufmann dans le premier chapitre de l’ouvrage qu’il consacre à cette question (2004). Nous étudions, dans ce travail, l’emploi de la cartographie numérique dans la production du savoir en histoire de l’art. Parmi les premiers projets dans ce domaine, nous identifions Mapping Art Markets in Europe 1500-1800 (Raux 2008), Mapping Gothic France (Murray et Tallon 2011), Local/Global : Mapping Nineteenth-Century London’s Art Market (Fletcher et Helmreich 2012) et Artists in Paris. Mapping the 18th-Century Art World (Williams et Sparks 2018).

En histoire de l’art numérique et dans le domaine plus large des humanités numériques, nous relevons également la palette d’approches visuelles originales et conçues spécifiquement pour des données culturelles dans la thèse de doctorat de Florian Kraütli, Visualising Cultural Data. Exploring Digital Collection Through Timeline Visualisations (2016). Certains outils, comme E.A.T Datascape (Leclercq et Girard 2013) et les autres projets de l’équipe du Médialab (SciencesPo Paris), Hypercities (Presner et al. 2014), Voyant Tool (Sinclair et Rockwell 2016), Palladio (Conroy 2017) et Rethinking Guernica (Peiró et Sevillano 2017), se distinguent particulièrement par la création d’interfaces interactives avec un riche potentiel épistémologique. Ces interfaces facilitent les analyses quantitatives tout en conservant une approche critique à propos des connaissances ainsi produites.

Malgré le caractère encore marginal de ces approches, on peut constater qu’elles apportent des modifications et des évolutions importantes dans les formes d’accès aux archives et dans la production du savoir. Répertorier l’ensemble des projets de recherche innovants dans la production d’interfaces de recherche dépasse les limites de ce mémoire. L’affluence de projets et leur diversité pose la question à savoir s’ils peuvent être rassemblés et documentés de manière systématique. Cependant, à l’exception de ces chercheur·se·s spécialisé·e·s dans la géographie de l’art ou dans le domaine du numérique, ce type de pratiques demeure marginal dans notre discipline. Pourtant, de plus en plus de chercheur·se·s produisent des données, et les outiller pour leur exploitation devient un besoin urgent. Ce mémoire expérimente donc avec l’instrumentation cartographique et numérique de la recherche quantitative en histoire de l’art.

Une étude spatiale et quantitative de l’architecture publique en France de 1795 à 1840

Nous appliquons notre expérimentation à un cas d’étude, celui de l’architecture publique en France dans la première moitié du XIXe siècle. À cette époque, le Conseil des bâtiments civils, l’organisme consultatif établi auprès du ministre de l’Intérieur, contrôle de façon systématique l’ensemble de la commande publique en France (Château-Dutier 2019 : 56). Se développe en son sein une politique de l’équipement à l’échelle de la nation (Teyssot 1978 : 94). L’architecture publique prend le rôle d’un système de service et le Conseil doit garantir l’utilité, maximiser l’efficacité et assurer l’économie de chaque projet qu’il examine (Fortier 1978 : 85). Ce sujet contient de façon intrinsèque une dimension spatiale que nous pouvons exploiter dans notre usage de la cartographie.

L’action du Conseil des bâtiments civils est notamment documentée dans les procès-verbaux de ses séances. Il s’agit de grands registres manuscrits dans lesquels un secrétaire retranscrit les délibérations du Conseil. Chaque entrée inclut notamment la localisation et le type architectural de l’affaire examinée. S’ensuivent les délibérations et l’avis émis à son sujet. La relative régularité, la continuité et exhaustivité de ces archives, de la première République jusqu’à la monarchie de Juillet, est une source précieuse pour l’étude de l’architecture. Dès l’introduction de son Histoire de l’architecture française. De la Révolution à nos jours, François Loyer souligne l’importance de la production architecturale de l’État et la façon dont « le nouveau pouvoir a codifié le système monumental de l’architecture publique » (1999 : 9-10).

Ces archives sérielles du Conseil documentent de façon systématique son action sur le territoire. Elles ont déjà suscité des approches quantitatives et statistiques, afin d’étudier ce phénomène de « volonté globalisante des politiques spatiales » (Lepetit 1988 : 103). Au cours des années 1970 et 1980, ce sont tour à tour Georges Teyssot et Bernard Lepetit qui ont entrepris des études analytiques et la production de cartes statistiques au sujet de l’action du Conseil des bâtiments civils (Teyssot 1978, Lepetit 1988). Elles ont également donné lieu à la création d’une des premières bases de données documentaires dans la discipline, CONBAVIL2.

Cette base de données est constituée à partir d’un dépouillement analytique des procès-verbaux des séances du CONseil des BAtiments ciVILs (1795-1840), d’où son nom « CONBAVIL »3. Contrairement à une simple numérisation, un dépouillement analytique est une forme d’extraction du contenu textuel des archives. L’analyse n’est pas faite par la machine4, elle est plutôt menée par des chercheur·se·s. Les archives sélectionnées sont tout d’abord discrétisées, c’est-à-dire segmentées en unités distinctes. Le contenu de chaque unité, est ensuite interprété par des chercheur·se·s pour compléter les champs de la grille d’analyse préétablie. Appliquer ce processus à l’ensemble des archives crée une régularité au sein des données textuelles ainsi produites et forme le contenu de la base de données.

L’examen des archives du Conseil des bâtiments civils a donc été renouvelé par la création puis la mise en ligne de la base de données CONBAVIL en 2009 (Boudon 2009) et a donné lieu à plusieurs publications. Françoise Boudon publie une étude sur l’ensemble du travail du Conseil des bâtiments civils et les ressources de la base CONBAVIL (2011). Cécile Souchon propose un article sur les avis relatifs aux constructions de temples protestants et à leur esthétique (Souchon 2011). Dans la même revue, Marc Le Cœur publie un article sur les lycées construits en France au XIXe siècle et prend appui, pour ce faire, sur ses recherches par mot clef dans la base de données CONBAVIL (Lecoeur 2011). Emmanuel Château-Dutier étudie également l’action de l’administration des Bâtiments civils, où il mentionne les possibilités nouvelles qu’ouvre CONBAVIL pour la recherche (2011). Dans sa thèse sur le même sujet, l’auteur rend compte des logiques de l’examen mis en œuvre par le Conseil des bâtiments civils, afin de « faciliter les recherches futures dans diverses directions qui pourraient largement tirer parti de la base de données » (Château-Dutier 2016 : T2, 582). Son intérêt répété pour les nouvelles possibilités ouvertes par la base de données annonce ce mémoire sous sa direction.

Ce travail reprend et poursuit les questions de recherche autour des archives du Conseil des bâtiments civils avec une démarche expérimentale quant à l’utilisation de la base de données CONBAVIL. À l’heure actuelle, la base CONBAVIL est accessible sur le web et peut être interrogée à partir d’un formulaire5. Ce mode d’accès offre déjà des avantages conséquents pour la recherche au sein de ces archives6. Cependant, le format proposé limite l’utilisation de cet outil documentaire, particulièrement en ce qui concerne l’affichage des résultats de la recherche. En effet, ceux-ci sont présentés sous la forme d’une liste. Chaque élément de la liste est une fiche qui documente un projet présenté à une séance du Conseil. Le·a chercheur·se doit donc parcourir de façon linéaire les résultats de sa recherche, une fiche à la fois. Ce format fait défaut à plusieurs niveaux. On ne peut naviguer à travers les données, ajuster ses critères au cours de sa recherche, ni comparer des résultats au sein de l’interface. Pourtant, ce sont justement ce type de caractéristiques du numérique qui font la richesse de ce médium : la différence d’accès au contenu, ici rendue possible par l’utilisation d’une base de données plutôt que la manipulation d’archives, légitime une approche numérique de la recherche en histoire de l’art7.

Ainsi, pour véritablement mettre en valeur cette base de données, en même temps que pour ouvrir des horizons jusqu’ici non exploités dans la recherche sur le Conseil des bâtiments civils et donc sur l’histoire de l’architecture publique en France, ce mémoire propose de renouveler l’utilisation de la base CONBAVIL. Cela requiert tant l’étude du contexte historique et de la production de ces données que la refonte de son interface, afin de créer un outil de recherche dont l’objectif sera d’exploiter pleinement les caractéristiques du numérique. Au terme de cette recherche, les connaissances acquises lors de la création et l’utilisation de cet outil devraient, en elles-mêmes, constituer un apport à la connaissance sur le fonctionnement du Conseil des bâtiments civils entre 1795 et 1840. Il s’agit de concevoir de nouvelles méthodes de recherche, à l’intersection des questions historiques et des nouvelles technologies, pour identifier celles qui semblent fécondes à la production de savoir.

La cartographie critique comme cadre théorique

La cartographie est à la fois un opérateur théorique, un outil graphique, une forme d’analyse et une manière de penser (Besse 2010: 217). Elle spatialise et donne forme à des données, offrant ainsi des moyens visuels d’exprimer un ou plusieurs concepts intellectuels (Burdick 2012 : 42). Nous employons comme opérateur théorique central dans ce mémoire la cartographie critique. Il s’agit d’un mouvement de pensée né dans les années 1990, avec pour référence l’article pionnier du géographe et historien des cartes Brian Harley, « Deconstructing the Map » (1989). Il y propose de déconstruire la carte -- au sens postmoderne, un procédé qui permet de briser le lien entre réalité et représentation -- afin d’encourager un tournant épistémologique dans l’interprétation et l’analyse de la pratique cartographique. Le processus de déconstruction permet de révéler de nouvelles approches de la carte et de retracer les mécanismes sociaux liés à sa production (Harley 1989 : 2).

La cartographie critique outille, en premier lieu, l’étude des cartes. Elle révèle les biais de son approche scientifique, ses outils rhétoriques, son impact sur le savoir et son utilisation liée au pouvoir politique. Alors que la période que nous étudions s’anime et se transforme sous l’instauration d’un nouveau système administratif ainsi que de formes de savoir et de pouvoir qui y sont reliées, il devient très utile de développer une approche critique des structures et des modes de pensées qui régissent cette époque. Cela comprend le fonctionnement de l’administration (Château-Dutier 2016; Moullier 2004; Napoli 2003) ainsi que son rapport au territoire par l’emploi de la cartographie (Palsky 1996; Verdier 2001; Blond 2008) et de la statistique (Desrosières 2008; Supiot 2014; Perrot et Al. 1981). Les parallèles entre la cartographie et la statistique sont souvent mutuellement évoqués dans ces écrits. Nous proposons ici de rassembler les critiques de ces disciplines fondamentales à l’État-nation afin de mettre en relief leurs similarités et révéler leurs mécanismes de production d’autorité.

Du XIXe au XXIe siècle, la cartographie critique invite donc à remettre en question les normes scientifiques qui régissent la production de connaissances. Nous pouvons appliquer cette analyse critique des formes d’autorité aux structures de savoir et de pouvoir tout comme aux données, rejoignant ainsi le domaine de la pensée critique des données Critical Data Studies (Iliadis et Russo 2016). Dans le domaine des humanités numériques, Johanna Drucker spécifie qu’avant de penser à l’analyse ou à la visualisation de données, nous devons commencer par discuter de façon critique la collecte des données pour révéler leurs biais et leurs silences, c’est-à-dire les choix qui ont dicté leur structuration (Drucker 2014 : 127).

Dans le contexte de nouvelles pratiques cartographiques, la cartographie critique est souvent associée à la contre-cartographie. Ce mouvement inverse les rapports de pouvoir et se réapproprie la carte pour produire de nouveaux savoirs (Halder, Michel dans Kollektif Orangotango+ 2018 : 13). Cette notion d’inversion et de renversement des pouvoirs est également employée par Giorgio Agamben en relation aux dispositifs. L’auteur commence par définir le terme « dispositif » lorsqu’il est employé par Foucault, qui prend le sens de

« manipulation des rapports de force, d’une intervention rationnelle et concertée dans ces rapports de force, soit pour les développer dans telle direction, soit pour les bloquer, soit pour les stabiliser, les utiliser. Le dispositif, donc, est toujours inscrit dans un jeu de pouvoir, mais toujours lié à des bornes de savoir, qui en naissent, mais, tout autant, le conditionnent. C’est ça le dispositif : des stratégies de rapports de force supportant des types de savoir, et supportés par eux » (Foucaut, *Dits et écrits", vol III, p. 299 sq., dans Agamben 2007 : 9-10)

Ces dispositifs de gouvernement, par leurs pratiques, leurs discours et leurs savoirs, assujettissent les individus en les rendant « libres », mais dociles (Agamben 2007 : 41-42). Agamben propose de se libérer de l’emprise de ces dispositifs, non pas en œuvrant à les détruire, mais en les réemployant, afin de les « rendre à l’usage commun » (Agamben 2007 : 37-38). Il puise dans l’histoire pour qualifier cette action de restitution au commun et au libre usage --- ou ce contre-dispositif --- de « profanation » (Agamben 2007 : 39-40). Les processus de rationalisation, au sens de Max Weber, qui gouvernent l’action de l’administration au XIXe siècle, réduisent la réalité à des objets quantifiables et à des dossiers administratifs dotés d’une impersonnalité croissante (Colliot-Thélène 2011 : §9). Dans le contexte de l’étude de l’administration, Arnaud Sabatier décrit cette action comme une « opération d’objectivation [...] qui remplace des objets et le monde par des référentiels » (2010 : 29). L’approche de la cartographie critique nous permet de révéler les vides et les silences dans cette transformation. La contre-cartographie nous amène à nous poser les questions suivantes : est-il possible de procéder à une « profanation » des archives ou de créer un processus de contre-administration critique ?8

Cela nous semble d’autant plus pertinent que l’objectif même des archives est de pouvoir retrouver, retracer et saisir le travail de l’administration qui l’a produite. Dans l’idéal de transparence et de traçabilité d’un État-nation dont l’administration est au service du public, les archives documentent ses actions et sont mises à disposition pour permettre une sorte de vérification par le public. Notre ambition vise donc à redonner l’instrument de pouvoir --- que ce soit la carte, la statistique, ou l’archive --- à ceux·elles qui veulent l’étudier ou le questionner, révélant ainsi ses biais tout en restituant leur usage aux individus. En nous appropriant les dispositifs de l’administration et du gouvernement, nous pouvons développer une approche critique de l’action de cette administration via les traces qu’elle nous a laissées, c’est-à-dire ses archives.

Méthodologie pour la création d’un atlas numérique

Notre travail se concrétise dans la création d’un dispositif invitant à un examen critique des formes de savoir et de pouvoir qui le sous-tendent. L’aspect technique et expérimental dans la production de ce dispositif situe également ce travail dans le domaine des humanités numériques. Comme nous y invite le Manifeste pour des humanités numériques 2.0, il s’agit de

s’engager à piloter la création de nouvelles technologies, méthodologies et systèmes d’information, ainsi qu’à les détourner, réinventer, refonctionnaliser, à travers des questions de recherche enracinées dans les arts et les humanités : des questions de sens, d’interprétation, d’histoire, de subjectivité et de culture (Julien-Saavedra et Citton 2015)

Nous accordons donc une importance à la mise en pratique comme opportunité d’examiner nos objets d’étude. Pour ce faire, nous avons bénéficié de l’enseignement et de la collaboration de plusieurs chercheurs engagés dans ce type de démarches inventives, faisant usage et s’appropriant des outils numériques : Prof. Emmanuel Château-Dutier bien sûr, mais aussi Prof. Stéfan Sinclair, professeur du département des langues, des littératures et des cultures de l’Université McGill. Spécialisé dans les humanités numériques, l’analyse et la visualisation de textes, Stéfan Sinclair a développé de nombreux outils en sciences humaines, tels que Voyant ou BonPatron, et des infrastructures de recherche comme TAPoR (équipe éditoriale DHQ 2020). Lors d’un séjour de recherche au Médialab (SciencesPo Paris), le compagnonnage et l’assistance bienveillante de l’équipe tech, également vouée à la création d’outils numériques pour la recherche en sciences humaines et sociales, se sont révélés cruciaux pour véritablement mettre à l’œuvre ce projet.

Notre méthode de travail commence par une prise en charge des données pour ensuite explorer des formes de cartographie et visualisation qui s’y appliquent. Nous n’envisageons pas la visualisation et la cartographie comme une illustration ou une représentation, mais bien comme la possibilité de soutenir un argument visuel. Cette forme d’argument, lorsqu’elle révèle un savoir propre à sa nature visuelle, s’inscrit dans le champ de l’« épistémologie visuelle » (Drucker 2014 : 10). Nous souhaitons ainsi faciliter un processus herméneutique et permettre la critique du travail produit (Drucker : 8-9). Pour cela, nous puisons dans les domaines de la cartographie (Besse 2006; Harley 1989; Jacob 1992; Gamboni 2008), de la pensée visuelle (Bertin 2013; Tufte 2001) et de la visualisation de données (Drucker 2014; Ruecker, Rockwell et Sinclair 2011; Leclerq et Girard 2013) pour concevoir notre façon d’utiliser ces données.

Il s’agit ensuite de concevoir une interface pour CONBAVIL à partir de ces visualisations. Notre processus de création d’interface est informé par l’éditorialisation, concept qui s’attaque aux moyens de produire des interprétations critiques dans l’environnement numérique. Il s’agit d’identifier les formes d’autorité et de se donner les moyens de les interroger. « Authority must be questioned - or at least questionable. » (Vitali-Rosati 2018 : 82) Cet outillage critique s’intéresse notamment aux réappropriations, détournements et actes de résistance aux formes d’autorité dans l’espace numérique (Vitali-Rosati 2018 : 97-99). Il se prête donc particulièrement bien à notre approche inspirée par la profanation et la contre-cartographie. L’éditorialisation possède également une dimension pratique, lorsqu’elle instancie un processus de production et de structuration d’un espace numérique (Vitali-Rosati 2016 : 6).

Éditorialiser la base de données CONBAVIL revient à chercher à lui donner une forme éditoriale tout en prenant conscience des dimensions expérimentales et multiples de ce processus. La forme-atlas correspond, d’une part, à la multiplicité de formes visuelles conjuguées dans ce travail. D’autre part, elle continent une « puissance intrinsèque de montage qui consiste à découvrir [...] des liens que l’observation directe est incapable de discerner » (Didi-Huberman 2017 : 13). Dans le cas d’un atlas numérique, la possibilité de faire des liens entre les visualisations s’inscrit dans la réalité physique des données. Les hyperliens, qui relient les pages du web, caractérisent l’espace numérique par la richesse d’exploration de contenus qu’ils offrent. Prenant pour exemple l’encyclopédie Wikipédia, les hyperliens servent à mettre en relation les connaissances continues dans l’encyclopédie et forment ainsi un gigantesque réseau des savoirs. Cette forme d’interactivité favorise l’exploration approfondie d’un sujet comme elle invite à l’expérience de la sérendipité9. Il est désormais possible de créer des liens entre plusieurs visualisations de données. En quelque sorte « hyper-liées », la sélection d’un sous-ensemble de données dans une visualisation peut être « transférée » ou « appliquée » aux autres visualisations. Ainsi, elles se transforment et se mettent à jour en fonction de la sélection. C’est en appliquant ce principe à notre atlas que nos proposons d’envisager son éditorialisation, en démultipliant la « puissance du montage [et] de l’imagination » (Didi-Huberman 2017 : 13) qui est intrinsèque à cette forme de savoir visuel.

Si aucune forme éditoriale n’est véritablement statique ou figée, elles s’avèrent d’autant plus mouvantes et fluctuantes dans l’espace numérique. Il devient complexe d’en distinguer le début ou la fin, et chaque acte d’éditorialisation est lié aux autres qui forment ce processus en cours (Vitali-Rosati 2016 : 10). Non seulement notre atlas numérique se caractérise par son interactivité, sa chaîne de production ─ qui allie code, sources de données et interactions ─ complexifie l’identification d’un ou plusieurs états ou des notions traditionnelles d’auteur, contribuant ainsi à l’expérimentation avec de nouvelles formes de production du savoir.

Plan

Le premier chapitre de ce mémoire est consacré à l’étude du Conseil des bâtiments civils et de la période historique concernée. Afin de contextualiser l’action de l’administration de l’architecture publique, nous commençons tout d’abord par examiner la mise en place d’une centralisation administrative en France et particulièrement au sein du ministère de l’Intérieur, au lendemain de la Révolution. Il s’agit d’une organisation qui se déploie dans l’espace par l’entremise d’un système rationnel et hiérarchique. Outre ce mode de gouvernement communiquant par un réseau centralisé, le pouvoir et les structures décisionnelles de l’État se dotent d’outils pour connaître la nation. Nous approfondirons donc ses façons de représenter le territoire, qui passent par l’emploi de la cartographie et de la statistique. Ce portrait des modes de pensée et des fonctionnements administratifs nous servira alors pour identifier les enjeux soulevés par l’architecture publique ainsi que les raisonnements employés par le Conseil des bâtiments civils. Nous terminerons le chapitre sur les archives du Conseil et sur son historiographie, ce qui nous permettra de présenter un état des recherches sur le sujet ainsi que d’analyser quelques rares études quantitatives et spatiales de l’architecture publique qui précèdent notre recherche.

Dans le deuxième chapitre, il sera question du traitement des archives intervenu à l’occasion de la création de la base de données CONBAVIL. Produire une analyse critique des données pourra non seulement nous éclairer sur leur nature, mais nous servira également à identifier les axes de recherche et les formes visuelles qui pourront être explorés en utilisant la base de données. Ainsi, du projet de base de données qui mène au dépouillement des archives dans les années quatre-vingt-dix jusqu’aux modifications apportées à CONBAVIL dans ce travail, chaque étape de structuration des données sera passée en revue de façon à repérer les changements que ces interventions opèrent sur le contenu des données. Il s’agira ensuite d’étudier les modalités d’accès au contenu de la base de données, des requêtes informatiques à l’utilisation du formulaire disponible en ligne actuellement, proposées sur le site de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA). Nous étudierons également les enjeux épistémologiques à l’œuvre dans la création d’une nouvelle interface. Le processus de conception d’une interface visuelle, spatialisée et interactive requiert notamment des changements structurels et des enrichissements des données. Nous documenterons les étapes de transformations des données avant de conclure avec des datascapes, ou paysages de données, qui porteront un regard analytique sur le contenu de CONBAVIL.

Nous pourrons alors présenter notre prototype d’interface, des visualisations à l’atlas numérique, dans le dernier chapitre de ce mémoire. Les enjeux théoriques de la cartographie et de la visualisation interactive des données constitueront le fondement de notre instrument de recherche. Nous présenterons ensuite les trois prototypes principaux réalisés pour ce travail, avec une volonté de documenter le processus complexe duquel ils sont issus. Il s’agira également de démontrer leurs enjeux tout en prenant garde quant aux questions qu’ils suscitent. Nous terminerons avec notre proposition pour un atlas numérique ainsi qu’un prototype fonctionnel d’un extrait de ce dernier, faisant la démonstration de la puissance des mécaniques interactives entre les visualisations. L’analyse du potentiel tout comme des limites de ce dispositif nous amènera alors à clore ce travail.

Dans ce mémoire, il s’agira donc d’étudier comment l’éditorialisation d’une base de données en un atlas numérique peut informer la recherche en histoire de l’art. Dans le contexte d’une étude sur l’architecture publique en France à la première moitié du XIXe siècle, nous pensons qu’étudier l’évolution des dynamiques d’équipement instaurées par le Conseil des bâtiments civils, à travers le temps et de façon spatialisée, nous renseignera sur les pratiques de cette institution qui a fondé l’architecture publique en France telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Chapitre 1
Administration et architecture publique en France au XIXe siècle

À la fois manifestation et construction de l’État, l’architecture publique implique toute une politique et une structure gouvernementale. Cela est d’autant plus important qu’au lendemain de la Révolution française, le champ de l’architecture et des arts en général se déplace de la représentation des privilèges d’une élite à celle des symboles de l’État. Les changements structurels que cette transformation implique sont politiques, économiques, sociaux, mais aussi intellectuels et artistiques (Loyer 1999 : 17).

Le nouvel État-nation qui émerge au sortir de la Révolution élabore également un récit national et un imaginaire collectif qui nourrissent un sentiment d’appartenance à la communauté qui compose la nation (Anderson 2006 : 19-21). À cet effet, il emploie des images, telles que son hexagone géographique et le drapeau tricolore bleu-blanc-rouge, des principes, dont la liberté et l’égalité, et une identité linguistique et culturelle, de la langue française à l’hymne national de La Marseillaise (Roche-Noel 2019 : 15-16). Il instaure cet imaginaire national à l’échelle du territoire par l’emploi de monuments et de l’architecture publique. « Le monument public, magnifié par un réseau de rues approprié, développe le sens civique et contribue à l’identité culturelle du citadin-citoyen. » (Descat 2018 : 132)

La production d’images, comme cette carte de La France actuelle et ses anciens défenseurs (fig. 1-1), contribue également à ces récits. Le cadre, composé des portraits de généraux, présente l’histoire d’un pays défendu par de « grands hommes » menés par Napoléon, empereur des Français. Cette histoire est instituée et immortalisée par les deux monuments, la Colonne d’Austerlitz (à gauche) et la Fontaine de la Victoire (à droite). Au centre de l’image, une carte de la France, « pays qu’entourent les Pyrénées, les Alpes, le Rhin, l’Océan » (Jules Michelet, Le Peuple, 1974 [1846] cité par Roche-Noel 2019 : 21). Les frontières naturelles formées par les chaînes de montagnes et par le bord de mer sont accentuées pour faire ressortir visuellement le fameux hexagone. Il s’agit d’un exemple précoce de « l’apparition, surtout à la fin du XIXe siècle, de ’’cartes historiques’’ destinées à démontrer, dans le nouveau discours cartographique, l’antiquité d’unités territoriales spécifiques et bien délimitées » (Anderson 2006 : 178). Un sentiment national émerge de la correspondance entre la Gaule de César et la France moderne (Roche-Noël 2019 : 23). Ce territoire est ensuite divisé en son maillage unifié et régulier de départements.

Cette carte figure bien les préoccupations de l’État, alliant le pouvoir militaire au contrôle du territoire, le tout incarné par une architecture monumentale qui inscrit ses récits dans l’espace physique. Elle omet également les réalités moins commodes, dont la réalité mouvante du territoire :

L’intégration des collectivités d’outre-mer dans la République, dans la France, perturbe[rait] la lecture, transmise par le récit national, de reconstruction ou de reconstitution d’un legs plus ancien. Elle disjoint géographie physique et géographie politique [...] Elle remet en cause l’appréhension d’un territoire qui ne peut plus être abordé ni compris dans la simplicité de sa forme originelle et convoque les mémoires de la colonisation, de l’esclavage, et des luttes pour l’égalité. (Roche-Noel 2019 : 24-25)

Fig. 1-1: https://www.public.archi/atlas-2021/img/FranceActuelleEtSesAnciensDefenseurs_1838.jpeg
Fig. 1-1 P. Tardieu (graveur), La France actuelle et ses anciens défenseurs. Carte de France physique et administrative, dressée par P. Tardieu, Paris: Binet éditeur, 1838.
gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53083503z

Pour commencer notre étude de l’architecture publique en France au lendemain de la Révolution, nous nous proposons tout d’abord d’examiner le système administratif français qui régit le territoire et l’aménage. L’administration de l’architecture publique est une pratique qui s’inscrit dans les préoccupations politiques, économiques et sociales de la nation. Nous débuterons donc ce travail en cernant le contexte de production de nos archives et plus spécifiquement, en décrivant le fonctionnement de l’administration française à la première moitié du XIXe siècle. Nous présenterons ensuite un portrait des modes de pensée de l’époque centré sur les enjeux de savoir-pouvoir liés au territoire. Nous analyserons particulièrement l’emploi de la cartographie et de la statistique pour définir et mesurer l’action de l’administration. Finalement, nous explorerons la traduction de ces modes de pensée dans le cadre spécifique de l’administration de l’architecture publique, c’est-à-dire au sein du Conseil des bâtiments civils. Cette mise en contexte ainsi qu’un état des connaissances actuelles sur le Conseil nous permet de cerner les enjeux autour de l’architecture publique à l’époque et nous servira de point de départ pour la construction de notre instrument de recherche.

1.1 L’administration de la France au lendemain de la Révolution

La Révolution de 1789 provoque de nombreux changements au sein de la société française. L’abolition des privilèges tout comme de l’esclavage place les citoyens sur un relatif pied d’égalité10 . Elle est également à l’origine d’une réorganisation institutionnelle fondée sur la rationalité où l’État-nation a pour rôle de fournir des biens et des services pour tous. Nous allons étudier l’instauration de ce mode de pensée issu des grandes idées des Lumières. De façon un peu paradoxale, c’est le désir de faire table rase du passé qui permet de mettre en œuvre de nombreux changements pensés et tentés au XVIIIe siècle.

Pour faire advenir un nouveau système, l’État a besoin d’une administration. Dans son histoire de l’administration et de la police, Paolo Napoli fournit une définition de l’administration qu’il accompagne d’un contexte historique d’autant plus intéressant que ce modèle subsiste en grande partie dans la société actuelle. « L’administration incarne le gouvernement. [Elle en constitue] le principe moteur, l’être en action de l’organisation politique. » (Napoli 2003 : ch5, §10) Pour comprendre l’administration de l’architecture, nous nous proposons de commencer par quelques vues sur l’organisation de l’administration dans son ensemble.

Le verbe « administrer » apporte quelques éléments plus précis : le contenu d’abord économique sur lequel porte l’action de gouverner, puisqu’on administre les affaires et les biens d’une personne, mais aussi les finances et les revenus de l’État. Ces confrontations permettent d’entrevoir une aire de signification permanente : l’élément comptable est au cœur de l’administration et du fait de gouverner.Ces ambitions gouvernementales ont pour prérequis une organisation spatiale qui les structure et les distribue sur le territoire. (Napoli 2003 : ch5, §11)

Nous étudions donc, dans cette première partie, la division du territoire en département. Nous définissons ensuite le fonctionnement de la nouvelle administration, qui se caractérise par la centralisation du pouvoir et une forte rationalisation de ses décisions.

1.1.1 La division et l’unification du territoire

Pour commencer notre étude de l’administration, nous devons au préalable définir le territoire concerné. Qu’est-ce que la France au lendemain de la Révolution française ? L’État-nation nouvellement formé se transforme tout au long de la période que nous étudions, c’est-à-dire entre 1795 et 1840. Du point de vue politique, les régimes s’enchaînent : première République et la Terreur, Premier Empire et les guerres napoléoniennes, Restauration puis monarchie de Juillet. Nous nous arrêtons juste avant la proclamation de la deuxième République. Du point de vue du territoire, les frontières françaises se modifient au fil des conquêtes et défaites avec une extension maximale du territoire français en Italie et aux Pays-Bas sous l’Empire. Le rapport à l’espace, qu’il s’agit de gouverner et d’administrer selon les principes établis par le politique, évolue également. Nous allons commencer par analyser l’impact de la Révolution sur le territoire pour mettre en avant certaines transformations entre l’Ancien Régime et le nouvel État-nation.

La France est régie par une administration de plus en plus centralisée dès 1660. Elle crée ainsi un État fort dont la gestion provinciale est assurée par les intendants, « même si subsistent des disparités provinciales de droit et de coutumes, qui seront dénoncées et abolies en 1789 » (Desrosières 2010 : ch.1, §26). Toutefois, sous l’Ancien Régime, cette administration se heurte à plusieurs difficultés en raison de nombreuses frontières provinciales et militaires, et de multiples chevauchements de compétences. « [Le] royaume de France était une mosaïque de provinces régies par des lois et des coutumes hétérogènes, notamment sur le plan administratif et fiscal » (Desrosières 1997 : 54).

La Carte de France divisée en ses XXXI gouvernements militaires et en ses provinces... (fig. 1-2), datée de 1754, témoigne de cette complexité. Le grand effort de cartographie accompli par les Cassini permet d’obtenir des représentations géométriques du territoire à l’échelle de la France continentale (Verdier 2001 : 5). L’identification des frontières administratives pose toutefois un autre problème, avec de nombreuses incertitudes concernant les zones limitrophes. Le projet d’une refonte complète de la division du territoire se dessine alors, afin de simplifier et d’asseoir fermement l’administration du territoire. Les transformations de la Révolution vont offrir l’opportunité de réaliser ce projet.

Fig. 1-2: https://www.public.archi/atlas-2021/img/CarteDeFrance_1754.jpeg
Fig. 1-2 Roch-Joseph Julien (cartographe), César-François Cassini de Thury (cartographe du modèle), H. Boyet (graveur), Carte de France divisée en ses XXXI gouvernements militaires et en ses provinces, dressée sur les meilleures cartes qui ont parues jusqu’à présent et sur la carte des triangles en XVIII petites feuilles, levée géométriquement par ordre du Roi, et mise au jour par Mr. Cassini de Thury, ... Dédiée et présentée à Mons. le comte de St. Florentin..., 1754.1 carte en 6 feuilles assemblées, contours colorés, 150 x 135 cm.
gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53052984z

Dès le 7 septembre 1789, l’Assemblée nationale nomme un comité chargé de la division du territoire en départements. L’objectif est que « la France puisse former un seul tout, soumis uniformément, dans toutes ses parties, à une législation ou une administration commune » (Sieyès cité par Lepetit 1990 : 433). Un premier projet de découpage en 81 carrés uniformes conçu par le géographe Robert de Hesseln est énoncé, mais il doit être adapté aux conditions locales du territoire (Lepetit 1990 : 433). Tout en prenant en compte des frontières naturelles, ce découpage a pour idéal de diviser le territoire en des superficies et des densités urbaines et démographiques équivalentes. « L’égalité géographique est le socle de l’égalité des droits proclamée dans la Déclaration. » (Roche-Noel 2019 : 38)

Si la réalité géographique ne permet pas la concrétisation absolue de cet idéal, le processus de découpage offre une nouvelle prise sur le territoire (fig. 1-3). Il s’agit de remplacer les privilèges de la noblesse par une rationalisation géométrique et démographique. Les départements se veulent égaux, excepté pour la distinction criante du centre administratif, Paris. La logique rationnelle « trouve sa limite et son prolongement dans la place prépondérante de la capitale --- département à part sur la carte de Thouret, département à soi seul sur celle de la Constituante. » (Roche-Noel 2019 : 38). Les autres départements sont structurés selon la pyramide administrative à quatre niveaux : département, district, canton et commune (Lepetit 1988 : 114). Chaque échelon de la pyramide est doté d’un point de confluence, dont la centralité est établie dans une logique d’accessibilité. Ce lieu rassemble ainsi les services et les fonctions administratives locales. Cette logique rationnelle et spatiale aura une influence non seulement sur le fonctionnement de l’administration, mais également sur la perception du territoire français (Lepetit 1990 : 437).

Fig. 1-3: https://www.public.archi/atlas-2021/img/CarteDeFrance_1791.jpeg
Fig. 1-3 Anonyme, Cart de France divisée en ses 83 Départements et Districts suivant les Décrets de l'Assemblée nationale, Paris: Mondhare et Jean, 1791.
gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53083405g

Dans une perspective économique et architecturale, cela se traduit par une lutte pour l’équipement : « on combattait avec la plus grande opiniâtreté pour obtenir un département, un district, un tribunal ; ensuite on négociait, on marchandait un village, on cédait quelque chose pour obtenir à sa ville un établissement. » (Lepetit 1988 : 115). En créant une nouvelle grille territoriale qui uniformise et réglemente les institutions, tant sur leur centralité que sur leur accessibilité, l’État devient un principe organisateur des réseaux urbains et un moteur du développement des villes. « Pour l’opinion éclairée des années 1780, un lien existe entre la puissance urbaine, l’exercice de la fonction administrative et l’organisation du territoire. » (Lepetit 1988 : 201)

Dans la mise en place du système administratif comme dans les actions ministérielles, on observe une réelle volonté de se distinguer de l’Ancien Régime tout en construisant une unité nationale (Chateau-Dutier 2016 : T1, 40). Outre l’exemple de la division en départements, cela concerne l’unification des poids et des mesures via le système métrique, l’uniformisation de la langue française et l’universalisation des droits de l’homme. Dès la première édition du dictionnaire de l’Académie française, la nation est définie comme « tous les habitants d’un mesme Estat, d’un mesme pays, qui vivent sous mesmes loix & usent de mesme langage » (cité dans Roche-Noël 2019 : 90). Ces mesures instituent donc une réalité nationale dans le but « d’assurer la justice des relations entre hommes et garantir la justesse des étalonnages des choses », tout en « donn[ant] une conscience objective à des choses qui, sans [ces codages administratifs et juridiques], ne pourraient pas être comptées » (Desrosières 2010 : ch.1, §39).

La réforme départementale figure parmi les origines d’une perception neuve de l’espace national. Les départements, en offrant leur cadre uniforme et constant pour la collecte de données que la statistique sociale et économique accumule dès la première moitié du XIXe siècle, permettent de penser à la fois l’unité fondamentale de la France et sa diversité. Ils autorisent l’interrogation sur la division rationnelle du territoire (Angeville) c’est-à-dire par la recherche des écarts régionaux qui le structurent (Lepetit 1990 : 442)

Les diverses cartes gastronomiques de France mettent de l’avant la diversité régionale tout en figurant clairement une unité nationale. Si celle datée de 1810 (fig. 1-4) exemplifie déjà cette idée, les rapides évolutions dans le médium cartographique facilitent la conception d’une carte thématique, gastronomique, en y ajoutant le réseau routier et les divisions administratives (fig. 1-5) puis le réseau de chemin de fer (fig. 1-6). Ainsi, le territoire est divisé et distinct, tout en demeurant relié, connecté, et faisant partie d’un tout.

Fig. 1-4: https://www.public.archi/atlas-2021/img/CarteGastronomique_1810.jpeg
Fig. 1-4 Anonyme, Carte gastronomique de la France, Weimar : Institut géographique, tirée du Guide des voyageurs en France..., H.A.O. Reichard, 6e éd., Weimar : Institut géographique, 1810.
1 carte, 28 x 21,5 cm, gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8440342j
Fig. 1-5: https://www.public.archi/atlas-2021/img/CarteGastronomique_1830_Monin.jpeg
Fig. 1-5 Charles Monin, Nouvelle carte gastronomique, routière et administrative de la France, Paris : Chez Troude, 1830.
gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53084730z
Fig. 1-6: https://www.public.archi/atlas-2021/img/CarteGastronomique_1852_Lemiere.jpeg
Fig. 1-6 Anonyme, Carte des Productions Gastronomiques de la France avec ses chemins de fer, Paris : Lemière (éditeur scientifique), 1852.
1 feuille en couleur, 600 x 485, gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8493163b

1.1.2 La centralisation administrative

L’administration nouvelle doit s’établir rapidement et s’assurer de maintenir une unité dans ses actions. Elle justifie les changements qu’elle instaure en laissant entendre qu’il ne s’agit pas de mettre en place un nouveau système, mais simplement d’abolir les privilèges et les différences (Moullier 2004 : 77). Les décisions apparaissent ainsi comme intemporelles et irréfutables sur le plan intellectuel. « On ne peut plus maintenir la séparation qui ralentit l’action au profit de la justice, empêche l’efficacité au profit de la liberté. » (Jacques Ellul 1999, Histoire des institutions, Paris : Presses universitaires de France, p. 91. cité dans Chateau-Dutier 2016 : T1, 42).

Au niveau de la répartition des tâches, le ministère de l’Intérieur a pour rôle particulier de coordonner l’articulation entre l’Assemblée et le pays réel, avec l’assistance de la Police qui, elle, avait pour mandat la sûreté de l’État (Chateau-Dutier 2016 : T1, 63). Il regroupe aussi de nombreux services qui donneront par la suite des ministères séparés, dont l’éducation, les beaux-arts et le commerce par exemple. Le Ministère se munissait également d’organismes consultatifs, tels que le Conseil des bâtiments civils, afin « d’acquérir un savoir spécialisé dont [il] était dépourvu » (Château-Dutier 2016 : T1, 197). Avant de passer en revue son fonctionnement, nous allons examiner l’organisation spatiale de cette administration.

L’unification et la structuration de l’administration sont coordonnées avec celle du territoire. « La première exigence nécessitait une surveillance capable de descendre dans les détails de l’action administrative » (Moullier 2004 : 77). On instaure un système administratif centralisé et hiérarchique, qui subsiste encore en partie aujourd’hui. Au sommet de la pyramide, Paris et les Ministères. Ensuite viennent les nouvelles unités géographiques et administratives : les départements et leurs cantons puis les communes. Au chef-lieu du département réside le Préfet, représentant de l’État au niveau local et dans les cantons.

Cette structure pyramidale du pouvoir permet, à terme, d’instaurer une « discipline nationale [et] une administration simple, solide et facile à gouverner » (Guibert 1772 cité par Foucault 1975 : 171). L’assise du pouvoir était régulée par une surveillance réciproque entre chacun des échelons (Chateau-Dutier 2016 : 123). Du haut de la pyramide, le pouvoir se propage et descend les échelons administratifs pour avoir un impact sur chaque lopin de terre et chaque individu qui s’y trouve. Avec le télégraphe optique qui étend son réseau dans toute la France, le ministre de l’Intérieur Chaptal annonce à ses préfets : « La chaîne d’exécution descend sans interruption du ministre à l’administration et transmet la loi et les ordres du gouvernement jusqu’aux dernières ramifications de l’ordre social --- avec la rapidité du fluide électrique » (Chaptal cité dans Teyssot 1978 : 86).

Le processus de centralisation administrative qui se met en place à la première moitié du XIXe siècle s’accompagne d’une rationalisation de l’action ministérielle (Chateau-Dutier 2016 : 40). Ce phénomène s’accentue sous l’Empire. En effet, ce schéma ne saurait fonctionner sans une « véritable philosophie de l’action administrative, un appel à chaque employé pour qu’il saisisse ce qu’était l’esprit de l’administration rationnelle d’un grand empire et s’y conforme dans son travail » (Moullier 2004 : 79). Nous allons donc explorer le fondement de cette forme de pensée.

1.1.3 La rationalisation de l’action publique

La légitimité du gouvernement napoléonien et des États modernes est fondée sur l’attribut de la rationalisation. Il s’agit d’ « institutionnaliser un système scientifique de gouvernement, basé sur une information uniforme et homogène, et [d’] inaugurer, pratiquement, un mode de communication entre pouvoir central et autorité locale » (Teyssot 1978 : 87). Son application dans l’administration bureaucratique permet de déterminer, selon Max Weber, la modernité du système bureaucratique. « La rationalisation de l’exercice de la domination se traduit par une impersonnalité croissante. La domination moderne s’exerce par le moyen du droit, c’est-à-dire de règles abstraites qui valent identiquement pour tous. » (Colliot-Thélène 2011 : §9) Le sociologue et historien de la statistique, Alain Desrosières, définit, quant à lui, la rationalité d’une décision comme la « capacité à prendre appui sur des choses dotées de sens stable » (2010 : Introduction, §13).

Dans les deux cas, l’administration se présente comme une « opération d’objectivation [...] qui remplace des objets et le monde par des référentiels » (Sabatier 2010 : 29). Il devient d’une véritable nécessité pour elle de tout savoir et de tout connaître « d’être constamment et parfaitement informée de tout ce qui se passait dans l’État [...] pour agir à propos » (Woolf dans Perrot et al. 1981 : 85). En ce sens, l’administration va s’organiser dans une tentative de construire un laboratoire central du savoir social afin de produire des informations chiffrées sur lesquelles se baser, notamment face aux questions économiques urgentes dues au blocus de 1805 (Desrosières 1997 : 55). Ces référentiels lui permettent d’analyser la situation selon son « devoir de prévoir, nécessité d’évaluer, obligation de la programmation et du contrôle » (Fortier 1978 : 88).

En premier lieu, il s’agit de nommer et de décrire des choses, des processus dans le but, dans un second temps, d’agir sur elles (Desrosières 1997 : 56). S’ensuit la documentation, qui a pour rôle de preuve et de justification des actions en même temps. Chaque action donne lieu à un dossier, soigneusement complété à chaque étape puis archivé en bonne et due forme. Il s’agit de produire des enregistrements uniformes, avec précision et rapidité, pour régulariser les entrées tout en s’assurant de leur bon ordre. « Les documents qui arrivent au Ministère doivent être gérés, comptabilisés et classés afin qu’ils soient faciles à retrouver au besoin. » (Moullier 2004 : 80) L’état administratif est fondé sur un système d’information qui comptabilise ses actions afin d’être capable d’en produire un récapitulatif (Derosières 2008 : 110).

Un tel savoir devenait un instrument de pouvoir, non pas au sens où il aurait conféré une supériorité intellectuelle à l’administrateur, mais parce qu’il renforçait sa position institutionnelle et son contrôle sur les hommes, en lui donnant « les moyens de prouver à chaque agent que rien n’est perdu de ce qu’il fait en bien ou en mal, que son exactitude ou son incurie, que ses soins particuliers dans telle ou telle partie sont appréciés, que rien de la correspondance antérieure n’est perdu, que chaque objet, chaque individu a, si je puis m’exprimer ainsi, ses annales, où tout ce qui le concerne est soigneusement noté. » La surveillance exercée au jour le jour n’était rien sans une mémoire qui permette de la constituer en savoir. (Moullier 2004 : 78)

L’ensemble de ces informations ainsi rassemblées et documentées permet ensuite à produire un savoir. Leur analyse et leur organisation visuelle, comme dans des listes et des tableaux, prolongent encore la volonté de rationaliser les décisions. Par exemple, dans la distribution de direction d’édifices aux architectes, une volonté de rationaliser l’accès, mais aussi d’en garantir l’équité inspire le Conseil des bâtiments civils, dès ses premières années d’activité, à « former un tableau sur lequel seront inscrits les noms de ces artistes lequel sera mis sous les yeux du Conseil qui le consultera chaque fois qu’il y aura quelque emploi à donner, afin de désigner pour le remplir, celui qui réunira le plus de titre à cet effet » (A.N., F21* 2470, Registre des Procès-verbaux du Conseil des bâtiments civils, séance du 17 nivôse an IV [6 janvier 1796], n° 33, p. 11 cité par Château-Dutier 2016 : T1, 141)

Malgré cette volonté d’organisation intemporelle à la logique transcendante, la réalité de la structuration de l’administration comme celle du territoire est mouvante. Au cours des premières années de son existence, le ministère de l’Intérieur est marqué par une très grande instabilité dans son organisation. Le nombre de divisions et de subdivisions, l’organisation des bureaux et des effectifs administratifs témoignent d’un organigramme fluctuant (Chassagne dans Perrot et al. 1981 : 155-156). C’est avec l’Empire que s’installe un pouvoir fort et autoritaire. Celui-ci parvient alors à traduire les projets ambitieux antérieurs en des institutions efficaces comme le Code civil, les lycées, l’administration préfectorale, les recensements et le bureau de la statistique. (Desrosières 2010 : ch.1, §43)

1.2 Formes de savoir et de pouvoir à l’œuvre

Les exigences vont donc toujours plus loin dans le contrôle et la surveillance, et ce, à chaque échelon de la pyramide administrative. « En voulant tout représenter et tout définir, [cela] alimentait le fantasme d’une administration omnisciente capable de tout voir et de tout contrôler. » (Château-Dutier 2016 : T2, 589) L’époque étudiée commence donc à produire, selon un terme anachronique, des données. Ils créent le bureau de la statistique et les essais ainsi que les expérimentations du siècle précédent génèrent un intérêt grandissant pour la production d’« information » rationnelle, mesurable, et obtenue avec une méthode scientifique, à propos du territoire comme de la population et des richesses. Pour les opérations liées au contrôle, la présence et l’importance d’un bureau des Cartes et plan sont attestées dès la Commission des travaux publics en 1794 (Château-Dutier 2016 : T1, 94). Nous allons donc nous imprégner de ce mode de pensée et étudier son emploi par l’État.

1.2.1 Miroir du territoire ou de la nation

Pour connaître le territoire gouverné, la stratégie de la République s’inscrit dans la continuité de la tradition médiévale du miroir du prince. Il s’agit d’établir un « tableau général et descriptif réservé au Roi », destiné à lui montrer sa puissance, l’effet de sa grandeur et de son royaume ainsi que les limites de son action (Supiot 2015 : 131). Ce tableau descriptif peut comprendre des listes, par exemple, des régions et provinces avec des descriptions qualitatives ou quantitatives des hommes et des richesses qui s’y trouvent. Il peut également prendre la forme d’une description littéraire ou d’une carte. La notion de miroir sous-entend que la représentation, qu’il s’agisse d’un texte, d’un tableau ou d’une carte, serait un reflet de la réalité. Cette métaphore suppose transparence et vérité des faits représentés. Pour pouvoir en faire une lecture critique, il est bon de se rappeler que « la production d’une matrice cognitive est un processus politique : on peut même définir la politique comme le lieu d’interprétation de la réalité sociale. » (Moullier 2004 : 22)

Pour l’administration monarchique, la connaissance du territoire passe par la fragmentation des listes et de l’énumération (Lepetit 1990 : 440). Issues de progrès « technologiques », de nouvelles méthodes de représentation du territoire viennent ajouter des facettes à ce miroir. La cartographie et la statistique se développent considérablement entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Employées comme sciences de l’État, elles s’octroient une autorité, celle de l’État, et une légitimité, du fait de leur caractère scientifique. Si les moyens techniques employés sont validés socialement pour leur fiabilité, il ne faudrait cependant pas confondre la statistique ni la cartographie avec la réalité. La confiance acquise en ces moyens de production d’information suppose transparence et évidence, mais en supprime et oublie le long travail de construction (Desrosières 2008 : 104).

Ces instruments de vision donnent le « pouvoir de voir sans être vu » (Haraway 1998 : 581). La cartographie et la statistique représentent le monde tout en excluant celui·elle qui les regardent. L’abstraction ou l’objectivation opérée (Sabatier 2010 : 29) place l’observateur (ou l’administration) au-dessus du monde et obtient ainsi une perspective « divine » ou du moins souveraine.

Selon la perception traditionnelle de la cartographie, le rôle de la carte consiste à créer une représentation précise ou du moins objective de la réalité. Elle reflète précisément (miror accurately) des facettes d’une réalité qui serait « simple, connaissable et qui peut être exprimée comme un système de faits » (Harley 1989 : 82). De la même manière, la statistique comme le miroir objectif de la nation (Desrosières 2010: ch.1, §45). Toutefois, elle constitue un « outil essentiel de rationalisation de la conduite des affaires humaines [qui prétend] substitue[r] la raison de la mesure et du calcul à l’arbitraire des passions et au jeu des rapports de force » (Desrosières 2008 : 22).

Un double mouvement de réduction caractérise la démarche du statisticien comme celle du savant ou du cartographe. La première étape est le passage du territoire au laboratoire, réduction de la réalité à une entité mesurable et qui se résume à sa documentation par le chercheur. La seconde étape concerne le mouvement inverse : le retour du laboratoire vers la société qui est une généralisation tout aussi réductrice.

Il faut réduire la complexité du monde, pour en isoler certains aspects, en les standardisant, en les rendant comparables, et en les transportant dans un lieu organisé spécialement pour traiter des faits ainsi découpés et agrégés, et en déduire des assertions plus générales que les observations particulières initiales. (Desrosières 1997 : 54)

Le géographe John Brian Harley propose une approche critique afin de déconstruire l’illusion de l’objectivité cartographique. Le processus de déconstruction permet d’interroger les intentions dissimulées de la cartographie, de révéler de nouvelles approches de la carte et de retracer les mécanismes sociaux liés à sa production (Harley 1989). Nous employons cette idée de déconstruction des instruments de savoir dans ce mémoire, en commençant par analyser en détail le fonctionnement et le rôle de la statistique puis de la cartographie au début du XIXe siècle.

1.2.2 La statistique

La statistique est un langage nouveau contribuant à unifier l’État et à en transformer le rôle. (Desrosières 2010 : ch.8, §3)

La statistique apparaît comme outil administratif dès le XVIIIe. À cette époque, on peut la définir comme un « ensemble de connaissances particulières, quantifiées et périodiques, destinées aux administrateurs » (Desrosières 2010 :ch.1, §26). Il s’agit généralement d’un outil employé en pratique, dans un temps immédiat, dans le cadre d’enquêtes spécialisées et quantitatives, à des fins fiscales par exemple. La statistique était ancrée dans une description locale d’un territoire divers et hétérogène (Desrosières 1997 : 53).

Après la période révolutionnaire, la statistique bascule progressivement vers son sens moderne, c’est-à-dire un système de description quantitatif. Entre 1789 et 1815 se forment les outillages politiques, cognitifs et administratifs nécessaires à l’émergence d’une statistique d’État (Desrosières 1997 : 57). D’une part, la division du territoire et la construction d’équivalences préparent le terrain et les mesures. D’autre part, les pratiques statistiques, initiées au siècle précédent, se réalisent de façon plus complète grâce à une administration centralisée et rigoureusement structurée à tous les échelons (Desrosières 1997 : 57).

La statistique prétend ainsi représenter la nation de façon « objective ». Un État qui se veut républicain et égalitaire a besoin de connaître la nation afin de l’administrer. Il choisit ainsi de créer des sources d’information rationnelles, mesurables, et obtenues de façon rigoureuse et scientifique. La statistique s’érige comme la progressive construction d’une « information », issue du territoire, mais de plus en plus détachée de lui. Déterritorialisée, concentrée dans des lieux et des langages spécialisés, elle en devient autonome et comparable aux laboratoires des sciences de la nature (Desrosières 1997 : 53).

Les statistiques, tel que nous les pratiquons actuellement, sont dans la très grande majorité des cas, des statistiques établies administrativement, comptabilité régulièrement tenue, selon des règles connues. Elles sont nées, se sont développées, se sont perfectionnées autant par des nécessités administratives que par certaines exigences scientifiques (Gille 1980 : Introduction, §7)

Dès 1795 s’amorce la création d’un bureau de renseignements, première forme d’un service de la statistique (Gille 1980 : Ch2, §29). François de Neufchâteau, ministre de l’Intérieur de 1797 à 1799 « attachait une grande importance aux renseignements statistiques et que l’on sentait le besoin, après les troubles révolutionnaires, de faire le point de la situation générale du pays » (Gille 1980 : Ch2, §30). La date exacte de la création du Bureau de statistique n’est pas connue. Dans son ouvrage, Les Sources statistiques de l’histoire de France, Bertrand Gille enquête au sujet de son apparition dans les circulaires ministérielles datée de l’an IX (1801). On assiste ainsi à la naissance d’un bureau de statistique officielle dont émerge une activité de production administrative du savoir statistique.

Combinant les univers et les normes de la science avec celles de l’État moderne et rationnel, la statistique a pour finalité le service efficace de l’intérêt général (Desrosières 2010 : Introduction, §18). « Il s’agit moins de parvenir à une description globale du territoire, que de disposer d’un outil fiable pour évaluer l’action de l’État. » (Moullier 2004 : 36) Cette science est donc directement associée à la construction de l’État, qui a « grand besoin en permanence de compter et de chiffrer pour délimiter les nouvelles frontières administratives ou pour organiser les élections » (Woolf dans Perrot et al. 1981 : 58). De plus, elle est employée pour légitimer la Révolution par la démonstration et la quantification de progrès acquis depuis la fin de l’Ancien Régime. (Woolf dans Perrot et al. 1981 : 8).

Le premier exemple à cet effet concerne l’enquête des préfets de 1800. Il s’agit d’une enquête statistique monumentale qui, dans une situation de crise extrême tant économique, politique que militaire, utilise de nombreux projets de recensements et d’enquêtes approfondies pour refonder la société sur des bases nouvelles (Desrosières 2010 : ch.1, §41-42). Les préfets sont chargés d’explorer et de documenter leur département puis d’en transmettre un compte-rendu à l’autorité centrale afin de l’éclairer. S’ensuit, entre 1801 et 1805, le projet de « compiler et [de] publier une énorme topographie descriptive de la France [qui] mit la statistique au rang des premières affaires de l’État » (Woolf dans Perrot et al. 1981 : 71). Durant la dernière période de l’Empire, dès 1810-1811, l’emploi de la statistique est plus pragmatique et restreint. De conception utilitaire, elle devient un « instrument au service de la formulation d’une politique économique » (Woolf dans Perrot et al. 1981 : 8).

La procédure de comptage est l’acte central dans les statistiques. L’acte d’addition, qui permet la fusion dans un tout, implique la disparition de la singularité de l’individu. « Le graphique permet de rapprocher et de mettre en relation, sous le regard, des grandeurs séparées tant par les conditions et les lieux de leurs enregistrements que par leurs natures » (Desrosières 2008 : 124-125). L’utilisation d’un support matériel comme le papier pour le traitement de l’information offre la possibilité de déployer des capacités logiques et cognitives. L’organisation de l’information prend alors de l’importance. Une liste par exemple, aligne des personnes ou des choses et permet de traiter chaque item sur le même plan. Elle présente déjà une vue d’ailleurs et de nulle part, une position d’extériorité similaire au tableau, au graphique ou à la carte. (Desrosières 2008 : 110).

L’administration centrale emploie des tableaux statistiques, structurés par rubriques, qui ont pour objectif de mesurer l’efficacité de l’action des autorités départementales (Moullier 2004 : 36). « Il s’agissait d’être capable de descendre dans les détails, en même temps de pouvoir classer méthodiquement toutes les affaires, et de produire des analyses. Le savoir devenait l’instrument du pouvoir » (Chateau-Dutier 2016 : 215).

Fig. 1-7: https://www.public.archi/atlas-2021/img/TableauGeneralDeLaFrance_1838.jpeg
Fig. 1-7 Chandelet, Tableau général de la France embrassant les parties physique, statistique..., 1838.
gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53083011k

Ces tableaux, diffusés sous la forme de périodiques, d’atlas statistiques ou encore comme l’exemple de ce Tableau général de la France daté de 1838 (fig. 1-7), ne sont pas uniquement destinés à l’État. L’idéal d’instruction publique de la République en fait l’affaire de tous et les destine à l’usage de la nation. La statistique prétend représenter la société entière, devenant ainsi le miroir de la nation et non plus celui du prince (Desrosières 2010 : ch.1, §45). « Au lieu de servir le dirigisme, la statistique dûment diffusée par l’État lui-même, favoriserait au contraire un fonctionnement plus libre et plus harmonieux de la société civile » (Bourguet dans Perrot et al. 1981 : 134) Il s’agit de nourrir l’idéal d’une société plus égale et d’un État au service de ses citoyens.

Coquebert, professeur de statistique à l’école des Mines, propose de « transformer le bureau de la statistique en une mémoire collective pour tous les autres bureaux [...] s’il réussit à créer une collecte centrale des données, ce fut précisément l’échec de ses méthodes de traitement qui amena à la suppression du bureau » (Perrot dans Perrot et al. 1981 : 10). L’engouement pour la statistique et son utilité potentielle pour l’administration est toutefois limité par le succès relatif, voire l’échec selon certains, de la discipline. En effet, à cause d’un manque d’effectifs, d’achèvement ou de cohérence des statistiques fournies par les préfets, l’information nécessaire n’atteint pas toujours l’administration centrale à temps ou les formulaires ne sont pas dûment remplis. Parfois, au contraire, des préfets minutieux envoient de longs rapports peu pratiques pour la production de statistiques. Face aux doutes quant à l’emploi de l’information fournie, comme l’impact du recensement sur le statut des villes et des villages par exemple, on constate la présence de « choix stratégiques » dans les chiffres transmis dans les statistiques. Finalement, dans le cas de l’enquête Champagny étudiée par Serge Chassagne, il ne peut s’empêcher de qualifier le projet de « plaisanterie, puisqu’on lance une enquête et que l’on prend une décision avant les résultats... » (Chassagne dans Perrot et al. 1981 : 142)

Cette nouvelle science a néanmoins une nature tout aussi prescriptive et explicative que descriptive (Desrosières 2010 : ch.1, $35). Cela devient évident lorsqu’on examine plus attentivement le processus de quantification, de mesure, effectuée par les ingénieurs d’État. Ils suivent avec assiduité les critères de mesure émis par l’administration. Ces mesures, pourtant centrales à la production de statistiques, ne sont donc pas si objectives. Puis, ces informations, « révélées » ou « représentées » par la statistique justifient et appuient les décisions, les mesures administratives mises en place par la suite (Desrosières 2008 : 84). Ainsi, les deux utilisations du terme « mesure » permettent de rendre compte de la relation quelque peu incestueuse qui existe entre les statistiques et les décisions de l’État. Les objets mesurés ne sont pas uniquement des reflets de la réalité, mais aussi agents de transformation de celle-ci (Desrosières 2010 : Introduction, §14)

Structurant le territoire de façon pyramidale, de la commune à la capitale, cette administration fournit une statistique à son image. Elle décrit sa propre activité, plutôt que la société : la délinquance punie par la justice, la pauvreté secourue, plutôt qu’une délinquance ou une pauvreté réelle, qui seraient antérieures à ces procédures et que nul ne connaît. (Desrosières 1997 : 57)

C’est aussi pour nourrir un désir de contrôle que l’administration veut employer les statistiques. Il s’agit de rassembler des informations sur chaque ville et d’en connaître la situation budgétaire par exemple. C’est le cas, par exemple, du « tableau général de la comptabilité des grandes villes de l’Empire [que le ministre de l’Intérieur] présenta en 1813 ainsi qu’un résumé du budget de toutes les communes » (Chateau-Dutier 2016 : 215). La statistique se trouve ainsi à l’interface entre le savoir et le pouvoir, les descriptions et les décisions, le « il y a » et le « il faut » (Desrosières 2010 : Introduction, §7).

1.2.3 La pensée cartographique

Par sa fonction d’interface entre le sujet et l’objet, la carte apparaît [...] comme l’un des dispositifs fondateurs de la pensée occidentale (Jacob 1992 : 52)

La fin du XVIIIe et le début du XIXe sont également marqués par l’émergence d’une pensée cartographique (Lepetit 1988 : 122). La carte permet une représentation du territoire national, mais elle occupe également une fonction cognitive, au niveau d’actes administratifs par exemple. « Médiation visible et matérialisée générant une image mentale, la carte met peut-être en évidence une constante de notre organisation cognitive, du moins dans notre tradition culturelle : l’image inscrite et visible a plus d’impact que le discours qui la décrirait. » (Jacob 1992 : 51) Nous avons déjà relevé son rôle décisif dans la détermination des limites départementales. La matérialisation qu’offre la cartographie permit d’appuyer des plaidoyers effectués auprès du Comité de division afin d’orienter leur décision dans le découpage du territoire (Lepetit 1990 : 435).

Le changement de régime politique influe également sur la place de la cartographie. Son usage se diversifie, quitte l’espace confidentiel des stratégies militaires pour se diffuser plus largement auprès de la population et devenir un savoir public (Pelletier 1996 : 8). Comme la carte produit une description plus ou moins standardisée du territoire, elle devient, comme la statistique, un outil de prédiction pour l’administration. Le maillage départemental, cohérent et stable après 1840, est systématiquement utilisé pour faire apparaître les régularités de l’organisation spatiale des diverses parties de la France. Tout au long du XIXe siècle, des cartes thématiques, dressées à partir des statistiques du territoire, servent de support à des rapprochements, à des mises en corrélation entre les phénomènes les plus variés (Desrosières 1997 : 57).

Le découpage standardisé du territoire selon les départements, parcourus par leurs préfets, ne suffit pas, à lui seul, à la production d’une information totalisable pour la France entière. Il doit être inscrit dans un réseau administratif et matériel plus vaste, permettant de relier, de proche en proche, d’une part, l’individu, la famille, la ferme, l’atelier ou la boutique, et, d’autre part, le Bureau central responsable de la totalisation nationale (Desrosières 1997 : 55)

Fig. 1-8: https://www.public.archi/atlas-2021/img/CarteInstructionPopulaire.jpeg
Fig. 1-8 Charles Dupin (1784-1873), J. Collon (dessinateur), Carte figurative de l’instruction populaire de la France, détaché Des forces productives et commerciales de la France par le baron Charles Dupin, pl. I. . - Bf II, Bruxelles: s.n., 1826.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530830640

L’unification politique et administrative du territoire (1790) ouvre aussi la voie à un mouvement de cartographie statistique, qui s’amorce dès 1830 (Palsky 1996). L’invention de la lithographie contribue à ce déliement des utilisations et on assiste à un véritable bourgeonnement d’usages de la cartographie, pour témoigner ou argumenter autour de sujets aussi divers que l’état de l’instruction ou la criminalité. Le Baron Pierre Charles Dupin, véritable pionnier dans la représentation cartographique, crée en 1826 la première carte faisant état d’une distribution, celle du degré d’instruction de la population (fig. 1-8). S’ensuit rapidement l’idée d’une Statistique comparée de l’état de l’instruction et du nombre de crimes (Adriano Balbi et André Michel Guerry, 1829. fig. 1-9) ou de la distribution de la population (Frère Armand Joseph de Montizon, 1830, fig. 1-10)11. La cartographie dépasse la représentation topographique pour devenir thématique et s’allie aux premières études statistiques (Palsky 1996 :13). Son usage est primé pour sa capacité à exprimer des informations quantitatives et sa qualité d’immédiateté visuelle.

Fig. 1-9: https://www.public.archi/atlas-2021/img/Statistique_EducationCrime.jpeg
Fig. 1-9 Adriano Balbi (1782-1848) et André-Michel Guerry (1802-1866), Statistique comparée de l’état de l’instruction et du nombre des crimes dans les divers Arrondissements des Académies et des Cours Royales de France, Jules Renouard (1798-1854) éditeur, 1827.
La feuille se compose de trois cartes : Crimes contre les personnes, Crimes contre les propriétés, Instruction, à la même échelle de 1 : 5.250.000 environ. En souscription, dédicace de Balbi au Chevalier de Marre.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53093802z
Fig. 1-10: https://www.public.archi/atlas-2021/img/CartePopulation_1830_Montizon.jpeg
Fig. 1-10 Armand-Joseph Frère de Montizon (1790-1859), Carte Philosophique figurant la Population de la France, 1830.
1 feuille, 490 x 335. Les Points signalent la population, 1 pour 10. 000 têtes. Les chiffres indiquent les départements et leurs Chefs-lieux. Les Lettres désignent les principaux fleuves. A droite et à gauche, index des départements avec le chiffre de leur population. En haut et en bas : notes, citations de Montesquieu, de Buffon.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8492261j

La corrélation entre cartographie et statistique n’est pas ancrée dans le temps présent. Au contraire, il s’agit d’utiliser des mesures qui ont été prises dans le passé dans le but de planifier, et en quelque sorte prévoir, le futur (Chapel 2010 : 21). En effet, la carte statistique contient une foule de projections et de conceptions théoriques considérée comme vraies afin de réunir les « condition[s] de possibilité d’un projet sur l’espace qui se veut à la fois objectif et prédictif » (Chapel 2010 : 13). Ces outils de mesure, ces instruments de savoir, permettent la naissance de l’urbanisme. L’abstraction présentée par la carte et la statistique permet de saisir et comprendre la ville, puis de projeter et de contrôler. Le Conseil des bâtiments civils examinera d’ailleurs les plans d’alignement des villes en vertu de la loi sur l’assèchement des marais de 1812. Les données chiffrées, tout d’abord recueillies et spatialisées, puis juxtaposées et comparées, révèlent des constantes et donc des principes pouvant ramener l’apparent désordre urbain à une raison supérieure et globalisante (Chapel 2010 : 21)

Toutes ces visualisations thématiques entraînent une véritable dissection de l’image de la ville, qui permet de saisir et de débattre des questions d’hygiène, de circulation et d’aménagement au moment où l’espace urbain est de plus en plus pensé en termes d’équipements et de réseaux (Picon, Robert, 1999 dans Chapel 2010 : 20)

Cette cartographie reste cependant, tout comme la statistique, au service de ses commanditaires. Pelletier, citant Palsky, insiste bien que « les premières cartes thématiques du XIXe siècle sont ainsi ’’moins spectacles ou inventaires que moyens de persuasion’’ » (Pelletier 1996 : 7). Il s’agit de présenter une vision du monde à partir de laquelle prendre des décisions (Besse 2006 : 5). On peut ainsi comprendre l’engouement pour l’usage de la carte par les administrations (Verdier 2005 : 2). Son emploi régulier à des fins précises mène à la « mise en place d’une nouvelle grammaire figurative du territoire » (Verdier 2015 : 13). La première moitié du XIXe siècle est donc pleinement investie d’une pensée cartographique dont les formes et les usages connaissent une expansion sans précédent. Comme le résume bien Pelletier, « en France, cartographie et pouvoir ont longtemps été indissociables » (Pelletier 1996 : 8).

Ainsi se révèle la « carte comme objet de savoir-pouvoir » (Besse 2006 : 5). La présence ainsi que l’utilisation gouvernementale de la cartographie et de la statistique à l’époque sont indubitables. En classant et en analysant ces informations, il s’agissait de produire un savoir sur le territoire, employé ensuite comme instrument de pouvoir dans l’affirmation d’un État-nation (Château-Dutier 2016 : T1, 215).

1.3 Le Conseil des bâtiments civils

Produit de l’administration centrale, l’architecture publique emploie les instruments de l’État tels que la cartographie et la statistique. Parmi les nombreuses interactions entre l’administration, le territoire et l’architecture, cette dernière a une place particulière. Elle héberge l’action de l’administration dans ses édifices et incarne le pouvoir dans l’espace physique du territoire. Elle est distribuée sur le territoire, mais agit sur lui également en le modelant progressivement à son image.

Nous allons à présent détailler l’historiographie du Conseil des bâtiments civil. Il s’agira notamment de présenter le fonctionnement de cette administration et d’élucider les logiques du projet architectural qu’elle a instaurées. Cela nous permettra également de souligner la dimension politique de l’architecture publique et d’identifier les moyens utilisés jusqu’à présent pour l’étudier.

1.3.1 L’administration de l’architecture publique

Issu de la centralisation administrative imposée par le Gouvernement révolutionnaire, le Conseil des bâtiments civils est un organe consultatif établi auprès du ministre de l’Intérieur. Formé en 1795, il est à l’origine d’une politique d’équipement, qui permit à la France révolutionnaire de se doter des édifices institutionnels nécessaires au nouveau Régime.

La rationalisation de la politique architecturale opérée au moyen d’une centralisation des affaires s’appuyant sur un découpage administratif très hiérarchique allait permettre, en moins d’un demi-siècle, de fournir aux nouvelles institutions françaises les édifices nécessaires à leur exercice et d’inscrire leur existence symbolique dans le bâti (Château-Dutier 2016 : T1, 27)

Les membres du Conseil des bâtiments civils sont des architectes renommés, généralement prix de Rome, « dépositaires d’un savoir technique spécifique, qui faisait très largement encore défaut à l’administration » (Chateau-Dutier 2016 : 198). Leur tâche consiste à veiller sur la production architecturale de l’État, garant de l’utilité, de la nécessité et de la qualité des ouvrages afin d’assurer leur légitimité. Ces actions engendrent progressivement la codification d’une typologie définissant l’apparence, la situation et la structure des édifices publics. Ce fonctionnement marque un « vrai bouleversement dans l’organisation de la commande d’architecture publique » (Chateau-Dutier 2016 : 112).

Étudier l’administration de l’architecture publique au XIXe siècle c’était d’abord s’intéresser à la politique architecturale de l’État. La création d’une administration des Bâtiments civils fut le premier moyen pour celui-ci de mettre en œuvre une telle politique. Au sortir de la Révolution, la nouvelle République, puis les différents régimes politiques qui se succédèrent cherchèrent à se doter d’une politique d’architecture publique dont le service des Bâtiments civils et son Conseil furent les principaux instruments. (Château-Dutier 2016 : T2, 680)

Ces architectes-fonctionnaires ont pour tâche d’assister le ministre de l’Intérieur dans la prise de décision sur des projets d’architecture publique projetés dans toute la France. En effet, la centralisation administrative de l’époque requiert, pour tout projet d’architecture publique dépassant une somme relativement modique, d’obtenir l’accord du ministère de l’Intérieur avant de le réaliser12. L’administration des bâtiments civils procède ainsi à « l’examen des projets et des budgets de tous les édifices projetés sur les fonds du gouvernement à Paris et en province » (Chateau-Dutier 2016 : T1, 49). Elle recevait les dossiers soumis par les localités, puis les membres du conseil se les répartissaient. Ils rédigeaient ensuite un rapport parfois accompagné d’une recommandation pour chaque affaire soumise à leur examen (fig. 1-11). Au cours des séances du Conseil, après avoir entendu le rapporteur, l’assemblée délibérait et produisait un avis en fonction de l’adéquation des projets aux besoins et au budget de l’État (Château-Dutier, 2016 : T1, 27). Cet avis était ensuite transmis au ministre, puis redescendait les échelons administratifs jusqu’à la localité en question.

Fig. 1-11: https://www.public.archi/atlas-2021/img/1-11.jpg
Fig. 1-11 Alexandre-Jean-Baptiste-Guy de Gisors (1762-1835), Détails faits par le soussigné qui sont en calque à son rapport concernant un projet d’établissement thermal au Mont Dore (Puy-de-Dôme), séance du 18 avril 1814. Dessin sur calque à l’encre noire et rouge, lavis gris et rose. Paris, Bibliothèque de l’Institut, Ms. 1044.

Grâce à cette connaissance et à cette surveillance, les architectes du Conseil et le ministère de l’Intérieur purent établir une politique d’équipement guidant l’aménagement des édifices institutionnels nécessaires à l’assise du pouvoir sur le territoire. L’architecture publique atteignit ainsi un « niveau de contrôle jamais envisagé, ou même rêvé jusque-là, par les institutions » (Chateau-Dutier 2016 : T1, 48). La collaboration entre les autorités locales et le pouvoir central permit la dénonciation des entrepreneurs négligents comme la valorisation de ceux dont le travail était loué (Chateau-Dutier 2016 : T1, 50). Les exigences du Conseil des bâtiments civils, notamment la production de plans d’alignements, et les détails requis dans les plans architecturaux qui leur étaient envoyés, documentent bien leur désir de contrôle et de surveillance (Château-Dutier 2016 : T2, 589).

Au conseil et à l’administration des Bâtiments civils était associé un bureau des cartes et plans (Chateau-Dutier 2016 : T1, 94). On y classait et conservait notamment les plans d’alignements et les autres plans associés à des interventions urbanistiques, les cartes qui situaient les bâtiments dans la ville et les plans d’architecture. Il y avait également un service de « levées et formation des cartes » (Chateau-Dutier 2016 : T1, 96). S’il s’agit là de cartes à l’échelle locale, nous émettons l’hypothèse que le bureau des Bâtiments civils recevait également des cartes à l’échelle nationale, puisque nous en avons trouvé un exemplaire de 1814 qui leur est directement adressé (Fig. 1-12). Ces cartes offrent un regard d’ensemble sur le territoire et tracent les limites administratives lors des évolutions du territoire, comme pour celle suivant le traité du 31 mai 1814.

Fig. 1-12: https://www.public.archi/atlas-2021/img/Carte_CBC_btv1b8445701j.jpeg
Fig. 1-11 (Signé : Chemot, ingénieur), Royaume de France, suivant le traité signé le 31 mai 1814, 1814.
1 feuille en couleur, 42 x 28cm,https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8445701j

En raison de leur profession d’architecte, les membres du Conseil des bâtiments civils privilégient probablement une pensée visuelle et l’organisation spatiale. Ils emploient des indicateurs graphiques de façon complémentaire à leur argumentaire.

« En rédigeant une esquisse, le rapporteur s’exprimait dans le langage figuré des architectes en évitant des discours compliqués pour exprimer ses corrections. Certains rapports font donc explicitement référence à des alternatives dessinées comme complément du commentaire architectural. » (Château-Dutier 2016 : T2, 607).

Le bureau des cartes et des plans, au même titre que les archives documentaires, assure la disponibilité des pièces nécessaires à leur travail quotidien (Château-Dutier 2016 : T2, 641). Le Conseil favorise également la prise de décisions rationnelles dans la distribution des biens et des services, comme le montre l’exemple suivant. Le ministre avait exprimé la volonté d’employer un maximum d’artistes et de rationaliser les choix dans les nominations, tant au niveau économique que pour la distribution des mandats.

Afin de garantir l’équité dans l’accès aux places, le Conseil des bâtiments civils à la séance du 17 nivôse an IV (6 janvier 1796) décidait de « de former un tableau sur lequel seront inscrits les noms de ces artistes lequel sera mis sous les yeux du Conseil qui le consultera chaque fois qu’il y aura quelque emploi à donner, afin de désigner pour le remplir, celui qui réunira le plus de titres à cet effet » (A.N., F21* 2470, Registre des Procès-verbaux du Conseil des bâtiments civils, séance du 17 nivôse an IV [6 janvier 1796], n° 33, p. 11. Les articles F13 331 et 332 sont probablement le résultat de ce travail... dans Chateau-Dutier 2016 : T1, 141)

Si l’administration des bâtiments civils ne pratiquait pas une statistique officielle, son fonctionnement « comptable » a été documenté à travers son fonctionnement bureaucratique et la tenue de procès-verbaux quasi systématiques et de registres d’ordre. On peut également imaginer qu’ils disposaient d’un savoir spatial, lié à leur expérience, qui leur permettrait de mettre en lien les projets et leur distribution sur le territoire. Ils peuvent ainsi penser le projet architectural de la nation comme un métaédifice, sans que cela se traduise concrètement en des tableaux statistiques ou des cartographies thématiques, des techniques encore trop expérimentales et très coûteuses en temps à l’époque.

« La politique architecturale se définissait alors comme une action centralisée et unificatrice qui se traduisait par une spatialisation du territoire à travers la production d’un maillage d’équipements. » (Chateau-Dutier 2016 : 263) Les équipements monumentaux transforment la ville, car ils sont l’inscription des pouvoirs dans l’espace (Teyssot 1978 : 94). Pouvoir et territoire s’articulent donc par la pensée cartographique pour mettre en place des stratégies à l’échelle des villes et de la nation.

1.3.2 Archives du projet architectural de la Nation

Les dossiers du Conseil des bâtiments civils sont conservés aux Archives Nationales puisqu’ils sont issus de l’administration des bâtiments civils du ministère de l’Intérieur (fig. 1-13 et fig. 1-14). Parmi les documents produits par le Conseil des bâtiments civils se trouvent les dossiers soumis par les localités et évalués par un rapporteur, progressivement enrichis par les commentaires, avis et notes laissées par les administrations par lesquelles ils sont passés.

Fig. 1-13: https://www.public.archi/atlas-2021/img/1-13.png
Fig. 1-13 Cartons de la sous-série, F21. Paris, Archives Nationales de France.
Fig. 1-14: https://www.public.archi/atlas-2021/img/1-14.jpg
Fig. 1-14 Registres des procès-verbaux du Conseil des bâtiments civils. Paris, Archives nationales de France.

Il existe également une version de ces documents qui est, de surcroît, spécifique aux avis du Conseil. Il s’agit des procès-verbaux des séances du Conseil des bâtiments civils, lors desquelles le secrétaire prenait des notes méticuleuses des discussions émises au sujet des différents dossiers traités. Ces procès-verbaux sont donc des archives particulièrement précieuses pour étudier la production des bâtiments civils dans son ensemble et pour l’envisager « comme le résultat d’une politique concertée de l’équipement conduite de manière centralisée pendant plus d’un demi-siècle » (Château-Dutier 2016 : T2, 680). En étudiant l’ensemble de l’activité du Conseil, il nous semble possible de déterminer les priorités qui ont orienté ses décisions.

Le Conseil des bâtiments civils a souvent été dépeint par les historien·ne·s comme une « institution guidée dans l’application rigoureuse d’un dogme néoclassique » (Château-Dutier 2016 : T2, 679). François Loyer, dans son important ouvrage sur l’architecture française, va même jusqu’à décrire le Conseil comme l’initiateur d’une « véritable dictature architecturale de la capitale sur le reste du pays » (Loyer 1999 : 34). Cependant, l’examen approfondi de son activité, mené par Emmanuel Château-Dutier dans sa thèse, conduit à nuancer ces critiques et révèle des « avis mesurés et surtout relativement ouverts à l’innovation architecturale et technique » (2016 : T2, 679). Ses préoccupations sont plutôt d’ordre économique, relatives à l’utilité, la solidité ou l’urgence du travail (Château-Dutier 2016 : T1, 128).

Dans l’examen des projets d’édifices, ses avis se caractérisent par un réel libéralisme. Chargé d’une mission de contrôle de la qualité architecturale, le Conseil des bâtiments civils s’aventura en réalité rarement sur la question du style. En conformité avec les missions qui lui étaient assignées, le contrôle exercé sur les projets se révèle plus technique qu’esthétique. (Château-Dutier 2016 : T2, 680)

Ce contrôle technique effectué par le Conseil des bâtiments civils est centré sur « les équipements monumentaux, transparents, lisibles dans leur apparence d’objets ’’réguliers’’ [qui] transforment la ville en ville-programme, en ville-équipement » (Teyssot 1978 : 94). Aux yeux du gouvernement, la ville se mue en un système de services, où l’architecture se charge également de l’inscription des pouvoirs dans l’espace. Il est notamment question de mettre en place des mesures d’hygiène, notamment en lien avec la présence, la circulation et l’abattage animal, d’élargir les rues pour faciliter la circulation, de mieux contrôler et surveiller les marchandises comme les hommes (Fortier 1978 : 84). Il faut donc produire l’équipement collectif et urbain, à l’aide d’une bureaucratisation de l’architecture et d’une typologie de plus en plus définie des bâtiments, pour répondre aux politiques de rationalisation et de réorganisation économique mise en place par le ministère de l’Intérieur. C’est la mise en place d’un « système scientifique de gouvernement, basé sur une information uniforme et homogène, et [d’]un mode de communication entre pouvoir central et autorité locale qui sera un des moteurs de la Rationalisation. » (Teyssot 1978 : 87)

Bruno Fortier lie cette logique de l’équipement à une quantification du projet architectural. Les décisions d’architecture sont soumises à une économie du projet, tant sur les coûts que dans la gestion, pour maximiser l’efficacité des équipements (1978 : 85). Il s’agit de penser les bâtiments pour répondre à des besoins de l’administration et de la population. « L’équipement se définit donc comme un outil dans une politique urbaine dont la population est à la fois un préalable (qu’il faut protéger et connaître) et une cible (dont on doit encadrer la vie). » (Fortier 1978 : 83) Les bâtiments sont pensés et évalués selon leur rendement ou leur efficacité, tant du point de vue économique que fonctionnel. L’administration se charge de prévoir, évaluer, programmer et contrôler l’architecture, ce qui mène à la « définition d’une politique de l’aménagement des villes qui s’est inscrite dans la réalité du territoire » (Lepetit 1988 : 257). L’architecture est l’objet d’une politique ainsi que vecteur du pouvoir dans l’espace.

1.3.3 Approches quantitatives et spatiales

Les rapports entre territoire et pouvoir peuvent être analysés de différentes façons. Nous pouvons reprendre l’exemple du « maillage départemental [qui] assure, avec l’uniformisation du territoire, son unification politique » (Lepetit 1990 : 435). Teyssot qualifie cette division du territoire comme une « traduction spatiale, à l’échelle territoriale, d’un pouvoir [...] au niveau économique, avant de s’imposer également comme pouvoir politique et administratif » (Teyssot 1978 : 86). On observe également que la formation de cet État-nation passe par des stratégies territoriales architecturales. Analysées par Fortier dans la distribution des équipements de certains projets du Conseil des bâtiments, ce dernier dénonce un « régime constamment politique dans lequel s’est trouvé l’équipement à partir du XIXe siècle » (1978 : 85). Les actions du Conseil des bâtiments sont issues d’une logique d’ensemble et ne doivent pas être analysées à l’échelle individuelle.

La production des bâtiments civils, qui peut parfois être jugée ennuyeuse ou répétitive prise isolément, doit plutôt être envisagée de manière globale comme le résultat d’une politique concertée de l’équipement conduite de manière centralisée pendant plus d’un demi-siècle. (Château-Dutier 2016 : T2, 680)

La documentation systématique présente dans les archives et les procès-verbaux du Conseil sont des données quantifiables. « L’objet statistique est d’autant plus facile à saisir qu’il est déjà comptabilisé » (Gille 1980 : introduction, §31). Ces documents peuvent donc servir de source statistique et l’action du Conseil des bâtiments civils devient, en ce sens, mesurable. Nous pouvons donc envisager d’étudier les « données », d’en produire une forme de statistique et de les cartographier pour en explorer les dimensions spatiales.

Une telle entreprise analytique a déjà été tentée, il y a plus de trente ans et à deux reprises, par Georges Teyssot et par Bernard Lepetit. Le premier s’est penché, en collaboration avec le géographe Gilbert Érouard, sur les index des affaires traitées par le Conseil des bâtiments civils entre 1801 et 1851 (Teyssot, 1978). Teyssot et Érouard ont ainsi produit des graphiques qui situent ces affaires dans l’espace et dans le temps en les classant suivant leurs destinations (édifices culturels, prisons ou écoles, par exemple). Bernard Lepetit s’est quant à lui intéressé aux projets soumis au Conseil des bâtiments civils portant sur le développement des villes et sur leurs politiques d’aménagement (1988). Dans ces deux cas, les recherches ont engendré des évaluations quantitatives et la production de cartes thématiques à partir de la consultation des archives, ces deux pratiques ayant pour but d’approfondir les connaissances sur le travail du Conseil et son impact sur le territoire.

Fig. 1-15: https://www.public.archi/atlas-2021/img/TeyssotErouard_1978.jpg
Fig. 1-15 Gilbert Érouard, Tableaux de distribution des projets par département de 1800 à 1851: Écoles et édifices judiciaires, analyse quantitative de Georges Teyssot et Gilbert Érouart, dans Georges Teyssot, « La Ville-équipement, la production architecturale des bâtiments civils 1795-1848 », Architecture, Mouvement, Continuité, n° 45, 1978, p. 89.

Malgré tout l’intérêt de la collaboration interdisciplinaire entre Georges Teyssot et Gilbert Érouard, leurs cartes s’avèrent peu informatives en raison du choix de ces auteurs d’étudier la distribution des projets sur le territoire selon leurs types architecturaux à une échelle départementale (fig. 1-15). La faiblesse de ces cartes s’explique par le contexte historique : penser l’architecture publique sous l’angle de l’équipement amenait le Conseil des bâtiments civil à la concevoir comme un système de services à répartir équitablement sur le territoire (Fortier, 1978 : 82). La République avait en effet eu pour but de créer une unité fondamentale en privilégiant l’égalité entre les régions à travers la création de départements (Lepetit, 1990 : 442). Il y avait donc peu de chance que l’un d’entre eux, nouvellement équipé d’une maison centrale de détention ou d’un lycée, par exemple, ait rapidement besoin de construire un autre établissement de ce genre. La comparaison entre les départements ne présente ainsi que peu de variantes, lesquelles s’expliquent sans doute mieux par les différences démographiques existant entre les régions ou par la chronologie des investissements que par une quelconque influence des actes du Conseil des bâtiments civils. Toutefois, même si l’on peut regretter qu’ils ne procèdent pas de manière plus détaillée à l’étude des résultats quantitatifs qu’ils ont obtenus ou à l’analyse des cartes et graphiques qu’ils proposent, le travail de Teyssot et Érouard n’en reste pas moins pionnier dans l’étude rapprochée et continue des archives du Conseil des bâtiments civils.

Fig. 1-16: https://www.public.archi/atlas-2021/img/Lepetit_1988.jpg
Fig. 1-11 Répartition des projets examinés par le Conseil des bâtiments civils (an IV -- 1851), 1988, Bernard Lepetit, dans Bernard Lepetit, Les villes dans la France moderne : 1740-1840, Paris, Albin Michel, 1988, p. 259.

Bernard Lepetit, quant à lui, compare la distribution des équipements publics et le niveau de développement des départements et des communes entre 1795 et 1851 (Fig. 12). À travers une analyse statistique détaillée, ce chercheur est notamment parvenu à démontrer que « généralement, les équipements publics neufs ou reconstruits sont, dans la première moitié du XIXe siècle, plus nombreux dans les départements les plus riches et les plus peuplés » (Lepetit, 1988 : 258). Il observe cependant que les communes rurales sont plus susceptibles de s’équiper si l’exploitation des propriétés collectives telles que les bois et les forêts leur en fournit les moyens financiers (259). En dépit de ces premiers résultats prometteurs, le décès prématuré de l’historien est venu mettre un terme à ses recherches, lesquelles n’ont, encore à ce jour, pas été approfondies.

Conclusion

L’observation des écueils des travaux de Bernard Lepetit et Georges Teyssot suffit pour mettre en évidence le potentiel d’une analyse quantitative et spatiale des archives du Conseil des bâtiments civils. Également conscient·e·s de la présence et du fonctionnement d’un raisonnement quantitatif au sein du gouvernement et de son administration, nous pourrons plonger dans l’œuvre du Conseil des bâtiments civils avec une perspective, certes contemporaine, mais de nature similaire, puisque cartographique et quantitative. Ainsi, nous nous attendons à révéler certaines politiques d’équipements qu’il a instaurées et dont on ne saurait comprendre le sens sans s’imprégner de cette pensée quantitative et cartographique.

De plus, la présentation du contexte nous a permis de comprendre les modes de raisonnement et de pensée à la première moitié du XIXe. La progression des techniques et des outils, de cartographie et de statistique, mènera au cours du siècle vers la production de cartographies thématiques et de graphiques qui nous sont très familiers aujourd’hui. Expérimenter avec les outils désormais disponibles s’avère d’autant plus intéressant sachant que c’est l’échec des méthodes de traitement qui déçut et mena parfois à la suppression du bureau de la statistique13 (Perrot et al. 1981 : 10). Nous pouvons désormais envisager de poursuivre des recherches prometteuses qui peuvent être renouvelées grâce à l’apport de nouvelles technologies.

Chapitre 2 Les données CONBAVIL

Dans le chapitre précédent, nous avons établi le potentiel et la pertinence d’une approche quantitative et spatiale des archives du Conseil des bâtiments civils. Le traitement systématique des procès-verbaux du Conseil des bâtiments civils, réalisé entre 1988 et 2009 par une équipe du Centre André-Chastel14 dirigée par Françoise Boudon et Werner Szambien (2009) permet désormais d’aborder d’une manière renouvelée l’approche quantitative de son activité. Les chercheur·se·s procèdent au dépouillement analytique est effectué sur les 26’900 rapports consignés dans les 66 premiers registres des procès-verbaux (1795 à 1840) des séances du Conseil des bâtiments civils. Ce projet pionnier produit l’une des premières bases de données en histoire de l’art. Il est donc d’autant plus intéressant d’étudier sa mise en place et son déroulement.

Ce chapitre est conçu comme une étude critique de la forme et du contenu des données de CONBAVIL. Nous allons tout d’abord présenter le contexte de mise en place du projet de base de données dans les années 1980, puis nous passerons ensuite au peigne fin la transformation des archives en données afin d’arriver à une compréhension approfondie de notre matériel de recherche. Ensuite, nous poursuivrons avec la question de l’emploi des bases de données en histoire. Nous étudierons les modes d’accès à une base de données et l’interface actuelle pour l’interrogation de CONBAVIL. Cela nous aidera notamment à identifier les apports (ou affordances), mais aussi les limites de l’interface de recherche présentement disponible. Cette analyse servira également à nourrir la réflexion et à identifier les besoins quant à la conception d’une nouvelle interface pour CONBAVIL. Finalement, nous passerons en revue une série d’enjeux théoriques et pratiques qui supporteront nos expérimentations à venir avec les données.

En amont des particularités de notre base de données, nous revenons sur le terme « données », qui sonne intrinsèquement comme un fait, quelque chose qui « est donné ». Pour contrer cet effet, la chercheuse et digital humanist Johanna Drucker martèle « all data is capta » (Drucker 2013 : 129). Par ce changement de terminologie, elle souhaite souligner le cadre interprétatif sous-jacent à la captation des données. Dans ce mémoire, nous nous attellerons à déconstruire la « rationalité scientifique » associée aux données. La lecture rapprochée du contenu de CONBAVIL et des moyens pour y accéder sera effectuée par la pratique. Nous employons, tout au long de ce chapitre, des exemples issus de la base de données pour présenter son contenu ainsi que sa forme.

2.1 Créer une base de données

2.1.1 La naissance d’un projet

Documenter des archives

Le fort intérêt que présente le fonds d’archives du Conseil des bâtiments civils a justifié une initiative de mise au point de leur utilisation par des chercheur·se·s du Centre André-Chastel. L’objectif est de faciliter l’accès au contenu de ces archives, particulièrement en l’absence d’un répertoire détaillé, tout en les préservant de l’usure causée par leur consultation régulière (Boudon Szambien 1990 : 2). Les chercheur·se·s doivent commencer par choisir un procédé adapté à leurs besoins. À la fin des années 1980, une solution populaire pour lutter contre l’usure des documents est de se tourner vers la reproduction mécanique comme des microfilms afin de préserver les originaux15. Pour ce qui est de faciliter l’accès à leur contenu, la pratique courante consiste à produire un répertoire numérique détaillé ─ le terme « numérique » est employé au sens de « numéroté ». Cet instrument de recherche archivistique permet aux chercheur·se·s de facilement identifier les cotes des documents à consulter. Il contient des descriptions formelles des documents qui composent le fonds d’archives16. Il ne présente toutefois que des indications limitées sur le contenu des archives. La vocation de cet instrument est descriptive, il s’agit de faciliter la découvrabilité des fonds et ainsi la recherche.

Une option pour approfondir l’accès au contenu consiste à l’indexer en produisant un dépouillement signalétique des archives. Cela signifie parcourir l’ensemble des documents pour produire un index des lieux, des types architecturaux ou des personnes mentionnées par exemple. Les chercheur·se·s peuvent ainsi cibler les documents dont le contenu semble pertinent pour la consultation. Il est possible de produire certaines analyses ou d’élaborer des hypothèses à partir d’un index17. En revanche, il·elle·s doivent tout de même accéder aux archives pour approfondir le sujet, car l’index ne présente pas d’information détaillée ou contextuelle sur le contenu. L’indexation étant très chronophage, ce n’est que rarement l’approche adoptée par les archivistes.

Les chercheur·se·s du Centre André-Chastel ont cependant choisi une approche encore plus poussée en procédant à un dépouillement analytique. Ici, il s’agit d’extraire méthodiquement des caractéristiques de chaque entrée dans les registres. Guidé par des questions de recherches, ce processus présente une véritable valeur scientifique (Szambien et Boudon 1990 : 3). Le contenu produit est beaucoup plus riche que l’index ou le répertoire détaillé, car il documente les caractéristiques avec une plus grande variété et plus en détail. Cette forme de dépouillement réduit ainsi les besoins de consultation des archives. Il s’agit également d’une approche plus analytique qu’une retranscription complète des documents, car la normalisation des contenus ─ des types architecturaux ou des décisions du conseil par exemple ─ les rend comparables malgré les différences de formulation. L’option d’un dépouillement analytique apparaît donc comme un « investissement plus coûteux en temps, en argent, mais infiniment plus stimulant pour l’esprit » (Szambien et Boudon 1990 : 3). Ce type de dépouillement fonctionne également comme une sorte de mémoire externe aux documents. En effet, un·e chercheur·se retire des connaissances à une échelle individuelle lors de sa consultation des archives. Le fait de procéder à un dépouillement analytique enregistre formellement un certain nombre de ces informations et les rend accessibles à toutes les personnes ayant accès à ce dépouillement.

Une approche quantitative et informatique

Le choix d’un dépouillement analytique reflète également un intérêt des chercheur·se·s du Centre André-Chastel pour une approche quantitative. En effet, si l’histoire de l’art quantitative est encore un champ sous-exploré (Joyeux-Prunel 2008), l’avènement de l’histoire quantitative et de l’école des Annales a inspiré des recherches dont l’approche vise à être moins événementielle et d’avantage sociale ou économique. Cette orientation s’est accompagnée d’un nouvel emploi de sources telles que les archives départementales pour favoriser une représentation de l’ensemble du tissu social. Par exemple, la Rencontre des historiens du Limousin s’attelle, par le dépouillement de tables de l’état civil de chaque commune, à l’étude des prénoms dans le département sur plus d’un millénaire (Pérouas et al. 1984 : 4).

Les premiers dépouillements des registres du Conseil des bâtiments civils, effectués par les historiens Bernard Lepetit et Georges Teyssot durant les années 70 et 80, attestent de l’intérêt d’une approche quantitative à partir de ce fonds d’archives. Toutefois, l’utilisation d’outils informatiques pour travailler avec un fonds d’archives reste singulière au milieu des années 80 en histoire de l’art. Malgré une utilisation de plus en plus quotidienne, la micro-informatique n’a pas encore été mise au service de la discipline. Hormis les travaux pionniers engagés par Jacques Thuillier au Collège de France, depuis 1978, peu de projets numériques ont été engagés en histoire de l’art en dépit de son potentiel pour « modifier l’échelle des recherches, et du même coup leur nature » (Thuillier 1992 : 5). C’est un appel d’offres du ministère de l’Équipement qui stimule l’intérêt des chercheur·se·s en histoire de l’art pour la production d’une base de données.

Au moment où le projet est conçu, il était alors devenu évident que l’intérêt d’un dépouillement analytique serait décuplé par l’informatique. « Un dépouillement informatisé permet non seulement d’enregistrer, mais surtout de traiter la masse énorme d’informations contenues dans ces rapports et de diffuser les résultats obtenus » (Szambien et Boudon 1990 : 3). Cette transformation des archives en une base de données permet également de les appréhender comme un tout. Plutôt que de consulter les archives une page après l’autre, il devient possible de se doter d’une vue « distante » : les documents peuvent être « étudiés dans leur ensemble[. Ils] offrent une vision continue, dans l’espace et dans le temps, et détaillée de l’activité architecturale » (Szambien et Boudon 1990 : 10). La structuration du contenu le rend comparable, ce qui permet ensuite son analyse en tant que phénomène dont les dynamiques (ou tendances) ─ spatio-temporelles ou typologiques ─ pourront être révélées. « En traitant tous les rapports selon une analyse informatisée, on les a rendus, en bloc, supérieurs à ce qu’ils sont chacun dans leur individualité, c’est-à-dire comparables » (Boudon 2009 : 13). Ces nouveaux moyens techniques impliquent cependant un véritable renouvellement des méthodes de production de connaissances.

2.1.2 La conception de CONBAVIL

En premier lieu, il fallut décider quels outils et moyens techniques employer pour effectuer le dépouillement analytique des procès-verbaux du Conseil des bâtiments civils, notamment dans le choix d’un format de données et d’un logiciel adapté. S’ensuivit la création de la grille d’analyse pour modéliser le contenu des archives dans un système de gestion de base de données (SGBD). Il s’agit de la construction d’un modèle abstrait dont le système d’équivalence (normes et structure) rend les éléments individuels comparables. Finalement, une fois ce modèle défini, advient l’entrée des données dans le système. Nous analysons ici ces trois étapes qui ont déterminé les bases du projet.

Le choix du logiciel

À l’aube du processus de création d’une base de données, il faut commencer par étudier le choix de moyens techniques et de logiciels disponibles afin de sélectionner le plus approprié. Les logiciels disposent tous d’avantages et d’inconvénients, dans la forme du contenu tout comme dans leur utilisation. Pour CONBAVIL, les critères de sélection identifiés par les chercheurs du Centre André Chastel sont les suivants : le logiciel doit être « facile à manier et assez puissant pour engranger une masse de données distribuées en un grand nombre de champs indexés ou rédigés et permettre des questionnements croisés » (Boudon 2009 : 8). Parmi les qualités recherchées, on identifie d’une part la simplicité d’utilisation, puisqu’elle sera manipulée par des historien·ne·s dont la formation en informatique sera nécessairement limitée. D’autre part, la puissance technique séduit, face à la quantité de données à enregistrer --- on pouvait probablement estimer qu’il y aurait plusieurs milliers d’entrées --- tout comme pour la consultation des informations ainsi recueillies.

La décision des chercheur·se·s s’arrête sur le choix du logiciel documentaire TEXTO, employé à l’époque pour la gestion de la plupart des bases de données de l’INRA (Vouteau 2005 : 18) et divers autres projets documentaires dans l’enseignement supérieur en France. TEXTO est une base de données dite « à plat », contrairement aux bases de données employées aujourd’hui qui sont de type relationnel. Cela signifie qu’il est limité à la gestion d’une entité principale, ici le procès-verbal, qui va recevoir des descriptions avec des propriétés. Le choix des propriétés est ainsi crucial, car celles-ci doivent contenir la totalité des éléments issus du dépouillement que l’on souhaite enregistrer dans la base de données. TEXTO ne contient ainsi qu’une seule table, dont chaque ligne représente une entrée dans un procès-verbal et les colonnes les propriétés le décrivant.

Si ce système semble s’apparenter à l’utilisation d’un tableur Excel, il s’en distingue nettement dans son fonctionnement. D’une part, les données sont structurées et normées par le modèle abstrait. D’autre part, c’est la puissance et l’efficacité pour effectuer des recherches dans un très grand nombre de données qui caractérise les bases de données. Le modèle abstrait, employé avec un langage de requête structuré (structured query language), permet de définir avec précision les valeurs des propriétés qui nous intéressent dans la base de données. Par exemple, pour trouver toutes les prisons dans CONBAVIL, on peut sélectionner toutes les entrées dont la propriété « typeArchitectural » a pour valeur « prison ». Il faut donc garder à l’esprit que les propriétés servent à retrouver des entrées dans la base de données une fois celle-ci complétée.

Création de la grille de dépouillement

Le principe des logiciels de base de données se distingue par une dissociation entre le modèle abstrait et l’implémentation technique, c’est-à-dire l’entrée physique des données. La première étape détermine l’ensemble du projet : la modélisation. Il s’agit de concevoir un schéma qui définit les entités représentées dans le modèle, leurs propriétés ainsi que les liens entre entités. Pour nos procès-verbaux, l’entité choisie est le procès-verbal. Les propriétés sont des éléments qui seront extraits lors du dépouillement analytique, tels que le lieu ou la toponymie du projet architectural en question.

Il faut également penser ces critères de description à partir des archives à dépouiller. Ce sont des textes manuscrits, plus précisément une série de procès-verbaux structurés par séance et délibérations (composées d’un rapport et d’un avis), avec quelques annotations en marge (fig. 2-1). Ces procès-verbaux sont produits dès la création du Conseil en 1795 et le modèle de base de données doit pouvoir prendre en compte leur évolution à travers le temps, jusqu’en 1840 18. Pour ce faire, l’équipe a d’abord procédé par carottage pour obtenir un échantillon des procès-verbaux à différentes époques. L’étude rapprochée de cet échantillon a permis de prendre en compte les changements éventuellement intervenus dans la source ou le processus administratif au cours du temps.

Fig. 2-1: https://www.public.archi/atlas-2021/img/fiche2308-f-21-2534-001/f-21-2534-0001-a1.JPG
Fig. 2-1 Registre des procès-verbaux du Conseil des bâtiments civil, Séance du 9 juin 1989, dossier n°1, p. 1.Paris, Archives Nationales de France, F21 2534.

À partir de cet échantillon, les chercheur·se·s ont identifié des critères pertinents pour le dépouillement. Ces critères deviendront les propriétés (ou champs) de la base de données. Le défi est de créer « une grille d’item, assez large pour englober tous les cas traités par le Conseil, assez restreinte pour ne pas rendre l’entreprise démesurée » (Szambien et Boudon 1990 : 3). Dans le modèle mis en place en 1989 puis ajusté aux débuts de l’entreprise (fig. 2-2) chaque entrée est décrite selon des champs qui renseignent tour à tour les documents physiques (la côte d’archive, le registre concerné et la page), la séance (sa date), et l’identification de l’affaire examinée. Celle-ci est constituée d’un rapport (dont le rapporteur est identifié), d’un avis émis par le Conseil, des informations géographiques et typologiques, de détails financiers, des mentions de noms de personnes ou de lieu (similaires à une indexation), l’identification des personnes intervenant dans l’affaire comme participants ou comme architectes et, finalement, d’éventuels liens vers d’autres rapports ou affaires. En sus, la base de données se décrit elle-même, c’est-à-dire qu’elle contient des champs consacrés à documenter la saisie et la modification des données (qui, quand, etc.).

Fig. 2-2: https://www.public.archi/atlas-2021/img/format1-TEXTO-transcrit.png
Fig. 2-2 Lena Krause, Transcription des champs de la base de données CONBAVIL dans Texto, 2020, à partir de Szambien et Boudon, Les rapports présentés au Conseil des Bâtiments Civils, 1795-1840. Constitution d’une base de données. [Rapport de recherche] 676/90, Ministère de l’équipement, du logement, des transports et de la mer / Bureau de la recherche architecturale (BRA); Université de Paris IV / Centre de recherche sur l’histoire de l’architecture moderne, 1990, p.26.
En ligne https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01909887

Pour transposer cette grille dans un modèle de base de données, il faut aussi définir le type de réponse attendu pour chaque propriété. On distingue, dans CONBAVIL, des champs à compléter avec des mots clés (il peut y en avoir plusieurs, séparés par des « ; ») et ceux dont la rédaction se fait en texte libre. Les champs en textes libres sont « proches » du document. Ils ne sont toutefois pas des transcriptions, mais plutôt des résumés ou des analyses sommaires du contenu des archives. Cela s’explique notamment par la limitation de la longueur des entrées à 4 000 signes dans TEXTO. Ces champs peuvent contenir des incertitudes en raison de difficultés relatives à la lisibilité du manuscrit par exemple.

Les champs qui contiennent des mots clés sont ce qu’on appelle « normalisés ». Ils sont le produit d’une catégorisation par les chercheur·se·s qui requiert un certain degré d’interprétation du contenu des archives. Nous pensons notamment à la catégorisation des édifices, basée sur le vocabulaire du Thésaurus de la désignation des œuvres architecturales et des espaces aménagés (Vergain 2015). L’emploi de vocabulaires normés comme celui-ci permet d’envisager une comptabilité avec d’autres bases de données qui l’emploient également. Ce choix s’explique notamment par l’aide technique apportée par des documentalistes du service de l’Inventaire des richesses de la France dans la réalisation du projet. Pour les champs actualisés par les chercheur·se·s, comme pour les dates du calendrier révolutionnaire ou la toponymie, les deux versions du nom de la commune ou du département sont renseignées. Les chercheur·se·s ont parfois signalé leur incertitude quant à la catégorisation en ayant recours à des moyens typographiques tels que des points d’interrogation, l’emploi de parenthèses ou de crochets. Un tel travail requiert un degré de spécialisation ainsi que de nombreuses recherches, mais il augmente exponentiellement l’efficacité de la base de données, car il permet d’effectuer des comparaisons ou des regroupement en dépit des variations des formulations dans la source originale.

La charge de travail qui incombe aux chercheur·se·s pour effectuer un tel dépouillement et d’opérer cette normalisation se justifie par l’objectif de produire une « analyse [...] de qualité [pour] obtenir une rédaction synthétique et logique des bordereaux informatisés » (Boudon Szambien 1990 : 4). Il demeure cependant essentiel de ne pas abuser de l’indexation, ce qui augmenterait exponentiellement le travail nécessaire à l'achèvement du projet. Ce danger est relevé par Jacques Thuiller dans son article de la Revue de l’art en 1992 où il dresse l’état de la situation entre l’informatique et l’histoire de l’art en 1992. « Dans la plupart des cas, un index très court suffit à une interrogation fine, et de surcroît aboutit à des données plus adéquates et plus complètes. Or ce qui est en jeu, c’est une lourdeur d’indexation qui coûte beaucoup de temps, d’argent et d’efforts, et qui a suffi à étouffer dès le départ les meilleurs projets. » (Thuillier 1992 : 8) Pour les bases de données d’objets ou d’inventaire, Thullier recommande, à juste titre, de faire évoluer le projet par étapes afin de concrétiser son aboutissement, puis d’effectuer d'éventuelles mises à jour contenant des enrichissements. Surtout, l’auteur fustige les projets documentaires produits par les institutions culturelles sans répondre à des questions de recherche. La base CONBAVIL s’en distingue, car elle est une base de données de recherche : l’indexation a un impact majeur sur son potentiel épistémologique. L’effort d’indexation et de normalisation a tout de même dû être limité, par exemple dans les informations financières liées au projet, afin de contenir l’ampleur du travail de saisie des données.

L’entrée des données

Une fois la grille définie, il faut la compléter pour chaque délibération. C’est le début du long processus d’entrée des données. Le travail des chercheur·se·s consiste donc à lire (déchiffrer) le texte manuscrit, puis à identifier les éléments requis pour compléter la grille d’analyse. Cet exercice de lecture analytique permet d’isoler des détails pertinents dans les champs indexés tout en résumant le contexte dans les champs pleins texte (Boudon 2009 : 14). Prenons pour exemple la première délibération de la séance du 9 juin 1838 (fig. 2-1) 19, qui provient du registre F21*2534 (COF21), dossier n1 (DOS), page 1 (PAG). On identifie en marge le département et l’objet de l’affaire. La date de la séance est en titre, et le nom du rapporteur se trouve en dessous. S’ensuit le rapport dont on peut extraire l’historique (Conseil municipal : délibération du 14 août 1836 approuvé), qu’il s’agit d’un aménagement de place (nature du projet), à la place d’Orléans (rue) à Vic (ville - ancienne graphie). L’avis du rapporteur et celui du Conseil ont été résumés.

L’entrée des données se faisait en deux temps. D’abord la lecture et le remplissage de la grille sur papier, puis la transcription dans le logiciel TEXTO, installé sur un bull micral 65 (fig. 2-3). Cette double saisie consistait en une mesure de sécurité (Boudon Szambien 1990 : 6). Elle semble également nécessaire par le fait que TEXTO est un logiciel monoposte, c’est-à-dire qu’on ne peut le manipuler que depuis un seul ordinateur (Vouteau 2005:18). De plus, il faut également considérer le confort des chercheur·se·s, car les ordinateurs portables restaient rares et coûteux, et n’étaient pas toujours dotés d’interfaces conviviales ainsi qu’en témoigne la désignation des champs à compléter (fig. 2-2).

Fig. 2-3: https://www.public.archi/atlas-2021/img/bull_micral_60.png
Fig. 2-3 Bull Micral 60 (released in February 1986).
http://jean.thiery.pagesperso-orange.fr/en/2010/collect/BM-60.html, © 2010 ModLibre.info (cc-by-sa license)

Nous ne pouvons pas montrer le résultat dans TEXTO, sur un Bull Micral 60, cependant, nous présentons ici la même fiche, dans nos données en format JSON (fig. 2-4) et sur la version de la base de données accessible en ligne aujourd’hui (fig. 2-5)

Fig. 2-4: https://www.public.archi/atlas-2021/img/fiche2308-f-21-2534-001/2308_json.png
Fig. 2-4 Lena Krause, Fiche CONBAVIL02308 - format JSON, capture d’écran, 2020
Fig. 2-5: https://www.public.archi/atlas-2021/img/fiche2308-f-21-2534-001/fiche2308.png
Fig. 2-5 Lena Krause, Fiche CONBAVIL02308 - interface INHA, capture d’écran de la délibération sur le site de l’INHA, 2020.
https://www.inha.fr/conbavil/notice.php?pv=02308

2.1.3 Contraintes conceptuelles et logicielles

Interprétation : des archives aux données

L’approche systématique requise par les bases de données impose une rigueur dans l’interprétation des archives. Si une fiche ne correspond pas au modèle choisi, il faut parfois forcer, comme pour « faire entrer le carré dans le triangle » et le résultat peut être moins pertinent. D’une structure inadaptée dans un cas précis aux difficultés d’attribution d’une typologie ou d’un toponyme en passant par la question de la lisibilité du texte manuscrit, il existe une marge de manœuvre pour laquelle il serait nécessaire de pouvoir signaler ou exprimer le doute quand il advient. Cela a parfois été fait dans la base, par l’utilisation de parenthèses, de crochets et de points d’interrogation, par exemple. Cependant, l’utilisation de ces marqueurs d’incertitude n’est ni normalisée, ni spécifique.

Face à la complexité des graphies des noms de personnes, le choix a été fait de les relever telles quelles (Boudon Szambien 1990 : 8). Couplé avec de possibles erreurs de lecture ou de saisie, cela implique de considérer toutes les graphies possibles lors d’une recherche. Par exemple, le nom de l’architecte Boissonnade est parfois entré comme « Boissonade ». La haute complexité des champs financiers, notamment renseignés avec de multiples devises, n’a pas pu être normalisée. C’est un travail qu’il restera à faire. Au fur et à mesure des lectures de dépouillements, il a également été convenu de l’ajout du champ « éléments remarquables » pour signaler des spécificités qui n’apparaîtraient pas dans la grille d’analyse prédéfinie. Il reste à trouver comment les employer et les valoriser, car nous n’avons pas d’information quant à une éventuelle normalisation de ces éléments remarquables.

La « reconstitution conceptuelle »

Une limite importante de la base de données concerne l’absence de regroupement des délibérations par affaires. En effet, le conseil pouvait délibérer à plusieurs reprises concernant la même affaire. Refus, ajournement (pour obtenir davantage de documents par exemple) ou adoption avec réserve, ajustement et plus encore, une affaire importante peut passer un très grand nombre fois au Conseil.

Les entrées dans CONBAVIL sont, quant à elles, le produit d’une lecture linéaire des documents. Les instances ne sont pas regroupées conceptuellement, ce qui change complètement le sens du « nombre d’entrées qui correspondent à votre recherche ». Nous faisons face à un problème conceptuel et méthodologique de « peut-on et si oui comment regrouper par affaire de façon systématique ? ». Il existe des champs dédiés pour signaler affaires précédentes ou le début de l’affaire, mais leur utilisation est irrégulière et relativement imprécise.

Il ne nous semble pas réaliste d’effectuer une reprise de données via l’utilisation d’un algorithme qui identifierait des affaires « similaires ». Cela pourrait cependant servir de point de départ, tout comme les mentions relatives aux autres affaires, pour que des chercheur·se·s identifient et confirment (lorsque possible) ces regroupements de délibérations en affaires. De façon similaire, le contenu de CONBAVIL peut être étudié du point de vue des édifices. En effet, un bâtiment peut être envisagé pour l’installation de divers établissements au cours du temps. Cela concrétiserait les nombreuses réaffectations et les réemplois des édifices. Dans les deux cas, il s’agit d’un travail de fond dont le potentiel serait décuplé par la mise en commun de ces efforts individuels. Il sera question des moyens de contribution au contenu dans la section sur l’éditorialisation (Chapitre 3).

Les limites du logiciel

Même s’il a été choisi pour sa « très grande souplesse » (Boudon Szambien 1990), nous avons identifié plusieurs contraintes liées au fonctionnement « à plat » du logiciel TEXTO 20. Tout d’abord, la structure prédéfinie devient extrêmement contraignante, car la totalité de l’information doit être contenue dans le monolithe de l’entité « délibération ». Cet inconvénient était en partie compensé par les riches fonctionnalités d’indexation offertes par le logiciel. Toutefois, dans une base de données relationnelles, on aurait pu traiter davantage d’entités, comme pour les personnes par exemple. On peut alors employer l’identifiant à chaque mention, ce qui permet d’éviter la redondance21 et les erreurs orthotypographiques. Pour chaque « personne », on pourrait spécifier qu’il existe d’autres orthographes. De plus, si davantage de recherches sont effectuées --- par exemple les dates de naissance et de décès, le lieu de travail, ou encore des références bibliographiques concernant l’architecte --- l’information pouvait être centralisée pour être proposée lors de la consultation de n’importe quelle fiche.

Dans TEXTO, on doit entrer les informations sur les personnes pour chaque fiche. Si, dans l’idéal, chaque propriété « personne » décrit un individu, il faut savoir que le nombre d’architectes ou d’intervenants dans les délibérations varie. Les chercheur·se·s ne pouvaient qu’estimer le nombre « raisonnable » à prendre en compte. Il·elle·s ont ainsi décidé de créer trois champs : AUT, AUT1 et AUT2. Il arrive, cependant, qu’il y ait un plus grand nombre de personnes concernées. C’est le cas, par exemple, pour une délibération au sujet du muséum d’histoire naturelle, tenue lors de la première séance de l’assemblée centrale des architectes et qui réunit, de ce fait, un très grand nombre d’auteurs et d’intervenants (fig. 2-6). Dans les cas où le nombre dépasse, le contenu a été condensé dans AUT2, en séparant les noms par des points-virgules. Cette solution est un bricolage qui fonctionne, mais qu’il faut également prendre en compte en sus des variations dans la graphie des noms quand on cherche un architecte dans la base (nous reprenons en détail cet exemple dans la partie suivante).

Fig. 2-6: https://www.public.archi/atlas-2021/img/2-6.png
Fig. 2-6 Lena Krause, Extrait de la fiche 00232, Capture d’écran, 2021.
https://www.inha.fr/conbavil/notice.php?pv=02232

Les premiers résultats

L’ampleur du travail réalisé par le centre André Chastel avec CONBAVIL a été extraordinaire : les 66 premiers registres des procès-verbaux des séances du Conseil des bâtiments civils, soit les années 1795 à 1840, contenant 300 à 500 affaires par volume, allant jusqu’à « 1 100 dans les moments de frénésie constructive des années 1812 ou 1820 » (Boudon 2009 : 9), ont été dépouillés et donnent un total de 26 900 rapports. « Il ne s’agit de rien de moins que [d’]une des premières bases de données d’histoire de l’architecture française » (Szambien et Boudon, 1990 : 3). Un projet si titanesque que malgré l’entrain soulevé et la détermination de l’équipe, les délais furent excessivement supérieurs à ceux énoncés lors du rapport rédigé en 1990. La saisie informatique a débuté en mars 1989 et, en octobre 1990, 15 000 affaires sont déjà analysées, dont 5 500 « saisies en machine »22 . L’achèvement du dépouillement des années 1795 à 1840 était prévu pour fin 1991. En réalité, le travail s’est prolongé jusqu’en 1998, où les deux tiers des rapports (~18 000) sont lus, analysés, saisis et corrigés. Après une interruption du travail entre 1998 et 2005, l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) soutient le projet afin qu’il puisse être achevé et mis en ligne. D’après l’institut, le projet CONBAVIL s’accorde avec sa vocation de « favoriser la réalisation de projets d’intérêt collectif dont la qualité et l’ampleur enrichissent le regard et les perspectives de chacun[·e] » (Garric [préface] dans Boudon 2009 : 5).

Lorsque le projet reprend après une suspension de huit ans, il devient nécessaire de faire des ajustements matériels, car l’informatique personnelle a beaucoup évolué au cours de ce laps de temps. Le premier logiciel documentaire utilisé, Texto, avait une mémoire limitée (pas plus de 4 000 signes par fiche) qui obligeait à adopter un style télégraphique, voire à réduire le texte avec la simple mention « [détail] » (Boudon 2009 : 26). Surtout il était depuis longtemps devenu obsolète face aux bases de données relationnelles. Le choix pour le nouveau logiciel s’est porté sur FileMaker Pro. Il s’agit d’une base de données relationnelles propriétaire qui n’impose pas de limite dans le nombre de signes. La rédaction des fiches en devient plus naturelle et lisible, sans les « abréviations qui gênent la lecture » (Boudon 2009 : 26). Cela a également permis de renommer les champs, ce qui a augmenté la lisibilité et le confort pour l’entrée des données (fig. 2-7). L’ajout d’une entité « personne » a également été effectué, toutefois, son emploi n’est pas systématique.

Fig. 2-7: https://www.public.archi/atlas-2021/img/format3-Filemaker.png
Fig. 2-7 Emmanuel Château-Dutier, Tables et relations CONBAVIL dans la base Filemaker, Capture d’écran, 2020.

Au cours de la même période, d’autres projets de numérisations ont aussi été réalisés, dont la série iconographique F21 1875-1908 aux archives nationales. Ce fonds d’archives contient les images numérisées des calques des projets acceptés, généralement datés du jour d’adoption du projet et parfois assortis de légendes. Ces dessins sont donc un complément d’un grand intérêt pour CONBAVIL. Leur numérisation et leur mise en ligne sur Archim23, désormais classés topographiquement et majoritairement datés et identifiés, ont permis un travail systématique de mise en relation entre le fonds iconographique et les rapports dans CONBAVIL. Les cotes des dessins ont donc été ajoutées à la base lors de cette seconde étape dans sa création (Boudon 2009 : 10-11).

Finalement, une fois les 26 900 rapports analysés, entrés dans la base et mis en relation avec les 3 700 dessins, il a été convenu de fournir un outil d’interrogation en ligne. Dès la création de la base, l’enjeu de la rendre accessible aux chercheur·se·s externes au centre André-Chastel était considéré. Au temps et au travail nécessaire pour créer une base de données, ce n’est pas l’idée d’une utilisation non pas individuelle ni locale, mais bien celle d’un avancement collectif et une multitude de perspectives de recherche qui étaient visés par ce travail de longue haleine. « Les auteurs de la base ne pourront exploiter que quelques aspects du travail, qui sera par conséquent mis à la disposition des chercheurs et des institutions selon les modalités qui s’imposeront. » (Szambien et Boudon, 1990 : 23). De plus, la collaboration avec les chercheur·se·s-utilisateur·rice·s de la base s’impose pour corriger les erreurs et coquilles, ainsi que pour enrichir la base davantage de leur expérience d’utilisation de la base (Boudon 2009 : 16).

Ce contenu initial a effectivement évolué depuis la présentation détaillée publiée en 2009, les changements ne sont toutefois pas aussi clairement documentés. Un accès à la base à travers un outil d’interrogation en ligne est disponible depuis 2009 sur le site internet de l’INHA et il a été mis à jour en 2015 lors de la refonte du site web de l’institution24.

2.2 L’accès aux données

Comment interroge-t-on une base de données ?

Lorsqu’une base de données a été complétée, on peut commencer à l’interroger. Les chercheur·se·s ont bel et bien créé la base de données avec des idées de ce qu’ils aimeraient en retirer une fois l’entrée des données terminées. Nous avons retrouvé certaines de ces idées dans le rapport rédigé par Françoise Boudon et Werner Szambien en 1990. Les chercheur·se·s y mentionnent un certain nombre de requêtes qu’ils souhaitaient effectuer. Pourtant encore aux prémisses de la création de la base de données, l’engouement pour le potentiel d’utilisation de la base de données se fait déjà sentir. Il·elle·s listent une série de questions auxquelles il sera possible de répondre grâce à CONBAVIL, lorsque la base sera complète.

On pourra établir à volonté en quelques minutes la liste des dépôts de mendicité créés par Napoléon [q1], des églises transformées en école dans le département de la Nièvre entre 1802 et 1810 [q2], des rapports confiés à Chalgrin dès son retour « au pouvoir » sous le Directoire [q3], le nombre et la nature des chantiers dirigés par l’architecte Boissonnade en Aveyron dans les années 1830 [q4], le pourcentage des dossiers de construction et de réparation présentés au conseil pendant dix ans [q5], le pourcentage de ceux qu’il rejette et ceux qu’il adopte [q6], l’activité de Rondelet comme auteur de projets et comme rapporteur de dossiers [q7], [...] (Szambien et Boudon, 1990 : 10)

Nous avons voulu faire l’exercice de répondre à ces questions, c’est pourquoi nous les avons numérotées « de q1 » à « q7 ». Nous avons documenté nos idées de réponses en ligne25. Dans cette partie, nous allons reprendre quelques-unes de ces questions pour démontrer, par l’exemple, les moyens d’accéder aux données dans CONBAVIL. Nous identifions ainsi les moyens actuels d’utilisation de la base de données.

2.2.1 Les formes d’accès au contenu d’une base de données

Les requêtes

La première et la plus « basique » manière d’utiliser une base de données consiste à l’interroger via un langage structuré. Les langages varient selon le SGBD employé. Pour une base de données relationnelle, on emploie souvent le langage SQL (Structured Query Language) alors qu’une base de données XML requiert l’utilisation de XQuery par exemple. Ce type de langage est très puissant et permet d’effectuer des recherches complexes avec rapidité. Il faut cependant non seulement connaître le langage de requêtes, mais également être familier·ère avec le modèle abstrait et le contenu de la base de données pour former des requêtes complètes. Il s’agit là d’un niveau de littératie numérique peu commun parmi la majorité des chercheur·se·s qui étudient l’architecture publique en France durant la première moitié du XIXe siècle. Nous souhaitons toutefois en promouvoir la compréhension et familiariser nos lecteur·rice·s aux principes sous-jacents. Comme le langage SQL est très communément utilisé, nous l’avons sélectionné pour notre démonstration d’un langage structuré. Nous répondrons donc à deux des questions de recherches susmentionnées avec des exemples de requêtes SQL.

Vues

Afin de faciliter l’utilisation de bases de données, l’informatique prévoit des interfaces, ou des vues, qui permettent à des utilisateurs qui ne connaissent pas le langage SQL ou même les détails de la base de données de s’en servir malgré tout. Ces interfaces sont plus visuelles que textuelles : au lieu d’écrire une requête, on est dans un environnement « boîte à clics » où l’on sélectionne, dans des listes déroulantes par exemple, des critères pour filtrer la base de données. C’est un dispositif où l’on peut visualiser sa requête via les champs du formulaire. Il est interactif dans le sens où l’utilisateur peut agir via la sélection d’un élément dans une liste déroulante, le choix de cases à cocher ou en entrant des chaînes de caractères (du texte). L’interface sert d’intermédiaire, elle est programmée pour transformer l’équivalent d’un formulaire en une requête SQL.

Cette interface peut être conçue au sein du logiciel de base de données, ce qui signifie qu’elle s’utilise localement, sur l’ordinateur où la base de données est installée. Un·e chercheur·se ne peut y avoir accès que s’il·elle se rend au Centre André-Chastel afin d’utiliser les machines équipées à cet effet, après avoir obtenu les autorisations nécessaires26.

Web

Avec l’avènement du web, il a été question de rendre les bases de données accessibles en ligne. Cela signifie que la base de données se trouve sur un serveur connecté à internet. L’interface est un site web qui communique avec le serveur pour envoyer des requêtes et recevoir des résultats. Le langage utilisé change, mais le principe d’interface qui permet de créer des requêtes structurées et l’affichage des résultats reste identique. Un tel outil d’interrogation en ligne est disponible depuis 2009 sur le site internet de l’INHA. Dans un second temps, nous ferons une analyse de l’accès web à la base de données CONBAVIL, en répondant à d’autres questions de recherches posées en 1990 par Françoise Boudon et Werner Szambien.

Il faut toutefois prendre note que la base de données « en ligne » est un export de la base de données « locale » qui se trouve au centre André-Chastel. Lorsque les chercheur·se·s apportent des changements à la base de données locale, ces modifications ne s’appliquent pas à la base en ligne si celle-ci n’est pas connectée dynamiquement. C’est donc un système de versions qu’il faut prendre en compte. Cela signifie que, par exemple, qu’après une étape de recherche qui enrichit le contenu de CONBAVIL, on effectue une mise à jour de la base de données en ligne pour l’aligner avec le contenu27. Ce faisant, il faut notamment tenir compte du fait que le contenu de la base peut changer. La version de la base de données que nous avons employée pour la rédaction de ce mémoire n’est donc pas tout à fait identique ni à celle en ligne ni à celle « maîtresse »28 au centre André-Chastel.

2.2.2 Requêtes SQL

Du point de vue informatique, l’interrogation d’une base de données se fait donc par l’intermédiaire de requêtes exprimées dans un langage structuré. Lorsqu’on apprend à créer une base de données, on apprend donc également comment faire une requête d’interrogation SQL. On effectue ces requêtes sur l’ordinateur qui contient la base de données, soit dans le terminal, soit dans l’interface du SGBD utilisé. Dans le cas de TEXTO, il existait un langage et des fonctionnalités propres à ce SGBD. Cependant, le remplacement de TEXTO par un logiciel plus performant lors du rachat de l’entreprise le développant en 1997 fait qu’il n’est plus compatible qu’avec le système d’exploitation Windows 98 ou des systèmes antérieurs (Vouteau 2005 : 18). Malgré le grand nombre d’utilisateur·rice·s de ce logiciel en France durant les années 80 et 90, peu de personnes en connaissent le fonctionnement aujourd’hui.

L’accès à un tel système et l’apprentissage de TEXTO dépassant le cadre choisi pour ce mémoire, nous avons choisi d’illustrer son fonctionnement théorique avec des exemples en SQL. Une requête SQL est une instruction informatique textuelle dont les trois instructions débutent par des mots clés et se terminent par un retour à la ligne29. La première, « SELECT », concerne l’information à afficher comme résultat de la requête. L’élément complet se désigne par l’astérisque, sinon il faut lister les propriétés que l’on veut afficher. La deuxième, « FROM », sélectionne la table. Dans la base de données, dans laquelle est stockée l’information. Puisque CONBAVIL est une base de données dite « à plat » et non pas relationnelle, elle ne contient qu’une seule table. Nous allons donc toujours chercher l’information dans la table « conbavil » avec l’instruction « FROM conbavil ». La dernière instruction, « WHERE », contient les conditions pour retourner un élément dans le résultat. On choisit donc des valeurs souhaitées pour certains champs dans la base de données. Nous avons sélectionné deux questions qui correspondent à des requêtes types comme exemples30.

Les églises transformées en école dans le département de la Nièvre entre 1802 et 1810 (q2)

Pour connaître le nombre d’églises transformées en école dans le département de la Nièvre entre 1802 et 1810 (question 2), ou pour effectuer toute requête, il faut commencer par identifier les éléments dans la question qui correspondent à des champs de la base de données. Dans cette requête, on identifie « église » et « école », qui sont des types d’édifices. « Nouvelle affectation » correspond à un type d’intervention. Puis on a un département, la Nièvre, ainsi qu’une fourchette de dates « entre 1802 et 1810 ».

Nous voulons donc interroger la base de données pour savoir s’il existe des fiches qui correspondent aux critères suivants : la date (DAR) de la fiche doit être comprise entre 1802 et 1810 ─ ’1802-01-01’ et ’1810-12-31’ . Le département doit correspondre à la Nièvre; on peut l’écrire en toutes lettres ’AL = "Nièvre" ’, mais si l’on veut éviter des problèmes d’orthographe et d’accents, on peut également utiliser le numéro de département (L), « 59 ». Le type d’intervention(PJT) doit être une nouvelle affectation et le type d’édifice (DES) soit une église, soit une école, ou les deux. Dans les cas de nouvelles affectations, les chercheur·se·s ont tenté de documenter les deux fonctions de l’édifice, c’est-à-dire le type d’édifice avant (église) et après (école) le changement. Cependant, ce n’était pas toujours possible. Dans ces situations, il est recommandé de « viser large » au début ─ le type d’édifice est soit une église, soit une école ─ puis de choisir une façon de trier les résultats s’il y en a trop.

SELECT *

FROM conbavil

WHERE (DAR BETWEEN ’1802-01-01’ AND ’1810-12-31’) AND L=’58’ AND (DES=’église’|’école’) AND PJT=’nouvelle affectation’

Lorsqu’on effectue une telle requête, on a en tête une hypothèse concernant le nombre de résultats. Dans ce cas-ci, on commence avec les 27 000 fiches contenues dans CONBAVIL. Par un simple calcul de probabilité (qui ne prend pas en compte les spécificités de la base), on peut estimer que la fourchette de date en élimine environ les 4/5e (8 ans sur 45). Dans le cas d’une répartition égale à travers le temps, il nous en reste un cinquième, donc environ 5 000 fiches. Le choix du département de la Nièvre exclut tous les autres (plus d’une centaine, surtout avec les régions annexées à l’époque). À nouveau, même en faisant l’hypothèse d’une répartition égale des fiches entre les départements (on sait que n’est pas le cas, mais nous visons large), il resterait un centième donc 50 fiches. De plus, en ne considérant que les nouvelles affectations, on élimine toutes les nouvelles constructions ainsi que les réparations. On peut ainsi se douter qu’on aura peu de résultats pour cette requête. Finalement, si l’on spécifie les deux types d’édifices, église et école, en restera-t-il ?

Ces hypothèses issues des probabilités peuvent être enrichies par des connaissances historiques et la familiarité avec les données. Travailler ses hypothèses n’est toutefois pas forcément nécessaire, car c’est très rapide de lancer une requête, le résultat est quasi immédiat. On peut simplement fonctionner par essais-erreurs et ajuster le tir au fur et à mesure de la lecture des résultats obtenus. On peut même aller contre l’instinct, faire une recherche « même si on y croit pas trop » ; la facilité et la rapidité d’obtention des résultats invitent même à élargir ses questionnements.

Le nombre et la nature des chantiers dirigés par l’architecte Boissonnade en Aveyron dans les années 1830 (q4)

Le second exemple que nous avons choisi porte sur le nombre et la nature des chantiers dirigés par l’architecte Boissonnade en Aveyron dans les années 1830 (q4). On cherche des fiches dont l’auteur est un architecte (PAUT = "architecte") et dont le nom est « Boissonnade », au cours des années 1830 (DAR BETWEEN ’1830-01-01’ AND ’1839-12-31’)31. Il faudra ensuite les regrouper par type d’intervention et compter les occurrences pour chaque type. Initialement, identifier les délibérations en Aveyron dont Boissonnade est l’architecte semble plutôt évident : AUT="Boissonnade". Il faut toutefois prendre en compte les problèmes d’orthographe, car les noms de personnes ont été mentionnés et orthographiés tels que les chercheur·se·s ont pu les lire (Boudon 2009 : 20). En parcourant les données, nous avons remarqué qu’il y a (au moins) deux orthographes employées : « Boissonnade » et « Boissonade ». De plus, nous avons soulevé dans la partie 2.1 le problème de TEXTO, dont le fonctionnement à plat requiert d’entrer les cas avec de multiples auteurs dans les champs AUT, AUT1, AUT2, puis d’inclure une série de noms séparés par des virgules dans AUT2 s’il y en a encore plus, et il reste à savoir si les professions (PAUT2) sont renseignées de la même façon.

SELECT PJT, Count(*)

FROM conbavil

WHERE Depart=’12 AND (DAR BETWEEN ’1830-01-01’ AND ’1839-12-31’)(((AUT=’Boissonnade’ OR AUT=’Boissonade) AND PAUT=’architecte’) OR ((AUT1=’Boissonnade’ OR AUT1=’Boissonade) AND PAUT1=’architecte’) OR (Contains(AUT2, ’Boissonnade’) OR Contains(AUT2, ’Boissonade’)) AND Contains(PAUT2,’architecte’))

GROUP BY PJT

Afin d’identifier la nature et le nombre des projets, nous regroupons (Group by) par nature du projet (PJT) et sélectionnons le résultat en affichant chaque groupe et son nombre d’occurrences (Count). L’absence de normalisation dans les noms, en sus du problème des multiples champs auteurs, rend la requête complexe et touffue. Si on ne connaît pas les spécificités de la base, il y a un gros risque de ne pas penser à ces détails et d’ainsi passer à côté de plusieurs résultats. L’incertitude syntaxique, le choix des champs et les renseignements multiples peuvent causer des résultats que l’on peut qualifier de « bruit » - pour ceux qui ne devraient pas être là s’il n’y avait pas ces inconvénients et ce degré de complexité --- ou de « silence » pour les résultats qui sont absents pour les mêmes raisons. Lors du travail avec des requêtes et des données, prendre conscience des possibles bruits et silences est une étape essentielle pour pouvoir examiner de manière critique les résultats obtenus.

2.2.3 Interface de l’INHA

Présentation du formulaire

À l’occasion de l'achèvement de la base de données en 2009, un outil d’interrogation en ligne a été créé pour faciliter son utilisation et augmenter son accessibilité. Il s’agit d’un formulaire disponible sur le site internet de l’INHA32. L’interface de consultation de la base de données détermine ses utilisations possibles. Nous allons donc effectuer une analyse de cette interface afin d’identifier les moyens actuellement disponibles pour se servir de CONBAVIL, particulièrement dans le cadre de recherches académiques.

Le formulaire se divise en trois sections. Tout d’abord, la section « Interrogation sur le projet » contient les informations relatives à l’architecture : fonction et emplacement de l’édifice, type d’intervention, intervenant et coût. La deuxième section, « Interrogation sur le rapport issu de l’examen du projet » se réfère au fonctionnement du Conseil : date de la séance du conseil, rapporteur et contenu du rapport, décision, cote dans les archives et présence de dessins. Finalement, la dernière section est un choix de procédures administratives. Le formulaire contient des champs « plein texte », où l’utilisateur·rice peut écrire en toutes lettres ce qu’il·elle recherche, et des listes déroulantes, où il faut choisir un critère dans les options dans la liste. Les cases à cocher sont des critères booléens (oui/non), ce qui signifie que le critère concerné agit comme un filtre s’il est coché.

Le résultat d’une recherche via le formulaire apparaît sous la forme d’une liste de fiches qui correspondent aux critères sélectionnés. Pour consulter les détails, le chercheur doit parcourir la liste de façon linéaire. Chaque fiche présente le contenu d’une entrée dans la base de données. Nous avons testé cet outil d’interrogation en ligne, toujours avec la liste de questions qui nous servent de cas d’utilisation.

Centre André-Chastel, Interroger la base conbavil, Institut national d'histoire de l'art, iframe, 2021.
https://www.inha.fr/fr/ressources/outils-documentaires/conseil-des-batiments-civils-conbavil/interroger-conbavil.html

Les dépôts de mendicité créés par Napoléon (q1)

Pour trouver les dépôts de mendicité créés par Napoléon, nous devons identifier la dénomination de façon hiérarchique. La liste déroulante suggère d’abord les catégories, nous sélectionnons « architecture hospitalière, d’assistance ou de protection sociale » (fig. 2-8). Apparaissent alors les types d’édifices qui appartiennent à cette catégorie. Cela sous-entend que l’utilisateur doit être capable d’identifier la catégorie d’un type d’édifice ou y aller par « essai/erreur » puisque les types se mettent à jour en fonction de la sélection de la catégorie.

Fig. 2-8: https://www.public.archi/atlas-2021/img/BoudonSzambien/1-depotmendicite.png
Fig. 2-8 Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - dénomination, Capture d'écran sur l'interface d'interrogation en ligne, 2020

Nous avons ensuite sélectionné « Napoléon » dans le contenu du rapport (fig. 2-9), car on peut exclure qu’il ait eu le rôle d’architecte ou d’intervenant spécialisé dans le projet. Puisque cocher « élément remarquable » pourrait éliminer les options plein texte, mais que si Napoléon est un élément remarquable, son nom est probablement contenu dans le rapport, nous n’avons pas coché cette option. On a également préféré inscrire Napoléon sans préciser « I » ou « Ier » dans le but d’inclure le plus de résultats possible. On ne peut malheureusement pas exclure la possibilité que d’autres graphies aient été employées.

Fig. 2-9: https://www.public.archi/atlas-2021/img/BoudonSzambien/1-napoleon.png
Fig. 2-9 Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - Contenu du rapport, Capture d'écran sur l'interface d'interrogation en ligne, 2020

Dans les trois résultats qui correspondent notre recherche (fig. 2-10), nous constatons que le nom de Napoléon est mentionné en référence à des articles du « code Napoléon », c’est-à-dire au Code civil. En fait, en prenant du recul par rapport au formulaire pour se concentrer sur le contexte historique, on comprend que la question fait plutôt référence au décret impérial du 5 juillet 1808, où Napoléon prescrit la création de dépôts de mendicité dans chaque département (Peny 2011 : § 1-2). S’il en existait déjà certains avant, ce sont donc ceux créés après 1808 qui répondent à cette question.

Fig. 2-10: https://www.public.archi/atlas-2021/img/BoudonSzambien/1-listeresultats.png
Fig. 2-10 Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - 3 enregistrements correspondant à votre recherche, Capture d'écran sur l'interface d'interrogation en ligne, 2020

En revenant au formulaire, on constate toutefois qu’on ne peut pas choisir un intervalle de dates, mais seulement sélectionner une date avec un degré de précision qui va de l’année, au mois puis au jour. Lorsqu’on lance la requête pour tous les dépôts de mendicité, on obtient un total de 930 enregistrements répartis sur 47 pages. La dernière entrée de la première page de résultats est datée de mars 1808, mais nous ne parvenons pas à afficher la page suivante33. Outre ce problème, nous devrions ensuite compter les entrées manuellement, sachant que les délibérations peuvent concerner la même affaire. Pour exclure ce problème, il faudrait toutes les consulter et tenter d’établir lesquelles sont liées. En conclusion, malgré l’indexation des dépôts de mendicité dans la base de données, l’interface n’assiste pas encore suffisamment les chercheur·se·s pour répondre à une telle question « en quelques clics ».

Les rapports confiés à Chalgrin dès son retour au pouvoir sous le Directoire (q3)

Pour identifier les rapports confiés à Chalgrin dès son retour « au pouvoir » sous le Directoire, il suffit de sélectionner « Chalgrin » comme rapporteur (fig. 2-11) et l’on obtient effectivement 102 résultats en quelques clics (fig. 2-12). La date de son retour « au pouvoir » sous le Directoire est à déterminer pour le spécialiste qui se pose cette question. Il en est de même pour les résultats obtenus

Fig. 2-11: https://www.public.archi/atlas-2021/img/BoudonSzambien/3-Chalgrin.png
Fig. 2-11 Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - Rapporteur, Capture d'écran sur l'interface d'interrogation en ligne, 2020
Fig. 2-12: https://www.public.archi/atlas-2021/img/BoudonSzambien/3-102resultats.png
Fig. 2-12 Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - 102 enregistrements correspondant à votre recherche, Capture d'écran sur l'interface d'interrogation en ligne, 2020

Le nombre et la nature des chantiers dirigés par l’architecte Boissonnade en Aveyron dans les années 1830 (q4)

Revenir à la question 4 (le nombre et la nature des chantiers dirigés par l’architecte Boissonnade en Aveyron dans les années 1830) nous permet d’identifier une série de limitations dans l’interface. Nous retrouvons la possibilité de sélectionner l’Aveyron, mais pas l’intervalle de temps des années 1830. Ensuite, en ce qui concerne l’architecte, nous pouvons utiliser la troncature du nom, « Boisson* » pour inclure les deux graphies (Boissonnade et Boissonade)34.

Fig. 2-13: https://www.public.archi/atlas-2021/img/BoudonSzambien/4-Boisson-Aveyron.png
Fig. 2-13 Lena Krause, Interrogation CONBAVIL - 29 enregistrements correspondant à votre recherche, Capture d'écran sur l'interface d'interrogation en ligne, 2020

Il y a du bruit des résultats (fig. 2-13), comme dans la troisième notice, où nous ne trouvons pas de mention de Boissonnade ni d’autres termes qui commenceraient par ces lettres. Nous ne savons pas pourquoi cette notice apparaît, mais cela signale un problème de transparence, car l’interface n’explicite pas les résultats pour l’utilisateur·rice.

Observations critiques sur l’outil}

Le formulaire présente un avancement important dans le cycle de vie de la base de données. Il offre un accès à CONBAVIL depuis n’importe quel ordinateur personnel connecté à internet. L’interface assiste la recherche au sein de ces archives et permet d’en consulter le contenu. Il en devient presque inimaginable de comparer l’interrogation de la base de données à un déplacement aux archives pour parcourir la dizaine de registres qui concernent la période à la recherche des délibérations qui concernent le travail de l’architecte Boissonnade en Aveyron (cf. q4). Cela signifie notamment des chercheur·se·s qui n’avaient pas prévu ou ne pouvaient pas consulter les archives y ont désormais accès. Accessible en ligne, l’interface permet à un plus grand nombre de se pencher sur le contenu des archives du Conseil des bâtiments civils et facilite les recherches dans CONBAVIL. De plus, la localisation des documents est facilitée pour ceux·elle·s qui se rendent aux Archives nationales.

Nous avons cependant constaté que l’interface présentait plusieurs inconvénients pour la recherche. En sus des contraintes sur l’interrogation du contenu que nous avons révélées dans les cas d’utilisations, certains éléments de l’expérience utilisateur (UX) complexifient la recherche.

Tout d’abord, on ne peut pas consulter la base sans sélectionner un critère de recherche. Lorsqu’on la découvre et qu’on ne connaît pas nécessairement sa structure et son contenu, c’est impossible de l’explorer sans tout de suite devoir sélectionner des critères. Quand on lance une recherche, on ne voit plus les critères sélectionnés, mais seulement la liste de résultats. On ne peut donc pas vérifier les critères et repérer une possible erreur. Dans le cas où on revient en arrière, il faut faire retour avec la fonction précédent du navigateur, il n’y a pas de boutons qui permette de retourner à la requête pour la modifier par exemple. En appuyant sur retour, les critères précédents sont souvent encore présents, mais ça ne se remarque pas facilement35. On ne peut pas non plus enregistrer ou partager une recherche ni les résultats, ce qui est problématique pour publier des résultats.

Ensuite apparaît un problème classique en informatique : la confrontation entre la facilité et la flexibilité du logiciel employé. On peut « tout » faire avec des requêtes SQL, mais il faut savoir écrire ses requêtes. Il n’y a qu’à cliquer et à sélectionner des critères de recherche dans une interface comme le formulaire de l’INHA. Toutefois,ce type de « solution clef en main » est très restrictive. Il y a des requêtes qu’on pourrait faire très facilement et qui n’y sont pas prévues. On ne peut pas dévier des options prédéfinies. Tout type d’utilisation qui n’est pas prévu par les concepteur·rice·s de l’interface est donc impossible. Quelle que soit la qualité de l’interface et les améliorations que l’on peut y apporter, les moyens d’interrogation sont finis (finite).

Nous avons également manqué de retours (feedback visuel) entre la recherche effectuée et les données. Cela a créé un doute constant : est-ce bien ça que je cherchais, est-ce que ce résultat correspond à ma recherche ? On ne peut pas critiquer le résultat obtenu, car les critères de sélection ne sont pas mis de l’avant lors de la consultation des fiches. L’interface étant composée de deux vues principales distinctes --- le formulaire de recherche et la liste de résultats ---, cela crée un effet « boîte noire » quant au processus d’interrogation de la base de données. On ne peut pas voir ses critères de recherche et les résultats obtenus en même temps. Lorsqu’il s’agit d’un critère « évident », comme un numéro de département ou la date d’un rapport, cela n’est pas forcément nécessaire. Toutefois, lorsqu’on effectue une recherche plein texte comme dans l’exemple précédent (q4), plus de transparence et de clarté parmi résultats obtenus seraient les bienvenus.

Un manque important de l’interface nous apparaît dans l’absence d’une dimension quantitative, quand on souhaite avoir des résultats quantifiés tels que des nombres ou des pourcentages. Excepté pour le « nombre d’enregistrements qui correspondent à la recherche » dont nous avons démontré la validité relative, il n’y a pas moyen d’envisager une approche quantifiée dans l’interface.

Au niveau de la consultation des fiches, leur format statique les limites à des « présentoirs ». Le confort d’utilisation de cette mise en page est tout à fait supérieur à un résultat en « texte pur » affiché dans un terminal. Cependant, nous avons ressenti une limitation à ne pas pouvoir sélectionner un contenu pour naviguer dans la base, contrairement au principe web avec ses liens hypertextes auquel nous sommes habitués lors de la consultation de Wikipédia par exemple. Cela est dû à la différence fondamentale entre une base de données et des données « hyper »-liées, dans le sens de reliées par des hyperliens36.

Par principe, une base de données est une boîte noire : une fois entrées, les données ne peuvent être ressorties de la base de données qu’avec une requête SQL. Il y a donc l’interface en surface, et les données sont stockées en profondeur. Au contraire, une page web est un contenu linéaire et « à plat ». Tout est là, mais cela signifie que tout doit être déjà en place : un hyperlien n’existe que s’il a été entré dans la page et ne fonctionne que si la page reliée existe également. Il existe des solutions pour transposer le contenu d’une base de données en un système d’encyclopédie exploratoire où l’on navigue à travers le contenu via une série d’hyperliens. La décision de créer un formulaire nous semble due à la priorité d’outiller les chercheur·se·s pour qu’il·elle·s puissent interroger de la base de données.

Ainsi, pour se focaliser sur un contenu spécifique dans l’interface de l’INHA, il faut retenir le critère en question, revenir en arrière jusqu’au formulaire ou ouvrir un nouvel onglet pour effectuer sa recherche. Nous avons cependant régulièrement ouvert un très grand nombre d’onglets pour éviter de perdre les résultats d’une recherche. Cela a pour effet de créer une avalanche d’onglets ouverts, généralement difficiles à naviguer. Il s’agit là d’un environnement contraignant pour effectuer toute forme de comparaison.

L’ensemble de ces éléments posent des défis majeurs pour faire de la recherche avec l’interface en ligne, surtout si l’on souhaite effectuer des comparaisons ou développer des approches statistiques. Pourtant, ce sont les qualités quantitatives de la base qui intéressent les chercheur·se·s. Les questions émises par Françoise Boudon et Werner Szambien en 1990 s’expriment en nombres et en pourcentages. « En traitant tous les rapports selon une analyse informatisée, on les a rendus, en bloc, supérieurs à ce qu’ils sont chacun dans leur individualité, c’est-à-dire comparables » (Boudon 2009 : 13). L’intérêt de la base de données se situe donc au-delà de l’accès à la fiche individuelle.

2.3 Nouvelle interface, nouvelles approches

Dans l’objectif de mettre en valeur cette base de données, en même temps que pour ouvrir des horizons jusqu’ici non exploités dans la recherche sur les actions du Conseil des bâtiments civils et donc sur l’histoire de l’architecture publique en France, nous nous sommes proposé de réfléchir à la conception d’une nouvelle interface utilisateur pour la base CONBAVIL. Nous allons tout d’abord passer en revue les enjeux épistémologiques intrinsèques à la création d’une nouvelle interface de recherche (pour une base de données en histoire de l’art). Nous établissons ensuite la direction que nous souhaitons prendre dans la création de cette interface, avec la restructuration et l’enrichissement des données nécessaires. Finalement, nous prendrons du recul pour observer nos données depuis une « vue distante »37. Ce changement de perspective nous permet de percevoir l’ensemble des données comme un matériau avec des spécificités et des caractéristiques que nous allons travailler, manipuler, dans le chapitre suivant.

2.3.1 Enjeux épistémologiques

Un des enjeux que nous souhaitons aborder avec la création d’une nouvelle interface de recherche pour CONBAVIL est le suivant : comment ne pas faire une recherche, mais de la recherche avec une base de données? Ce que nous souhaitons distinguer entre ces deux formulations concerne le type d’interrogation qu’on effectue et les connaissances que la réponse peut nous apporter. Dans le premier cas, il s’agit de poser une question précise à la base de données. La réponse contient une information. Si cette information peut être utile, elle ne suffit pas, en elle-même, pour produire un savoir. Dans le second cas, il s’agirait d’une question de recherche probablement plus complexe, dont la réponse contiendrait une forme de connaissance. Faire une recherche dans CONBAVIL revient à obtenir en retour des données, présentées à l’écran comme une fiche ou une liste de fiches. Faire de la recherche avec CONBAVIL serait utiliser les données pour étudier un phénomène tel que l’évolution des dynamiques d’équipement instaurées par le Conseil des bâtiments civils. Comment pouvons-nous créer une telle interface?

Des données aux humanités numériques

Il ne suffit pas d’avoir affaire à des données en sciences humaines pour se situer dans le champ des humanités numériques. Alexandre Gefen suggère plutôt de concevoir les humanités numériques comme

l’apparition d’un paradigme méthodologique et épistémologique qu’il importe de saisir dans toute sa puissance heuristique, sans se laisser entraîner par l’idée naïve d’une production transparente de savoirs par moissonnage du big data des corpus, masses de données qui restent des artefacts muets en l’absence d’une herméneutique spécifique (Gefen 2015 : 62).

Dans le cas de grands volumes de données, il devient nécessaire de créer de nouveaux moyens pour les étudier et traiter l’information (Gefen 2015 : 61). En fait, même dans le cas de « petites » quantités de données, on peut distinguer les approches « numérisées » de celles « numériques » (Drucker 2013) . Dans le premier cas, la numérisation change le médium sans pour autant affecter la méthode. Les chercheur·se·s effectuent sur l’ordinateur un travail qui serait équivalent aux méthodes analogues. On pourrait parler d’une approche numérisée lorsque l’on « feuillette » des archives numérisées, sans autres données ou informations que l’ordre des pages. Pour explorer des méthodes numériques, le changement de médium des archives (qui, dans ce cas, ne sont pas nativement numériques) s’accompagne d’une forme d’extraction de leur contenu, métamorphosant ainsi les moyens disponibles pour les étudier.

Nature des données CONBAVIL

CONBAVIL ne peut pas être véritablement considérée comme relevant du big data, c’est-à-dire une « masse de données hétérogènes ». Il s’agit plutôt d’une forme d’archives numériques où le dépouillement analytique, effectué manuellement par des chercheur·se·s, détient un riche potentiel épistémologique. Le processus employé dépasse le champ d’une « simple » numérisation, qui équivaudrait à une reproduction numérique des documents d’archives (de leur image)38. Le dépouillement analytique est un contenu interprété sous une forme nativement numérique. Certaines données sont des transcriptions ou des résumés du contenu des archives, d’autres sont le produit d’une interprétation et d’une catégorisation du contenu39. Nous relevons toutefois la possibilité d’ajouter la reproduction numérique (scan) des documents40. Ce complément donnerait la possibilité de lire les documents originaux tout en bénéficiant des avantages du dépouillement numérique. Il·elle·s pourront également poser un regard critique sur l’indexation et les champs qui sont le produit d’une interprétation. On atteindrait ainsi un certain idéal d’accès et de transparence dans le procédé.

De par la forme choisie pour ces données et leur quantité, dès le départ, il a été nécessaire d’avoir un outil qui permette leur consultation et leur manipulation. Cet outil a pour but de répondre aux questions de recherche évoquées par les chercheur·se·s (2.2), mais aussi à celles actuelles dans la discipline (chapitre 1). Dans le contexte de création d’une nouvelle interface CONBAVIL, nous pensons toutefois qu’il est possible d’explorer et de tirer avantage d’un plus grand nombre d’opportunités offertes par le champ des humanités numériques.

Utilisation de sources numériques en histoire de l’art

Un cas actuel et exemplaire de création et d’utilisation de données est issu des archives d’une organisation, Experiments in Arts and Technology (E.A.T), fondée en 1966 par les artistes Robert Rauschenberg et Robert Whitman et les ingénieurs Billy Klüver et Fred Waldhauer (Leclercq 2016 : 46). Une équipe interdisciplinaire, au croisement de l’histoire de l’art sociale, du design et des humanités numériques, s’est penchée sur les archives E.A.T.. Les chercheurs du médialab ont commencé par identifier et interpréter des informations contenues dans les archives pour former un ensemble de données structurées. Après ce processus d’extraction [manuelle et humaine] des données, l’objectif a été d’équiper les historien·ne·s d’un instrument de recherche pour les explorer (Leclerq et Girard 2013 : 6).

Fig. 2-14: https://www.public.archi/atlas-2021/img/EATDatascape.png
Fig. 2-14 Lena Krause, Interface E.A.T Datascape, Capture d'écran capture d’écran de Christophe Leclerq, Paul Girard, Patrick Browne et Daniele Guido, EAT Datascape, MédiaLab SciencesPo, Paris, 2013.
http://eat_datascape.medialab.sciences-po.fr/

Le résultat obtenu prend la forme d’un datascape, conçu comme « à la fois outil et méthode d’analyse, de visualisation et d’exploration d’archives » (Leclercq 2016 : 45). L’interface interactive (fig. 2-14) offre la possibilité d’explorer les données sous plusieurs perspectives41. Elle permet de « visualiser et [de] penser ensemble, et non comme séparés, processus et résultat, pour rendre compte de la complexité d’une réalisation à la vie particulièrement longue » (Leclercq 2016 : 50). Le datascape du projet E.A.T., tout comme celui produit pour étudier Les transformations de l’économie française par le prisme du commerce international, 1716-1821 (TOFLIT18) (Charles et al. 2021), démontre avec aisance l’apport d’un tel instrument à la production de connaissance.

2.3.2 Travail des données

How can our new abilities to store vast amounts of data, to automatically classify, index, link, search and instantly retrieve it lead to new kinds of narratives? (Manovich 1999 : s.p.)

Quels moyens existe-t-il pour bâtir un récit (narrative) avec les données? Face à ce nouvel enjeu, il est nécessaire d’innover dans nos façons de penser et de produire des connaissances. Un défi particulier se situe dans l’interdisciplinarité de cette question. Si l’épistémologie appartient aux chercheur·se·s, les outils informatiques reviennent souvent à des « ingénieurs ». Cette division des rôles et des tâches freine voire empêche l’innovation. Johanna Drucker argumente que « le design d’outils numériques pour la recherche est une responsabilité intellectuelle et non une tâche technique » (Drucker 2009 : B6). Cela requiert soit une proche collaboration, soit une double formation, afin de saisir les enjeux de recherche tout en choisissant et en adaptant les technologies appropriées pour y répondre. En les considérant « dans toute leur épaisseur symbolique, psychologique et méthodologique » (Caviglia 2014), on peut alors parvenir à produire de nouveaux outils et de nouvelles connaissances.

La création d’interface et l’interactivité transforment des données numériques en une « matière digitale » que les chercheur·se·s peuvent manipuler (Caviglia 2014). En fait, lors du travail avec une base de données, une première étape importante est de se familiariser avec le contenu.

Being able to download this dataset influenced my perception of a digital collection. Even though I had access to exact copies of archival databases, they still made it difcult to consider a dataset as a single entity, as a whole. In a database, information is scattered across a number of tables and in order to retrieve it, one has to formulate a precise query [even when it isn’t, it doesn’t afford visualisation of the whole]. [...]

In principle, one could create a single file export from any database, but this is not something the database paradigm afords -- in the Gibsonian (1977) sense. Databases aford partial access, while downloading a file entails that all data is contained within that file. A study conducted by Harper et al. (2013) highlights how users see files as something they can own and manipulate, giving them a sense of control and completeness -- both qualities that are useful also for analysing data. (Kraütli 2016 : 145)

Il faut aussi penser aux formats et à leur impact sur l’utilisation des données. Nous avons déjà analysé un format de base de données dit à plat, TEXTO, et effectué quelques comparaisons avec les possibilités offertes par une base de données relationnelle. Dans l’ensemble, l’avantage des bases de données est qu’elles permettent d’enregistrer et de faire des requêtes sur un grand nombre de données. Toutefois, TEXTO n’existe plus et Filemaker étant un logiciel propriétaire, il faut payer pour avoir le logiciel qui fonctionne sur un ordinateur. Si l’histoire se répétait et que la compagnie faisait faillite ou la solution était abandonnée, l’absence de mises à jour pour les nouveaux ordinateurs compliquerait une fois de plus l’accès et la maintenance de la base de données. Si le choix d’un format d’utilisation de CONBAVIL à l’interne est une décision qui revient à ses détenteurs, le Centre André-Chastel, nous nous intéressons à l’accès pour les autres chercheur·se·s. Pour éviter les contraintes d’accès et d’interopérabilité, ainsi que pour manipuler l’ensemble du contenu de la base de données, nous donc avons commencé par exporter les données.

Exportation et transformation de CONBAVIL

Pour des questions de conservation et de pérennité, nous avons tout d’abord choisi d’exporter les données dans le format XML (eXtensible Markup Language). Étant un simple fichier texte, ce format présente l’avantage d’être lisible sur tous les ordinateurs sans prérequis logiciel. Cela le rend plus résilient face aux évolutions des technologies. Il peut aussi être structuré lorsqu’on l’utilise avec un schéma, un ensemble de règles concernant le document. Pour « trouver » des données dans ce grand fichier linéaire, on utilise le langage XPath qui trace un chemin vers les éléments qui correspondent à la requête. Il existe également le système de transformation de ces données, nommé XSLT (eXtensible Stylesheet Language Transformation), qui prend les informations et les retranscrit selon le format et la structure désirée. L’interrogation est effectuée avec XQuery. Finalement, c’est un langage qui est lisible par les machines comme par les humains. L’export des données Filemaker en un fichier XML avec un schéma correspondant a été effectué par Emmanuel Château-Dutier dans le cadre de ses recherches sur le Conseil des bâtiments civils et les données CONBAVIL. Nous avons ainsi obtenu un premier accès aux données.

Un second élément important concerne l’accès à la nouvelle interface. Tout comme l’outil d’interrogation, nous pensons que pour rendre cette base de données accessible, elle doit être consultable sur le web. En ce qui concerne le web, il est plus commode d’employer le format JSON (JavaScript Object Notation). C’est un format de données qui est pris en charge nativement dans les standards du web : le trio HTML, CSS et JavaScript. Dans ce trio, HTML contient le contenu textuel, CSS sert à la mise en page et Javascript à la gestion des interactions telles que des mouvements de souris et des clics.

S’il existe de très nombreuses options de format pour créer une interface de consultation des données CONBAVIL, nous avons choisi d’utiliser uniquement le trio standard du web pour plusieurs raisons. Tout d’abord, nous voulons limiter les dépendances à des logiciels ou à des outils de programmation afin d’assurer un maximum d’autonomie au projet. Cela permet aussi de maximiser le temps disponible pour travailler sur les visualisations de données. Comme il s’agit d’une expérimentation dans le cadre d’un mémoire de maîtrise et que l’apprentissage de nouvelles méthodes en programmation est chronophage, nous avons choisi de limiter la complexité des outils employés. Au vu de ces décisions, la chaîne de production se présente comme suit : travail à l’interne sur la base de données Filemaker, exportation vers XML pour la conservation des données, puis transformation en JSON pour leur utilisation web. Les scripts qui permettent de passer d’un format à l’autre sont faits pour être réutilisés et adaptés en cas de mise à jour dans les données.

Nous avons donc écrit un script en Javascript avec l’aide précieuse de Prof. Stéfan Sinclair pour transformer le fichier XML en JSON. Les propriétés sont structurées différemment et certains noms ont été changés, car ce travail a été effectué avec l’appui de collaborateurs et à un stade nous n’étions pas très familiers avec les données. Le choix des noms de propriété est un peu aléatoire, mais ils peuvent facilement être changés dans le script si désiré. Ensuite, il a fallu régulariser plusieurs éléments de la base de données, c’est qu’on appelle le nettoyage des données. Il a notamment été nécessaire de séparer les marqueurs d’incertitude du contenu concerné. À l’écrit, on a tendance à mettre les choses entre parenthèses ou crochet, ou encore à ajouter un point d’interrogation. Cependant, pour les machines, il vaut mieux les indiquer de la même façon, et de préférence distinguer cette information du contenu textuel. Nous avons donc retiré tous ces marqueurs pour les remplacer par une propriété supplémentaire : « unsure » dont la valeur est vraie quand le texte comportait une indication d’incertitude. Cela permet d’uniformiser les données sans pour autant perdre cette information importante. Nous avons aussi mis à jour les références vers le Thésaurus de la désignation des œuvres architecturales, car il été modifié et ne correspondait plus tout à fait aux entrées dans CONBAVIL.

Enrichir les données par la géolocalisation

L’aspect spatial important dans CONBAVIL nous a aussi tout de suite inspiré une approche cartographique. C’est pourquoi il fallait compléter les noms de communes, dûment ajustés aux divisions de la France actuelle par les chercheur·se·s du CAC, par leur géolocalisation. Pour ce faire, nous avons tout d’abord établi une liste de toutes les communes mentionnées dans CONBAVIL. Nous avons ensuite cherché un fichier de données ouvertes qui contient la géolocalisation de toutes les communes françaises. Il a ainsi été possible de trouver de compléter la liste des communes de leur géolocalisation. Il reste certains problèmes d’encodage (la façon dont on écrit les accents) qui causent parfois des erreurs dans l’alignement des données. Pour ce qui est des emplacements qui ne font pas partie de la France actuelle, les données comportaient le nom et le pays actuels. Nous avons utilisé un service de géolocalisation d’Open Street Map intitulé « Nominatim » pour obtenir les géolocalisations de ces lieux42.

Une fois cette liste des communes enrichie des géolocalisations, nous avons ajouté les géolocalisations de ces communes pour l’ensemble des mentions de communes de CONBAVIL. Nous avons cependant fait face à des difficultés majeures, puisque de nombreuses délibérations ne concernent pas un seul emplacement, mais plusieurs. Pour documenter cela, les chercheur·se·s ont étés contraint·e·s, par le logiciel TEXTO, d’entrer les noms des communes dans le même champ, en les séparant généralement par des points-virgules. Cependant, comme la propriété commune est un champ distinct de celle « département » et « numéro de département », il·elle·s ont également dû entrer ces informations dans les champs respectifs, à nouveau séparés par des points-virgules lorsqu’il y en avait plusieurs. Le problème auquel nous avons fait face concerne la relative fréquence des homonymies entre les communes de départements distincts. Il s’est avéré, à de multiples reprises, qu’il n’était pas possible de déduire informatiquement quelle commune correspondait à quel département puisque nous ne sommes pas parvenues à trouver un ordre logique entre les champs et leurs entrées respectives (quelle commune correspond à quels département et numéro de département). Malgré ces difficultés, nous avons réussi à compléter la géolocalisation de 22 000 délibérations en collaboration avec Paul Girard. Il nous semble possible de compléter celles manquantes, toutefois, en raison de contraintes temporelles, cela n’a pas été fait pour le moment.

2.3.3 Vues distantes du contenu

Qu’est-ce que le contenu de la base de données CONBAVIL? Comment comprendre une base de données dans son ensemble? Avec l’exportation des données à laquelle nous avons procédé, il devient possible de s’outiller pour produire des vues sur l’ensemble de la base de données. Nous reprenons le concept de datascape ou « paysage de données », qui est « à la fois outil et méthode d’analyse, de visualisation et d’exploration d’archives » (Leclerc et Girard, 2017 : 45). L’idée est de produire une sorte de topographie des données de CONBAVIL. Cependant, en lieu des latitudes, longitudes, altitudes et autres éléments figurés se trouvent les données et leurs propriétés. Nous avons produit deux paysages de données pour expérimenter avec le concept ainsi que pour découvrir le contenu général de CONBAVIL.

Datascape 1 : occurrences et valeurs distinctes de chaque propriété

Le premier est un simple histogramme, ou bar chart (fig. 2-15). Chaque barre figure une propriété et sa hauteur est calculée selon sa récurrence dans la base de données. Le système bicolore permet de distinguer les occurrences uniques (en rose) de celles multiples. L’interactivité du graphique permet d’explorer le contenu de chaque barre en cliquant dessus. Cela affiche en dessous le nombre d’occurrences total, ainsi que les valeurs distinctes, puis une liste de ces dernières.

Fig. 2-15 Lena Krause, Datascape #2, recherche associée à l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2020.
https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/datascape/index.html

Logiquement, les champs normalisés sont majoritairement en bleu tandis que les champs plein texte sont en rose. Dû aux grandes disparités entre les valeurs, on ne peut pas voir la partie rose, c’est-à-dire les occurrences distinctes, de certaines propriétés comme les registres (valeur : 66) ou les catégories architecturales (16). Il faut noter que le champ « id » est nécessairement rose puisque ce sont les identifiants uniques. Puisqu’il s’agit d’un moyen de figurer la base de données, nous n’avons pas retiré ce champ même s’il est moins pertinent, car c’est plus un exercice de figuration (brute ou directe) que d’expression analytique.

Lorsque la propriété contient 1 élément pour chaque fiche, le résultat est de 26954. C’est le cas pour la date de réunion. Il y a exactement une date par fiche, donc 26954 valeurs pour le champ « date ». Les valeurs distinctes nous informent que la base de données contient 4199 dates différentes. C’est une façon d’inférer que, sauf erreur43, ce sont près de 4200 séances du conseil dont les procès-verbaux ont été numérisés.

Le type de bâtiment est un exemple d’une propriété est renseignée plusieurs fois par fiche. Le nombre d’occurrences monte à 43555, ce qui donne une moyenne de 1.5. Statistiquement parlant, on pourrait penser que la moitié des fiches comportent 1 type d’édifice, et l’autre moitié 2. Cependant, nous savons que plusieurs fiches ne comportent pas de type de bâtiment, car il s’agit d’affaires administratives. Nous relevons donc ici l’utilité relative de ces chiffres. L’objectif est de donner une idée, mais à eux seuls, ces chiffres ne permettent pas de tirer des conclusions. Pour arriver à une évaluation statistique plus probante, il faudrait par exemple calculer la moyenne et les écarts-types.

S’il était évident avant de produire ce graphique que la base de données contenait les 66 premiers registres des procès-verbaux, il n’y a pas eu, à notre connaissance, d’étude « distante » du contenu de CONBAVIL. Ce type de graphique donne un contexte aux informations contenues dans la base de données. Il s’agit d’un outil utile pour situer des résultats (fiche classique, fiche hors normes, etc.) dans l’ensemble des données.

Datascape 2 : approche sensible de près d’un million d’affirmations

Le second datascape est un graphique complexe et long, plutôt conceptuel ou poétique (fig. 2-16). Il s’agit d’une trame composée des propriétés (colonnes) dont chaque ligne est une fiche. Ce système binaire, qui signale si la propriété est renseignée (sombre) ou non (clair), est inspiré par les matrices de l’éminent cartographe et sémiologue français, Jaques Bertin44. Le principe des matrices de Bertin est un système visuel de classification, la diagonalisation, qui permet d’identifier des similarités entre des entités. Il s’agit d’employer notre capacité instinctive d’interprétation visuelle pour ranger et classifier l’information.

Fig. 2-16: https://www.public.archi/atlas-2021/img/datascape.png
Fig. 2-16 Lena Krause, Datascape #2, recherche associée à l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), capture d’écran, 2020.

Les propriétés sont regroupées thématiquement (toponymie, rapports et avis, détails). Nous avons augmenté la transparence des champs que nous avons créés lors du nettoyage des données, car ces champs n’existent pas en tant que tel dans la base. L’effet recherché est de faciliter une exploration sensorielle des données. La structure évoque la texture de la dentelle ou les partitions à trous d’une boîte à musique, des matières que nous pouvons manipuler et parmi lesquelles nous pouvons ressentir avec aisance la présence de motifs. Pour ce faire, nous pensons qu’il faudrait littéralement imprimer, perler, tricoter ou effectuer en Lego ce graphique. Ce retour à une matérialité permettrait un renouveau dans notre perspective et dans notre sensibilité face aux données présentées.

Les paysages de données que nous avons créés sont pensés comme une étape de travail « préliminaire ». Ils ne figurent pas le contenu en soi de CONBAVIL, mais plutôt des métadonnées. La différence entre données et métadonnées est une question de contexte. Dans ce cas, les données sont le contenu de chaque fiche, comme la date, l’avis, les topographie et typologie renseignées. Les métadonnées décrivent le contenu de la base de données, mais ne le contiennent pas. Par exemple, dans notre réinterprétation des matrices de Bertin, nous avons créé une métadonnée qui indique si « oui » ou « non » les propriétés, telles que la date, l’avis, etc., sont renseignées dans la base de données.

Conclusion

Ce chapitre nous a ainsi immergé·e·s dans cette initiative pionnière en histoire de l’art numérique, la base de données CONBAVIL. Nous avons exploré les moyens d’en développer une compréhension critique malgré son contenu vertigineux, avec près de 26’900 entrées dans la base de données. Du document d’archives aux multiples formats de données, nous avons parcouru les transformations successives de l’information contenue dans CONBAVIL. En étudiant les formes d’accès à la base de données par le biais de questions de recherche posées par Françoise Boudon et Werner Szambien, nous avons révélé les détails de son contenu ainsi que les modes d’interrogation de la base actuellement disponibles. Cette analyse démontre l’impact du format et de l’accès des données sur la production de connaissance. Ces constats ont donc informé nos choix et notre préparation pour la création de nouvelles formes d’accès à CONBAVIL que nous proposons dans le chapitre suivant.

Chapitre 3
La création d’un atlas numérique

Les connaissances que nous avons acquises sur le Conseil des bâtiments civils et sur la structuration de la base de données CONBAVIL nous permettent désormais d’envisager la conception d’une nouvelle interface pour ces données. Ce dispositif doit favoriser l’exploration des données tout en s’inspirant des questions de recherche évoquées par les chercheur·se·s impliqué·e·s dans la création de la base, l’historiographie des recherches sur le sujet et le contexte historique, c’est-à-dire la statistique, la cartographie thématique et la rationalisation administrative. Dans un premier temps, nous allons explorer les concordances entre ces questions et les moyens méthodologiques et technologiques à notre disposition. Nous expérimenterons ensuite avec leur mise en pratique de façon isolée, à travers une série de prototypes de visualisations des données. Finalement, ce travail sera rassemblé dans un espace éditorial commun : l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795 - 1840). Cet Atlas est conçu comme un outil de réflexion théorique autour des enjeux d’éditorialisation et de conception d’interfaces de recherche. Il prend également la forme d’un métaprototype, puisqu’il contient une série de prototypes tout en servant de premier modèle à la réalisation de notre instrument de recherche pour CONBAVIL.

3.1 Espaces et interprétation des données

Une interface est l’espace numérique qui donne une forme aux données. Elle définit les vues sur les données ainsi que les actions qu’il est possible d’y effectuer. Comme nous l’avons constaté lors de l’analyse du formulaire de l’INHA, la présence ou l’absence d’un bouton ou d’un critère d’interrogation a de fortes répercussions sur les recherches qu’il est possible d’effectuer. L’interface dicte ainsi nos façons de réfléchir et les questions qu’on est en mesure de poser lors de la consultation d’une base de données. Mais cela signifie également qu’une interface produit des affordances épistémologiques. Parce qu’elle définit le cadre au sein duquel nous pensons, elle peut tout autant inspirer nos questions, nos observations, nos hypothèses et nos déductions à propos de la base de données.

Puisqu’il existe déjà un outil d’interrogation de la base de données CONBAVIL, nous voulons créer un instrument de recherche complémentaire. Le premier permet de chercher un contenu spécifique via l’outil d’interrogation. Grâce à ce point de départ, nous pouvons temporairement mettre de côté les contraintes et le pragmatisme dans l’accès aux données pour expérimenter avec le potentiel d’interfaces plus particulières, particulièrement dans la présentation visuelle des données. Nous pouvons ainsi spéculer autour de la création d’un instrument de recherche et dispositif critique qui serait à l’origine de questionnements et d’une herméneutique des données. Ces spéculations mènent, d’une part, à la création de notre atlas numérique. D’autre part, les connaissances et l’expérience produites à l’issue de ce travail pourront étayer le travail sur l’interface actuelle de CONBAVIL, notamment dans le cas de son éventuelle refonte.

3.1.1 Approches quantitatives et cartographiques

Dimension quantitative et statistique

Notre instrument de recherche a pour objectif de poursuivre et étendre les recherches quantitatives ou statistiques, ainsi que la dimension spatialisée des travaux de Georges Teyssot et Bernard Lepetit (ch1.3.3). Une telle entreprise est désormais non seulement rendue possible, mais aussi facilitée par CONBAVIL puisque les données sont indexées géographiquement et par types architecturaux. Nous puisons également dans le contexte de création de la base de données pour les méthodes de recherches encore inexploitées. Dans l’introduction du livret qui accompagne la mise en ligne de CONBAVIL en 2009, l’historien de l’architecture Jean-Phlippe Garric détaille l’énorme potentiel de cette base de données pour la recherche.

Cette base de données [...] nous conduit à imaginer des enquêtes et des travaux jadis presque impossibles, ouvrant des perspectives inédites sur des analyses quantitatives, économiques ou typologiques, sur des comparaisons entre régions ou sur les rapports Paris-Province, sur le mouvement de codification des règlements et des marchés de travaux, sur les combats de l’art et de la nécessité, du local et du national. (Garric dans Boudon 2009: 5)

C’est cette réflexion quantitative que nous souhaitons poursuivre tout en nous inspirant du contexte de production des archives. Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre de ce mémoire, une véritable volonté de créer et d’utiliser des données émerge à l’époque de la création du Conseil des bâtiments civils. Si les moyens n’étaient pas encore disponibles, ni en statistique ni en cartographie, nous disposons aujourd’hui d’une variété d’outils à notre disposition pour en faire l’exercice. Nous envisageons donc la production de cartes thématiques ou d’autres façons pertinentes de visualiser nos données pour en révéler le raisonnement sous-jacent : des dynamiques bâtisseuses, des priorités régionales ou des tendances en matière d’équipement.

Pour ce faire, il faut trouver un moyen d’articuler les propriétés contenues dans les données. Les mentions de personnes et les informations financières n’étant pas suffisamment structurées, nous avons choisi de nous concentrer sur les propriétés spatiales, chronologiques et typologiques. Nous employons également des outils statistiques pour comptabiliser les actions du Conseil des bâtiments civils, à commencer par le simple acte d’addition sur une propriété ─ par exemple, additionner les délibérations par département ─ puis une distribution en pourcentages. Bien d’autres méthodes quantitatives et statistiques sont à la disposition de l’historien·ne pour l’analyse (Lemercier et Zalc 2008). Nous avons toutefois choisi, dans le cadre de ce mémoire, de nous arrêter à ces méthodes de base, car elles nous paraissent plus proches du mode de pensée de l’époque et nous procurent déjà une mine de nouvelles informations sur le sujet.

Pensée cartographique

Les approches quantitatives se combinent aisément à une approche géographique inspirée par la géographie de l’art (Kaufmann 2004).

En 1987, Dario Gamboni regrettait, dans sa Géographie artistique de la Suisse, le caractère exceptionnel de l’usage de la carte en histoire de l’art, d’une part faute de « données systématiques et quantifiables comme celles que travaillent à recueillir ethnologues, dialectologues, économistes ou sociologues » (Gamboni, 1987, p. 2), et d’autre part en raison d’une conception de la culture « qui voit dans l’œuvre d’art le produit d’une activité échappant par essence aux déterminations historiques, tel qu’elles se matérialisent notamment dans l’espace » (id.) (Besse 2010: 214)

CONBAVIL nous fournit des « données systématiques et quantifiables ». Nous pouvons donc envisager de contribuer à une géographie artistique afin d’ouvrir « de nouveaux programmes de recherche propres à l’histoire de l’art, apparus dans le prolongement de cet intérêt pour les problématiques spatiales » (Besse 2010: 215).

En entreprenant les recherches théoriques et pratiques nécessaires pour cartographier les données de CONBAVIL, nous avons pris appui sur les réflexions du philosophe et historien Jean-Marc Besse qui propose une conception pragmatique de la carte et, par extension, de l’acte cartographique :

  1. Toute carte est en même temps une interprétation et un projet vis-à-vis du territoire auquel elle réfère, autrement dit toute carte se présente comme une version possible du territoire.
  2. Toute carte est la traduction et la condition d’un pouvoir qui cherche à s’exercer socialement et culturellement, et qui s’appuie sur la carte pour s’assurer une forme d’autorité.
  3. Toute carte développe sa stratégie par l’intermédiaire de la mise en œuvre d’un univers graphique au sein duquel elle construit son discours, un espace graphique qui n’est rien d’autre que la mise en forme d’un territoire de référence au sujet duquel le discours est construit. (Besse 2006: 8)

Relevons ici l’importance de rendre visibles les dimensions interprétatives et graphiques de la carte, précepte qui ressort également dans les principes de la cartographie critique. Dans son article « Deconstructing the Map » (Harley 1989), le spécialiste de la cartographie historique Brian Harley met tout d’abord le système de la cartographie en relation avec celui du discours selon Foucault, c’est-à-dire un système de possibilités qui produit de la connaissance. L’auteur identifie deux ensembles de règles qui sous-tendent et dominent l’histoire de la cartographie occidentale depuis le XVIIe siècle. La première concerne la production technique des cartes et les règles scientifiques de la production de connaissances. La seconde contextualise la production cartographique dans sa dimension culturelle, les cartes respectant les codes de la société qu’elles représentent tout en les renforçant. Sous le masque de la neutralité scientifique se révèle une image construite non seulement à partir de mesures d’un monde phénoménologique, mais également à partir de l’ordre social qui régit ce monde (Harley 1989: 3-7).

Dans la deuxième partie de l’article, Harley emploie la déconstruction selon Derrida pour analyser en détail le texte cartographique. Dans les marges et les écarts du modèle normatif, Brian Harley identifie la dimension symbolique du fait cartographique. La cartographie est par nature un art de la communication persuasive. Le fait cartographique constitue donc un texte rhétorique qui utilise les codes à disposition afin de communiquer au mieux le mythe qu’il cherche à propager. La rhétorique et la science ne sont pas opposées, mais considérées comme deux éléments constitutifs et révélateurs lors de l’analyse de l’objet cartographié (Harley 1989: 7-11). Harley poursuit en pointant les dimensions sociales et politiques de la cartographie. De retour en territoire Foucaldien, la carte est comprise comme une forme de savoir-pouvoir dans la société. Le pouvoir de la carte peut être externe, lié au pouvoir politique, ou interne, en relation avec l’impact politique de la pratique du cartographe. Ce dernier n’exerce pas son pouvoir directement sur les individus, mais sur le savoir à leur disposition. Il faut alors envisager l’impact de ces images dont la neutralité n’est plus concevable (Harley 1989: 11-14).

Le changement épistémologique proposé dans cet article rapproche, selon nous, la discipline de Harley de la nôtre. En effet, l’historien·ne de la cartographie comme l’historien·ne de l’art ne produit pas les objets de sa discipline. Cette distance critique avec l’objet étudié permet de révéler puis d’analyser le contexte culturel et les règles de production de ces objets. Le mouvement de cartographie critique a ensuite permis l’émergence, au cours des années 2000, d’une nouvelle pratique : la contre-cartographie. La carte, dispositif politique et instrument de savoir et de pouvoir, est employée pour ébranler le pouvoir et défier les normes. En reversant les postures (qui crée la carte et l’emploie, à qui elle est destinée), on peut permettre une « political practice of mapping back » (Halder et Michel dans Kollektiv Orangotango+ 2018: 13). La proposition consiste à utiliser les instruments du pouvoir contre lui, pour révéler son fonctionnement et ses biais, ainsi que pour inverser les rapports de pouvoir.

La création d’un atlas numérique peut présenter diverses modalités de production du savoir en histoire de l’art. Dans le cas de l’Atlasmuseum (Pringuet 2017), l’outil développé ne sert pas tant à l’analyse --- tout du moins pas encore --- qu’au recensement des œuvres d’art public en France, par le moyen d’une plateforme numérique participative. La diversité des modèles et des emplois des projets qui mêlent des données géolocalisées et l’histoire de l’art suggère, d’une part, l’émergence d’une pratique dont les traits sont encore en train de se définir. D’autre part, que la pluralité des formes permises par le numérique offre l’opportunité de définir un modèle spécifique à chaque cadre de recherche. Ainsi, l’enjeu n’est pas tant de reproduire des modèles que d’adapter sa méthode aux caractéristiques d’un projet de recherche.

3.1.2 De la cartographie à la visualisation de données

CONBAVIL forme un espace cartographique composé de multiples épaisseurs. D’abord, il est constitué d’un territoire de référence physique, la France de la première moitié du XIXe siècle, sur lequel s’applique une politique architecturale. Ensuite, les archives administratives font également partie intégrante du territoire et participent elles aussi à le construire. La cartographie fournit ainsi « une méthode pour unir dans une image le concept d’un territoire et une multitude d’informations dites empiriques livrées par la fréquentation du terrain » (Besse 2006: 15). Aux informations « empiriques », nous substituons des données issues de sources archivistiques, lesquelles se trouvent enrichies par la géolocalisation que nous leur adjoignons.

Le processus cartographique que nous proposons vient ainsi réinscrire l’action du Conseil des bâtiments civils sur le territoire français et révéler son empreinte sur le pays. Au-delà de l’impact du patrimoine bâti sur le territoire, nous prenons aussi en compte les projets refusés ou inaboutis. Leur cartographie nous invite « à voir et à penser ce que l’on ne voit pas et ne pense pas quand on regarde l’espace réel » (Jacob 1992: 50). L’imaginaire bâtisseur de l’époque se matérialise par ses archives et nous offre une autre facette de l’histoire de ce territoire. Nous cherchons ainsi à mettre en pratique la pensée de l’historien de l’art Dario Gamboni, selon qui,

[p]our comprendre l’histoire d’un lieu, il importe de connaître non seulement ce qu’il a été possible d’y réaliser, mais encore ce qu’il était impossible d’y faire pour des raisons esthétiques et culturelles, techniques, sociales ou encore politiques. (2008: 9)

L’historien Christian Jacob a théorisé la relation entre les archives et la cartographie dans L’Empire des cartes* (1992). Dans cet ouvrage majeur, il présente un projet de recherche sur les prénoms mené par la Rencontre des historiens du Limousin45. Dans le contexte d’un dépouillement massif d’archives, ces chercheur·se·s soulignent le potentiel épistémologique de l’usage de la cartographie pour « le quantitatif et l’étude de l’organisation spatiale des phénomènes » (Pérouas 1984: 3). Dans le cadre d’un tel projet, la carte devient un instrument d’enquête pour l’historien·ne : elle « ne renvoie pas à une réalité visible sur le terrain --- en revanche, elle permet de visualiser différemment des centaines d’archives dépouillées par les historiens » (Jacob 1992: 32). Dans le cas du Conseil des bâtiments civils, plus de 26 000 affaires situées dans 4 200 lieux sont organisées selon une logique encore enfouie dans les sources. La cartographie de ces éléments nous permet de discerner leur organisation spatiale et de renouveler ainsi la compréhension de l’administration de l’architecture publique française au lendemain de la Révolution.

Avec Jean-Marc Besse, nous préférons employer le terme « figuration » à celui de « représentation » pour parler de l’image produite par la cartographie, car « la figuration est le dessin d’un objet qui ne préexiste pas à son image, alors que l’usage courant du mot représentation fait de celle-ci la reproduction d’une réalité préexistante » (Besse 2006: 12). De plus, nous élargissons notre approche cartographique pour y inclure des formes visuelles qui ne sont pas spécifiquement topographiques, notamment des diagrammes chronologiques ou typologiques. Rappelant l’étymologie du mot « diagramme », cet auteur définit la carte comme « une eikôn d’un genre particulier » qui « nous renvoie d’une part à un acte d’écriture (gramma, relation avec graphein) et d’autre part [à] un acte d’articulation logique (dia-, à la fois distinguer et relier, enchaîner ce qui est distingué) » (2006: 15). L’assemblage de ces actes de figuration, d’écriture et d’articulation logique nous permet de définir la visualisation de données comme une forme de pensée visuelle qui figure un imaginaire raisonné et construit.

L’acte cartographique ajoute également une dimension spatiale au savoir. Non linéaire, la carte ne dicte pas nécessairement un point de vue unique. Lorsqu’elle est conçue comme un objet de recherche, elle peut démultiplier les perspectives et les échelles tout en accumulant, tel un millefeuille46, les multiples couches temporelles qui composent l’histoire d’un lieu. Avec le développement d’outils informatiques pour la production de cartes numériques puis leur plus grande accessibilité à travers des applications web de cartographie comme Google Earth et OpenStreetMap, l’acte cartographique s’est trouvé transformé (Presner, Shepard, et Kawano 2014: 16) .

On peut désormais envisager un acte de cartographie « épaisse », thick mapping (Presner, Shepard, et Kawano 2014: 15-19). Dans l’ouvrage Hypercities (Presner, Shepard, et Kawano 2014: 2014), les chercheur·se·s allient l’approche géographique, les plateformes de cartographies numériques et les pratiques interprétatives de l’histoire pour mettre en place une forme de recherche sur l’espace qui se veut riche, nuancée et pluridimensionnelle. Cette épaisseur cartographique cristallise des opportunités nouvelles « de navigation empirique, d’épistémologie de la représentation et de rhétorique de la visualisation » (Burdick 2012: 46). Ce travail qui s’inscrit dans ce qui a parfois été désigné comme un « tournant spatial » promeut une variété d’approches pour analyser et cartographier les fortes imbrications qui existent entre les notions de culture, de pouvoir et d’espace (Presner, Shepard et Kawano 2014: 53).

Notre proposition rassemble ces divers enjeux cartographiques et s’étend à la notion de figuration pour définir nos visualisations de données comme des formes de pensée visuelle qui figurent un imaginaire raisonné et construit. La variété de formes visuelles que nous souhaitons produire nécessite aussi l’utilisation d’un langage graphique expressif. L’utilisation des variables visuelles identifiées par Jacques Bertin sera donc d’une grande utilité (Bertin 2013). L’analyse d’exemples et d’antécédents, couplée au processus d’éditorialisation, servira également à déterminer la forme graphique et numérique la plus appropriée pour notre atlas numérique de l’architecture publique.

3.1.3 Les outils de visualisation et de cartographie numérique

Il existe une gamme d’outils étendue pour la visualisation de données et la cartographie numérique. Afin de les présenter, nous proposons d’en distinguer trois grandes catégories : les logiciels, les systèmes d’information géographique (SIG) et les librairies de code informatique.

Les logiciels

La première catégorie concerne les logiciels pour la visualisation de données. L’ouvrage Hands-On Data-visualization publié en 2021 par Jack Dougherty et Ilya Ilyankou propose une recension récente des outils et logiciels (2021: chap. 6 - 8). Palladio, développé par le Research Lab à Stanford, est un excellent exemple de ce type d’applications dans le domaine des humanités numériques (Conroy 2017). En chargeant des données tabulaires dans le logiciel, on peut facilement accéder à différentes vues sur les données (carte, graphe, liste et galerie) qui peuvent être filtrées selon différents critères ou à l’aide de la chronologie générée par les données (Braude 2014, fig. 3-1). Ce type de logiciels, conçus pour être simples d’utilisation ne requiert pas de connaissances particulières en informatique. Il faut toutefois, au minimum, disposer de données et savoir les structurer en vue de leur utilisation dans le logiciel.

Relevons deux inconvénients relatifs à ce genre de solutions dans la perspective de notre projet d’instrument de recherche. D’une part, le logiciel prédéfinit les vues possibles sur les données. On ne peut pas les adapter ni en ajouter, ce qui contraint ainsi le choix de visualisations à celles proposées par défaut. D’autre part, il s’agit d’une utilisation individuelle. On peut enregistrer le projet pour le partager avec d’autres, mais l’accès et la diffusion restent internes au logiciel ou se limitent aux services web offerts par le logiciel.

Fig. 3-1: https://www.public.archi/atlas-2021/img/3-1.png
Fig. 3-1 Mark Braude, Interface de Palladio, capture d’écran publiée dans Mark Braude, « Palladio: Humanities thinking about data visualization », entrée de blogue, 2014.
https://hestia.open.ac.uk/palladio-humanities-thinking-about-datavisualization/ CC-BY 2.0

Les SIG

La seconde catégorie concerne des outils spécialisés pour la cartographie numérique, il s’agit des systèmes d’information géographique (SIG). Ces logiciels complexes et puissants, tel que QGIS et ArcGIS, doivent être installés sur l’ordinateur des chercheur·se·s. Ils requièrent un apprentissage spécialisé en cartographie numérique, mais présentent un vaste attirail d’outil pour spécifier chaque aspect technique et visuel de la carte47. Remontant aux années 1960, les SIG ont d’abord été crées pour une utilisation interne au logiciel qui permet des exports de cartes statiques (.png ou .pdf). Il existe désormais des extensions qui permettent certaines formes de publications interactives sur le web. Excepté pour QGIS, qui est un logiciel libre, il faut également prendre en compte le coût très élevé pour l’emploi de ces logiciels.

Fig. 3-2: https://www.public.archi/atlas-2021/img/QGIS_pop1831.png
Fig. 3-2 Lena Krause, Carte figurant la densité par commune de la population française en 1831, avec les données de Thomas Thevenin, capture d’écran dans QGIS, 2019.

Une fois que l’on saisit le fonctionnement des SIGs, ceux-ci s’avèrent des outils très efficaces et utiles dans le quotidien de la recherche, notamment pour explorer et cartographier des données géolocalisées. Nous avons par exemple employé QGIS pour visualiser les données du recensement des communes françaises de 1831 qui nous ont été transmises par Thomas Thevenin par exemple (fig. 3-2). Les SIGs présentent aussi l’avantage de pouvoir prendre en charge des traitements géomatiques complexes, tels que le géoréférencement de plans historiques et l’application d’une panoplie de méthodes cartographiques et statistiques.

Les librairies de code

La dernière catégorie d’outils que nous souhaitons évoquer concerne les bibliothèques de code informatique, telles que Leaflet.js et D3.js. Leur emploi requiert des connaissances en programmation. Une librairie de code est un recueil de code auquel on peut faire appel pour utiliser des fonctionnalités prédéfinies. Leaflet.js, par exemple, est conçue pour faciliter la création de cartes interactives. Nous en avons testé la fonctionnalité qui permet de créer une carte thermique (fig. 3-3), nous y reviendrons dans la sous-partie sur la cartographie 3.2.1.

Fig. 3-3: https://www.public.archi/atlas-2021/img/Leaflet_heatMap.png
Fig. 3-3 Lena Krause, Code Leaflet.js et carte thermique des projets CONBAVIL, capture d’écran de l’environnement de code et de la carte produite, 2021.
Disponible en ligne: https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/heatMapCommunes/index.html

La librairie D3.js se spécialise quant à elle dans la production de Data-Driven Documents48 (Bostock 2021). Initialement parue en 2011, cette librairie permet la manipulation de documents based on data (Bostock et al. 2011). Ces graphiques sont pensés et conçus pour le web. Les données sont converties en cartes ou en diagrammes directement dans le navigateur. Nous avons, par exemple, préparé la liste des communes dans CONBAVIL, dont voici, par exemple, le contenu pour Marseille :

                    {"properties": {
                        "commune": "Marseille",
                        "numDepartement": "13",
                        "numCommune": "13055",
                        "numDelib": 210},
                        "geometry": {
                            "type": "Point",
                            "coordinates": [5.419240990190953, 43.29248952546808] 
                        }
                    } 
                
Extrait, lignes 92 à 106, du fichier geoCommunesConbavil.json produit par l’autrice avec l’assistance de Paué Girard et Arnaud Pichon au Médialab, 2019)

Dans cette liste, chaque commune est un objet avec des propriétés, comme son nom, ses numéros de département et de communes. Parmi les propriétés, numDelib désigne le nombre de délibérations en ce lieu: dans le cas de Marseille, 210 délibérations dans CONBAVIL y sont situées. S’ajoutent à ces propriétés les informations pour la géolocalisation de la commune (geometry). À l’échelle à laquelle nous travaillons, le point central suffit.

Pour créer une visualisation, D3.js parcourt ces données et effectue une opération graphique pour chaque objet. Cela se traduit en instructions, telles que « pour chaque objet, placer un point [rouge] selon ses coordonnées [x, y] et définir la taille du point selon sa propriété numDelib ». On peut également définir les interactions, comme « lorsque la souris passe par-dessus le point, afficher le nom de la commune (Marseille) ». Chaque graphique D3.js requiert, en amont, des données ordonnées selon ce qu’on veut figurer. Il faut donc structurer ses données et les préparer à l’échelle du graphique à réaliser : barre d’un diagramme, points qui tracent une courbe, surface ou point sur une carte, etc. (fig. 3-4).

Fig. 3-4 Mike Bostock, Galerie d’exemples de visualisations avec D3.js, iframe d’une cellule d’ObservableHQ, 2020.
https://observablehq.com/@d3/gallery

Nous avons établi plusieurs critères pour sélectionner un outil de visualisation et de cartographie pour CONBAVIL. Nous souhaitions, dès le départ, explorer une pluralité de formes visuelles, de la cartographie aux différentes formes de graphiques et de diagrammes. Nous voulions également privilégier un outil qui nous permette de rester proche des données, puisque l’enjeu final relève de la création d’un espace de recherche pour les données de CONBAVIL. Finalement, l’accès web et interactif à ces visualisations s’avère être la solution au potentiel le plus riche. C’est pourquoi nous avons choisi de travailler avec la librairie d3.js, conçue pour le web et qui offre la plus grande flexibilité et variété dans les formes de visualisation de données ainsi que dans les interactions possibles.

3.2 Pratiques de visualisation et de cartographie

Dès les premières recherches engagées dans le cadre de ce travail, il nous semblait essentiel de cartographier CONBAVIL à partir d’informations spatiales renseignées dans CONBAVIL. Nous avons beaucoup expérimenté avant de parvenir à produire la carte que nous proposons, c’est pourquoi nous commençons par décrire le processus suivi, avant de présenter nos prototypes d’exploration visuelle des données de CONBAVIL. Ceux-ci prennent diverses formes diagrammatiques et chaque proposition présente une vue sur les données. La perspective change selon la caractéristique mise de l’avant par le graphique : la géolocalisation pour la carte, la date de discussion de l’affaire pour la chronologie et le type architectural pour la classification hiérarchique rayonnante. Nous effectuons ensuite un retour critique sur ces visualisations, une étape importante avant d’en arriver la forme-atlas.

3.2.1 Premières expérimentations et questions d’échelle

Chaque délibération, c’est-à-dire chaque projet architectural évalué par le Conseil des bâtiments civils lors d’une de ses séances, contient dans sa description les noms de commune, de département et de région, ainsi que le numéro de département. Notre premier essai cartographique est inspiré des travaux de Georges Teyssot et Bernard Lepetit, qui analysaient leurs données à l’échelle des départements. Cela semblait évident pour procéder à une comparaison entre leur travail et les nouvelles données dont nous disposons avec CONBAVIL.

Le fond de carte sélectionné est un découpage de la France en départements datant de 183149. Nous l’avons ensuite complétée de façon colorimétrique, exactement comme les autres cartes thématiques que nous avons vues, en indiquant la densité des projets. Notre carte se distingue par son interactivité. On peut passer la souris au-dessus de chaque département pour afficher le nombre exact de délibérations concernées. Le clic n’affiche pour le moment que le nom du département, mais le chiffre associé apparaît dans la console du navigateur. Comme la carte est réalisée à partir des données de CONBAVIL, il serait aisé d’afficher toutes les délibérations concernées lors de la sélection d’un département (fig. 3-5).

Fig. 3-5 Lena Krause, Carte des départements français et densité des projets CONBAVIL, carte interactive réalisée sur ObservableHQ pendant le cours LLCU-498&698 « Digital Humanities Project » donné par Prof. Stéfan Sinclair, Version exportée pour sa publication dans notre atlas, iframe, 2018.
https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/carte

Malgré le succès de cette première entreprise de cartographie numérique, cette carte nous paraît quelque peu décevante du point de vue herméneutique. À cette échelle, la cartographie des données ne présente qu’un intérêt relatif. La densité de délibérations dans le département du Nord pose quelques questions, toutefois, on ne peut pas vraiment observer de tendance diachronique avec la spatialisation produite ici. Un·e chercheur·se qui travaillerait sur un département français pourrait immédiatement consulter les délibérations qui y sont associées. Outre la dimension visuelle de la requête, le résultat demeurerait cependant équivalent à une recherche par département effectuée dans l’interface de l’INHA.

30’000+ communes françaises

Nous avons donc choisi de poursuivre nos expérimentations à une plus petite échelle, celle des communes. Avec plus de 30 000 communes françaises, il est presque impensable d’envisager un projet de cartographie thématique sans l’assistance d’un outil informatique. Nous avons d’ailleurs fait l’erreur un peu naïve d’employer le même code pour cartographier les communes que celui pour les départements. Ce code dessine le contour de chaque élément puis inscrit son nom en son centre. Comme fond de carte, nous avons employé des données sur les divisions administratives françaises disponibles en ligne50. Le résultat (fig. 3-6) produit un dense nuage de noms qui recouvrent le territoire et dont on entrevoit des extraits en zone liminaire. Pour visualiser le maillage des communes, nous l’avons ouvert avec QGIS (fig. 3-7).

Fig. 3-6: https://www.public.archi/atlas-2021/img/mapOfCommunes.png
Fig. 3-6 Lena Krause, Carte des noms des communes françaises, capture d’écran de la visualisation réalisée sur ObservableHQ, 2021.
Fig. 3-7: https://www.public.archi/atlas-2021/img/communesF.PNG
Fig. 3-7 Lena Krause, Carte des communes françaises, capture d’écran de la carte réalisée avec QGIS, 2021.

Ce ne sont toutefois pas les 30 000 communes qui apparaissent dans CONBAVIL, ainsi que nous l’avons expliqué dans le chapitre précédent (2.3.2), nous avons établi la liste des communes dans CONBAVIL, auxquelles nous avons ensuite associé une géolocalisation. Nous avons également décidé qu’en considérant les communes à l’échelle de la France, le centroïde serait une indication plus simple à gérer que la représentation de chaque aire51. Sur la suggestion du Professeur Stéfan Sinclair, nous avons réalisé, avec son aide précieuse, notre première carte (fig. 3-5) dans l’environnement de code en ligne ObservableHQ . Ces « cahiers numériques » ou notebooks sont conçus pour faciliter l’apprentissage et l’emploi de la librairie D3.js, ainsi que pour permettre à tou·te·s de « penser avec des données (ObservableHQ 2021). Chaque fichier est composé de cellules qui peuvent contenir du texte ou du code exécutable. La programmation est ainsi discrétisée en une série linéaire d’instructions pour en faciliter la compréhension et l’utilisation. C’est donc un environnement propice pour l’apprentissage. Nous avons cependant rapidement été contrainte de quitter cet environnement, car les données de CONBAVIL qui sont très volumineuses sont lourdes à charger. De plus, pour des problèmes de droits, il n’était pas possible de les rendre accessibles publiquement en ligne, ce qui compliquait la tâche pour les utiliser dans Observable.

Erreurs cartographiques

Nous avons donc commencé à coder nos visualisations nativement, en créant une page web classique composée de fichiers HTML, CSS et Javascript. Nous avons longuement réfléchi à la possibilité d’employer, en plus de d3.js pour la visualisation de données, une librairie de code comme React.js afin de bâtir une interface. Toutefois, le temps d’apprentissage nécessaire ainsi que l’ampleur du travail requis pour coder chaque visualisation nous ont dissuadé de le faire dans le cadre de ce mémoire. Un choix d’autant plus raisonnable que nous avons rencontré bien des complications dans la mise en œuvre de d3.js pour les visualisations, à commencer par un grand nombre de problèmes dans nos tentatives de cartographie numérique.

Nous avons eu la chance de commencer à coder nos visualisations lors d’un séjour de recherche au MédiaLab de SciencesPo Paris. Malgré l’immense aide de Paul Girard, Arnaud Pichon et l’ensemble de l’équipe tech, nous avons rencontré de nombreuses difficultés en cartographie numérique, comme le montrent les quelques exemples suivants que nous avons documentés (fig. 3-8 à 3-12). Ces erreurs cartographiques étaient notamment causées par des incohérences dans les fichiers de données de géolocalisation et dans la sélection des bonnes projections cartographiques.

Fig. 3-8: https://www.public.archi/atlas-2021/img/minimalF$.PNG
Fig. 3-8 Lena Krause, Erreur cartographique #1, capture d’écran, 2019.
Fig. 3-9: https://www.public.archi/atlas-2021/img/artContemporain.png
Fig. 3-9 Lena Krause, Erreur cartographique #2, capture d’écran, 2019.
Fig. 3-10: https://www.public.archi/atlas-2021/img/smallerFail.PNG
Fig. 3-10 Lena Krause, Erreur cartographique #3, capture d’écran, 2019.
Fig. 3-11: https://www.public.archi/atlas-2021/img/prettyFailbis.PNG
Fig. 3-11 Lena Krause, Erreur cartographique #4, capture d’écran, 2019.
Fig. 3-12: https://www.public.archi/atlas-2021/img/moreorless$.PNG
Fig. 3-12 Lena Krause, Erreur cartographique #5, capture d’écran, 2019.

Nous sommes finalement parvenue à un résultat correct dans l’encodage et la projection des données (fig. 3-13). Cette carte, que nous avons espièglement surnommée « varicelle », place un point rouge sur chaque commune présente dans CONBAVIL. Nous avons réemployé le fond de carte de 1831, cette fois non pas comme réceptacle du contenu, mais en guise de contenant, tel un guide visuel situant les communes. Si les délimitations des départements ont souvent varié pendant l’époque concernée, en particulier sous l’Empire, nous ne disposons pas (encore) d’un fonds de carte vectorisé et géolocalisé qui restitue ces transformations à travers le temps. Si cela enrichirait considérablement la carte, nous sommes au moins satisfaite de pouvoir déjà disposer d’un fond de carte d’époque.

Fig. 3-13: https://www.public.archi/atlas-2021/img/ProjetsConbavilFrance1831-communes.PNG
Fig. 3-13 Lena Krause, Carte varicelle CONBAVIL, capture d’écran, 2019.

Variables visuelles

Maintenant que chaque commune est figurée par un point, nous devons encore ajuster la taille des points en fonction du nombre de projets en ce lieu. La disproportion de délibérations à Paris a tout d’abord donné naissance à cette carte, dite « nez rouge » (fig. 3-14).

Fig. 3-14: https://www.public.archi/atlas-2021/img/bigParis.PNG
Fig. 3-14 Lena Krause, Carte nez rouge CONBAVIL, capture d’écran, 2019.

Nous avons essayé d’ajuster l’échelle, et l’excès dans l’ajustement a créé une autre carte « noyée » par ses contenus (fig. 3-15). Cette carte, illisible à première vue, possède toutefois un curieux potentiel herméneutique. En effet, cette carte interagit avec la position de la souris. On peut ainsi l’explorer en la survolant. Chaque cercle se révèle en changeant de couleur lorsqu’il est « actif », c’est-à-dire lorsque la souris passe dessus. Ainsi, tel un explorateur dans une grotte sombre, la souris fait office de lampe de poche qui révèle les contenus entremêlés.

Fig. 3-15 Lena Krause, Carte spéléologique de CONBAVIL, iframe, 2019.
https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/carteExploratoire/index.html

Carte thermique

Au cours de ce processus, nous avons également expérimenté avec d’autres librairies de code, comme leaflet.js. Cette librairie de cartographie interactive facilite grandement la tâche et permet « facilement » de créer des cartes. Nous avons testé la fonctionnalité heat map ou carte thermique disponible dans la librairie52. Le résultat donne une vue « empâtée » où l’on ne peut rien distinguer ni sélectionner. Nous avons essayé d’ajuster l’échelle, mais le rendu revenait à l’effet « nez rouge parisien » (fig. 3-3) ou « beurrait épais » la surface de la France (fig. 3-16). Malgré la simplicité du code, qui inclut un fond de carte géographique et une fonctionnalité de zoom, le manque d’interactivité avec les données nous a dissuadé de continuer l’emploi de cette librairie, certes pratique, mais un peu moins adaptée à nos préoccupations de recherche.

Fig. 3-16: https://www.public.archi/atlas-2021/img/heapmap_france.PNG
Fig. 3-16 Lena Krause, Carte thermique - empâtement CONBAVIL, capture d’écran, 2019.

3.2.2 Prototypes

Les prototypes suivants sont des visualisations plus abouties ou plus « finies » que les exemples précédents. Il demeure que de nombreux ajustements à ces cartes interactives sont encore souhaitables et ont d’ailleurs été imaginés, parfois même codés, mais sans être tout à fait fonctionnels. Leur état a été restreint par des contraintes temporelles. Même si chaque visualisation pourrait encore évoluer, dans l’éventualité d’une opportunité de les retravailler, elles servent de premier modèle pour démontrer le potentiel de la visualisation interactive de données, notamment pour renouveler l’utilisation de CONBAVIL.

Carte

Notre prototype de carte figure chaque commune par un point dont la taille est proportionnelle au nombre d’affaires la concernant (fig. 3-17). Cette fois, l’équilibre entre la taille des points se veut plus balancé, même si Paris demeure « écrasante ». L’échelle linéaire est calculée à partir de la racine carrée du nombre de délibérations, afin que la surface des cercles respecte le ratio plutôt que de l’augmenter exponentiellement lorsqu’il est transformé en aire. Le fond de carte situe les communes tout en restant dans une relative abstraction, ce qui favorise la lisibilité de la carte. Les limites départementales offrent un repère géographique tout en rappelant le contexte historique.

Fig. 3-17 Lena Krause, Carte des départements français et densité des projets Conbavil, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2019.
https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/carteCommunes/

Cette carte permet ainsi de mener, pour la première fois, une analyse visuelle, spatiale et quantitative des données de CONBAVIL. Une étude primaire révèle que son agencement est le reflet de la hiérarchie administrative française. Le plus grand nombre des affaires traitées par le Conseil se situent dans la capitale administrative du pays, Paris. Les projets majeurs sont regroupés dans les chefs-lieux des départements, tandis que les autres communes répertoriées font seulement l’objet de quelques délibérations, habituellement pour des affaires de moindre envergure. Ce constat fait écho à notre critique des cartes produites par Georges Teyssot et Gilbert Érouard. Cependant, l’interactivité de la carte lui confère un tout autre potentiel. L’utilisateur·rice peut sélectionner un ou plusieurs lieux et afficher les affaires concernées53. La consultation interactive invite à explorer les projets en fonction de leur distribution spatiale. La carte n’est plus une fin en soi, mais devient un moyen de plonger dans les données et les affaires.

La prédominance des projets à Paris nécessiterait un changement d’échelle. Théoriquement parlant, on pourrait définir des représentations pour plusieurs échelles, par exemple :

  1. vue sur l’ensemble de la France métropolitaine et ses environs : offrir le choix entre la distribution par département (fig. 3-5) ou ou par commune (fig. 3-17)
  2. vue d’un département ou d’une région : distribution par commune
  3. vue des grandes villes : distribution par arrondissement ou par adresse54

Contrairement à la librairie Leaflet dont nous venons de présenter un exemple d’utilisation (fig. 3-16), changer d’échelle cartographique avec le zoom n’est pas encore une fonctionnalité évidente dans D3.js. À cause de la complexité de leurs fonctionnements respectifs, nous n’avons pas cherché à croiser les librairies. Considérant que D3.js grandit exponentiellement et qu’il existe un grand nombre de contributeur·rice·s qui partagent leur code en ligne, notamment sur ObservableHQ, il se pourrait que la solution soit implémentable ou presque. Il serait également possible de lier plusieurs cartes d3.js, de façon à permettre des transitions d’une échelle à l’autre.

Chronologie

Le deuxième prototype cible les données temporelles. À partir du code proposé par Mike Bostock, créateur de la bibliothèque D3.js (2020b), nous avons généré une chronologie des séances du Conseil qui présente le nombre de projets évalués à chaque occurrence (fig. 3-18). Ce graphique permet ainsi de rendre compte de la fréquence des séances du Conseil et de la quantité d’affaires traitées au fil du temps. Grâce à la fonction de zoom, l’utilisateur peut modifier l’axe chronologique et examiner de manière détaillée des intervalles temporels plus restreints. En dessous de cette visualisation, la légende, qui est elle-même un graphique, sert de repère. Elle situe la section visualisée et propose un autre moyen de parcourir la chronologie.

Fig. 3-18 Lena Krause, Chronologie des séances du Conseil des bâtiments civils, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2019.
https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/chronologie/

Malgré tout l’intérêt qu’offre ces manipulations, l’illusion de continuité que cette figure pourrait donner à l’utilisateur constitue, à notre avis, un problème important. En effet, le graphique génère une courbe qui relie les événements entre eux. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi une courbe en escalier55, qui crée des paliers entre chaque élément, pour essayer de discrétiser l’information, c’est-à-dire la séparer en des unités distinctes. Le problème persiste néanmoins en partie, car il n’est pas possible de distinguer les séances consécutives ayant le même nombre de délibérations. En outre, on ne peut pas visualiser les interruptions dans les sources : par exemple, il n’y a pas de séance saisie dans la base de données entre le 8 octobre 1833 et le 3 janvier 1834, tandis que la ligne continue dans le diagramme suggère un nombre stable de délibérations pendant toute la période (fig. 3-19).

Fig. 3-19: https://www.public.archi/atlas-2021/img/3-19.png
Fig. 3-19 Lena Krause, Chronologie des séances du Conseil des bâtiments civils (détail), capture d’écran du prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), 2019.

Pour obvier à ces inconvénients, nous avons conçu un diagramme en bâtons (fig. 3-20). Dans cette visualisation, chaque barre représente une séance et sa hauteur le nombre de délibérations. La couleur assiste la lecture dans le brouhaha visuel causé par le grand nombre d’éléments visualisés. Les séances les moins visibles étant celles aux petits nombres de délibérations, celles-ci sont d’une couleur claire et vive entre le blanc et le jaune. Puisque la barre de la séance s’agrandit plus il y a de délibérations, sa couleur s’assombrit progressivement jusqu’à devenir bleu marine pour les séances au nombre de délibérations les plus élevées.

Fig. 3-20 Lena Krause, Séances du Conseil des bâtiments civils, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2019.
https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/barChart/

La sélection d’une barre par un clic active l’affichage des délibérations concernées. Le repérage de la séance exacte à laquelle une affaire a été évaluée offre un contexte important, car le Conseil a parfois traité plus de cinquante dossiers au cours d’une même séance, tandis que d’autres sont consacrées exclusivement à l’étude d’un seul projet. Toutefois, cette visualisation présente encore un problème évident de lisibilité. Limitée par son affichage sur la largeur d’un écran d’ordinateur, il nous est impossible d’y faire apparaître de façon claire les quelques 4 000 séances du Conseil tenues entre 1795 et 1840. La fonction de zoom ne permet pas de changer d’échelle, uniquement d’élargir les dimensions de l’image. Malgré un travail rigoureux des couleurs , la lecture du graphique reste difficile. La solution idéale serait de parvenir à fusionner les deux graphiques en une seule visualisation, qui serait composée des barres et d’un axe chronologique interactif. Il serait également bénéfique d’ajouter quelques grands repères mettant en relation les activités du Conseil avec leur contexte historique, mais seule une connaissance fine des dynamiques politiques et administratives de l’époque permettrait des interprétations concluantes.

Consulter cette visualisation soulève plusieurs questions, tout d’abord pour savoir ce qu’on peut, ou non, déduire des fluctuations de l’activité du conseil. Les séances sont parfois consacrées à une seule affaire, le nombre varie cependant beaucoup, allant régulièrement jusqu’à vingt affaires et avec un pic de 49 délibérations la séance du 29 juin 1818. Quel est le contrôle effectif du conseil, le nombre de membres augmente-t-il au fur et à mesure de l’accroissement des affaires ? La charge de travail du conseil nous renseigne sur le contexte dans lequel chaque délibération a lieu. Cette information se retrouve dans les procès-verbaux, dans lesquels on parcourt le contenu de la séance jusqu’à trouver l’affaire qui nous concerne. On sait donc si la délibération a occupé toute la séance ou si elle s’insère parmi un grand nombre d’affaires examinées. Toutefois, cet élément de contexte est perdu dans la version en ligne de la base de données. Cette chronologie permet le de restituer tout en offrant un nouveau regard sur les archives.

Pour affiner le questionnement, l’envie émerge de faire varier les paramètres et ainsi tester des hypothèses. Quel serait l’impact si on distingue Paris des provinces ? L’effet « nez rouge », précédemment identifié sur la carte, doit avoir un impact majeur sur les séances, d’autant plus qu’en tant que capitale, les travaux de Paris sont sous une surveillance plus étroite de la part du ministère de l’Intérieur et donc du Conseil des bâtiments civils. Une option de filtre sur les données permettrait l’étude rapprochée de ces questions. Nous pourrions également filtrer par type d’affaires, afin de distinguer les affaires architecturales des plans d’alignement et des mémoires d’ouvrages qui, une fois de plus, concernent souvent la ville de Paris jusqu’en 1823. La visualisation nous apporte de nouvelles connaissances sur les données, mais donne également naissance à de nouvelles questions. Ce caractère multidimensionnel nous inspire donc d’autres angles sous lesquels nous pourrions aborder les données.

Typologie

Finalement, nous avons puisé dans les informations d’ordre typologique compilées dans CONBAVIL. Les chercheur·se·s chargé·e·s du dépouillement de ces données ont catégorisé les affaires évaluées par le Conseil selon leur type architectural, en se référant au Thésaurus de la désignation des œuvres architecturales et des espaces aménagés (Vergain, 2015)56. Ce dernier classe les productions architecturales selon une typologie allant jusqu’à huit niveaux de détail. Par exemple, dans la catégorie « génie civil » figure la sous-catégorie « ouvrage d’art », qui elle-même contient « pont », « égout » ou « quai ». Ce système arborescent peut judicieusement être visualisé dans la version interactive du graphique circulaire à plusieurs niveaux, ou Sunburst (Bostock, 2018a), que nous avons élaboré (fig. 3-21). Chaque niveau est composé de catégories dont la largeur figure les proportions respectives. Se limitant à deux niveaux apparents, le diagramme maintient une grande lisibilité tout en donnant accès à un contenu plus détaillé par la voie de l’interactivité (Bostock, 2018b). Cette visualisation des données de CONBAVIL fournit ainsi une représentation visuelle du Thésaurus, qui, jusqu’à présent, ne pouvait être parcouru qu’en suivant une structure hiérarchique d’hyperliens.

Fig. 3-21 Lena Krause, Répartition des projets CONBAVIL par type architectural, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2019.
https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/sunburst/

Notre soleil interactif CONBAVIL présente donc une visualisation du contenu de la base de données par type architectural. Le fait de cliquer sur une catégorie permet de faire apparaître le niveau de profondeur suivant et le retour en arrière s’effectue en cliquant au centre du graphique. En glissant le curseur sur une catégorie, on peut faire apparaître le nombre de délibérations qui y sont associées. Rapidement, on constate que plus de la moitié des délibérations sont contenues dans trois catégories principales : « urbanisme », « architecture religieuse » et « architecture judiciaire, pénitentiaire ou de police ». La section « urbanisme » contient toutes les délibérations liées aux plans d’alignement des villes, car le Conseil était également responsable de l’ouverture des rues pour l’assainissement et l’embellissement des espaces publics (Château-Dutier 2016: T1,151-179). La prépondérance de l’architecture religieuse s’explique quant à elle par le grand nombre de réaffectations de bâtiments nationaux en écoles, préfectures et tribunaux, notamment (Woolf 1987: 30-31).

3.2.3 Observations critiques

Ces prototypes invitent à une toute nouvelle forme d’exploration des données CONBAVIL. Ils présentent des sortes de vues distantes (Moretti 2008) sur les données, même s’il faut revenir à la notion de « figuration » pour préciser la nature de ces vues. En effet, la carte comme le soleil sont des graphiques cumulatifs, ce qui signifie que certaines délibérations y figurent plusieurs fois si elles sont associées à plusieurs lieux ou types architecturaux. Cette décision provient, entre autres, d’une incertitude dans les données, qui ne signalent pas de hiérarchie en cas d’attribution multiple. Ce ne sont donc pas des vues distantes « neutres », où chaque donnée est représentée une seule fois, mais bien une figuration centrée sur des caractéristiques des données. Les analyses d’ensemble de ces contenus nécessitent donc des précautions. Cependant, l’enjeu étant de créer des visualisations exploratoires, il nous a semblé pertinent d’offrir le plus grand nombre de points d’entrée possible menant à la découverte des données de la base.

Il faut également garder à l’esprit que la carte, par exemple, ne représente pas le phénomène bâtisseur, mais reflète plutôt les délibérations du Conseil. La taille des points dépend donc du nombre de mentions lors des séances et non de la quantité de chantiers ouverts. Vice-versa, nous devons également souligner la présence de silences dans nos visualisations. La carte se limite au territoire avoisinant la France métropolitaine. Certains points plus éloignés, comme Tanger au Maroc, sont à peine visibles. Il faudrait consciemment le chercher pour le trouver. De plus, les délibérations concernant l’outre-mer sont introuvables. Il faudrait, par exemple, effectuer un montage cartographique pour placer les départements d’outre-mer. De même, il manque les affaires administratives et les délibérations qui ne sont pas associées à un lieu. Nous avions pensé créer une petite île, un territoire symbolique, pour visualiser les affaires sans lieux. Ces ajouts permettraient de présenter une géographie plus complète de CONBAVIL.

Nous n’avons identifié que trois délibérations « lointaines ». Elles concernent une même affaire située sur l’Île de la Réunion : la construction d’une prison pour les condamnés politiques. Nous « paraphrasons » les données ci-dessous57, car en sus de leur absence de notre carte, elles sont un exemple intéressant d’un programme architectural très particulier. Nous souhaitons rendre visible, et non effacer, ces contenus spécifiques qui se distinguent par une diversité, par exemple, géographique. Pour ce faire, il faudra procéder à d’autres itérations de prototypage, afin de progressivement trouver des solutions, qu’elles soient de l’ordre visuel ou technique, pour inclure davantage de délibérations, jusqu’à figurer toutes celles qui seraient jugées « pertinentes », dans nos visualisations.

conbavil14195 → 1837-01-03, Prison pour les condamnés politiques, Ilse Bourbon, La Réunion. Adoption avec Réserve, Caristie. Report: manquent programme, devis descriptif et estimatif. Construction d’une prison.

La nature de l’édifice et la situation géographique (climat) rendent le programme indispensable pour juger du projet. Le jugement rendu sera conjectural. L’absence d’enceinte et d’un chemin de ronde, indispensables en métropole, ne s’imposent peut-être pas. L’élévation des bâtiments sur 3 niveaux n’est pas souhaitable (discipline). Le toit devrait être très saillant (ombre). Une seule salle pour réfectoire et ateliers paraît insuffisante.

conbavil01540 → 1837-01-27, Salazie, Ile Bourbon, La Réunion. Adoption, Caristie, en présence d’un ingénieur en chef anonyme et de Claude Du Campe de Rosamel (ministre de la Marine). Rivière Le Mât. Construction d’un bagne/caserne.

A la demande du ministre de la Marine, et en l’absence de l’auteur, le rapporteur chargé de corriger le projet. Présente plusieurs variantes:- choix du site: 1 cirque naturel dans le quartier de Salazie, ’la hute du petit diable’ au bord de la rivière du Mât.- prison séparée de la caserne, bâtiment d’1 niveau sur rez-de-chaussée, chambres individuelles ou jumelées, plus spacieuses que dans le 1° projet (cube d’air nécessaire dans ce climat chaud); ateliers multiples pour ’offrir aux détenus les moyens de trouver dans le travail 1 adoucissement à l’ennui de leur captivité’.

conbavil13612 → 1837-08-28, Isle Bourbon, La Réunion. Adoption, Caristie, réclamation 3500F pour la construction d’une prison.

3.3 Éditorialisation d’un atlas numérique

Johanna Drucker distingue les représentations statiques qui référencent ou visualisent une information connue, et ce qu’elle appelle des « générateurs de connaissances » (knowledge generators). Ces derniers sont dynamiques et créent des ouvertures dans leur utilisation qui possèdent le potentiel de créer de nouveaux savoirs (Drucker 2013: 65). Giorgio Caviglia avec son projet Mapping the Republic of Letters (2014), suggère de ne pas considérer les visualisations

comme des fins en soi, destinées à présenter de façon attrayante les résultats d’une recherche ou même à être analysées en tant que telles ; mais plutôt comme une matière pour l’élaboration intellectuelle -- mouvante et incarnée dans divers modes d’inscription, mobilisant dans un même temps les nouveaux outils et des séquences de pratiques et des protocoles de travail existants. Les images produites ne sont ainsi pas uniquement conçues comme des outils d’interprétation, mais aussi de tri, de paramétrage, voire même d’enrichissement et de transformation des données ... (Mourat 2014: n.p.)

Pour atteindre ce degré épistémologique, nos visualisations doivent être reliées et rassemblées. C’est par leur mise en relation des visualisations qu’elles formeront une interface qui travaille l’interprétation « mais aussi [le] tri, [le] paramétrage, voire même [l]’enrichissement et [la] transformation des données » (De Mourat 2014: n.p.). Nous allons donc explorer comment le fonctionnement de la librairie D3.js permet de coder une mécanique interactive entre nos visualisations. Nous verrons ensuite les bases théoriques que nous employons pour la constitution d’un atlas numérique comme instrument de recherche et dispositif d’exploration d’une base de données. Les formes concrètes de l’atlas, celle actuelle, mais aussi celle imaginée au fur et à mesure de nos recherches, concluront ce travail.

3.3.1 Mécanique interactive entre visualisations

Comme nous l’avons expliqué précédemment (3.1.3), les visualisations créées avec D3.js se construisent par rapport aux données qui les constituent. Chaque visualisation figure des données (data) en fonction de ses propriétés, par exemple y une localisation et x le nombre de délibérations qui y sont associées. Dans le code de la carte, l’énoncé fonctionne de la façon suivante:

Pour chaque d dans data → pour chaque point sur la carte:

  1. calculer x //calculer le ratio entre le nombre de délibérations et l’échelle de représentation
  2. afficher y avec un point de taille x //afficher le point de la bonne taille
  3. ...

Grâce à cette série d’instructions, un utilisateur peut changer le contenu de data et la visualisation se mettra à jour pour figurer le contenu de data. La meilleure façon de comprendre ce fonctionnement revient à le tester. Voici donc deux exemples de mise à jour en temps réel des données dans des visualisations avec d3.js.

Types d’affaires : construire ou réparer ?

Nous avons créé cette visualisation en réponse à la question posée par Françoise Boudon et Werner Szambien concernant le pourcentage des dossiers de construction et de réparation présentés au conseil pendant dix ans (q5 de la liste présentée dans le chapitre 2). Pour calculer un pourcentage des dossiers de constructions et de réparation pendant dix ans, nous travaillons avec la propriété qui désigne le type d’intervention. Contrairement aux types architecturaux, ces interventions sont catégorisées par les chercheur·se·s du Centre André-Chastel, mais elles ne sont pas normalisées en une hiérarchie ou un vocabulaire prédéfini. Il y en a donc un très grand nombre, dont par exemple : « travaux, construction, nouvelle affectation, réparation, transformation, entretien, transport, agrandissement, reconstruction, ouverture de rue, aménagement de place, aménagement de quai, pavage, démolition, ... » . Puisque nous avons conçu cette visualisation comme exercice en réponse à la question de Françoise Boudon et Werner Szambien, nous avons réparti les données de CONBAVIL en trois types d’intervention : « construction », « réparation » et « autre ».

L’intervalle de temps n’étant pas déterminé de façon spécifique, nous avons pris le parti d’expérimenter et de créer une visualisation où l’utilisateur·rice sélectionne l’intervalle de son choix, grâce à une petite chronologie interactive. La chronologie prend la forme d’une simple ligne du temps qui s’échelonne de 1795 à 1840. Les délimitations de la sélection temporelle sont figurées par deux curseurs. Déplacer les curseurs modifie la sélection, la partie bleue de la chronologie, également indiquée par la fourchette d’années, dont la valeur par défaut est « 1805 - 1815 ».

Ce diagramme figure, en temps réel, la répartition entre les trois types d’intervention parmi les délibérations de cette période (fig . 3-22). Grâce au fonctionnement « animé » par les données de d3.js, la modification de la chronologie entraîne la mise à jour du graphique, qui recalcule à chaque fois le nombre de délibérations par type, puis le pourcentage que cela représente pour le figurer à l’écran.

Fig. 3-22 Lena Krause, Pourcentage des dossiers de construction et de réparation, exercice produit de le cadre des recherches autour de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2020.
https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/BoudonSzambien/index.html#q5

L’interactivité du graphique invite à étudier l’évolution d’un phénomène à travers le temps. Nous avons comparé plusieurs fourchettes de dix ans pour formuler une réponse à la question de recherche. La première, de 1795 à 1805, représente la première décennie du Conseil des bâtiments civils. Le Premier Empire se forme en 1804, mais pour garder le format en décade, la deuxième fourchette s’étend de 1805 à 1815. Ensuite, 1815 à 1825 et 1830 à 1840 réfèrent aux dix premières années de la Restauration et de la Monarchie, respectivement. Nous avons rassemblé nos résultats dans le tableau suivant (tableau 1), particulièrement pour éclairer pour les lecteur·rice·s de la version papier de cet atlas58.

1795-1805 (2570) 1805-1815 (5252) 1815-1825 (9858) 1830-1840 (5316)
Construction 5% (122) 18% (966) 18% (1767) 23% (1234)
Réparation 12% (315) 10% (472) 10% (943) 4% (220)
Autre 83% (2133) 72% (3814) 72% (7148) 73% (3862)

Tableau 1 Lena Krause, Comparaisons de quatre décennies d’ouvrage du Conseil des bâtiments civils, catégorisé par construction, réparation et autres interventions, 2021.

Vu ainsi, nous pouvons constater une augmentation du pourcentage de construction et une réduction du nombre de réparations. Cette classification en trois catégories s’avère toutefois être une simplification excessive et on ne peut pas analyser ces résultats de cette visualisation face à la quantité de délibérations classées dans « autre ». Il serait possible de répartir les données selon les types d’interventions qui sont fréquemment utilisés dans la base puis de rassembler les varias dans « autre ». L’idéal serait de produire une typologie normée des types d’intervention, doté par exemple d’une logique hiérarchique. Nous pourrions ainsi classer « entretien » comme une sous-catégorie de « réparation » et « nouvelle affectation » une sous-catégorie de « construction » et ainsi de suite.

Les avis du conseil : Paris vs provinces

Notre deuxième expérimentation avec les interactions entre plusieurs visualisations émane des questions sur les « rapports Paris-Province » (Garric dans Boudon 2009: 5) ainsi que des hypothèses concernant la sévérité du Conseil envers les projets et les architectes provinciaux. En effet, les membres du Conseil ont parfois été accusés d’être intransigeants avec les architectes de province jugés « peu capables » (Château-Dutier, 2016, T2: 591), allant jusqu’à corriger leurs projets à grands coups de crayon sur les plans fournis. Nous pouvons alors interroger nos données, pour savoir s’il y a, par exemple, plus de refus de projets provinciaux que de projets parisiens.

Pour ce faire, nous avons conçu des interactions entre la carte et un graphique des avis du Conseil (fig. 3-23). Initialement, tous les lieux sont sélectionnés et le graphique figure la répartition des avis du Conseil pour l’ensemble de CONBAVIL. Nous avons ensuite codé des interactions entre les deux visualisations. Nous expliquons en détail les interactions, car elles sont assez complexes quand on n’est pas familier avec ce type de visualisations interactives.

Interactivité des graphiques

  • Les éléments (cercles de la carte ou barre dans le graphique des avis) sont rouges s’ils font partie de la sélection, et deviennent gris lorsqu’ils ne le sont pas.
  • Pour inverser de la sélection d’un élément, cliquer dessus.
  • Pour désélectionner tous les lieux sur la carte, cliquer sur une partie vide du fond de carte.
  • Survoler un lieu avec sa souris change temporairement la couleur du cercle qui le figure en vert et indique le nom et le nombre de délibérations qui s’y situent.
  • Survoler un type d’avis indique le nombre de délibérations concernées.

Interactions de la carte vers le graphique des avis

  • Cliquer sur un élément de la carte change la sélection et met à jour le graphique des avis.
    Pour voir la répartition des avis pour toutes les communes sauf Paris:
    1. (Réinitialiser la page au besoin).
    2. Cliquer sur le « nez rouge » parisien.
    3. Toutes les communes sauf Paris seront dans la sélection et le graphique s’ajustera à cette sélection.
  • Cliquer sur le fond de carte annule toute la sélection, mais ne met pas le graphique à jour (il serait vide de toute façon).
    Pour consulter les avis qui concernent Paris uniquement:
    1. Cliquer le fond de carte pour désélectionner toutes les communes.
    2. Cliquer sur Paris (pour s’assurer que c’est Paris, utiliser la fonctionnalité de survol qui transformera le « nez rouge » en « nez vert »).
    3. La sélection ne contiendra que Paris et le graphique s’ajustera à cette sélection.
  • Les boutons « que les prisons », « Tout sélectionner » et « Désélectionner tout » fonctionnent pour la carte, mais n’ont pas d’impact sur le graphique des avis. Les avis ne se mettent PAS à jour lors de l’utilisation de ces boutons.

Interactions du graphique des avis vers la carte:

  • (Réinitialiser la page au besoin).
  • Cliquer le fond de carte pour désélectionner toutes les communes.
  • Désélectionner les avis en fonction de l’intérêt de recherche se reflète de façon colorimétrique sur la carte, c’est-à-dire que seules les communes pour lesquelles il existe ce type d’avis sont sélectionnées (en rouge).

ATTENTION: la taille des cercles ne se met pas à jour, le ratio demeure celui du nombre de projets dans la commune. Un ratio du nombre de projets correspondant aux types d’avis sélectionnés n’est PAS calculé. Cette fonctionnalité n’est donc PAS complètement fonctionnelle.

Fig. 3-23 Lena Krause, Carte liée aux avis du Conseil, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), iframe, 2019.
https://www.public.archi/atlas-2021/viz/viz/carteAvis

Si nous avons déjà vu la carte dans nos prototypes (3.2.2), il reste encore à expliquer le fonctionnement du graphique des avis du Conseil. Celui-ci se réfère à la propriété « avis » dans CONBAVIL. Ses valeurs ne sont pas normalisées, mais excepté quelques problèmes de nettoyage des données concernant la classification de multiples avis ou des marqueurs d’incertitude, la grande majorité des valeurs pour les avis contiennent l’une de ces cinq valeurs: refus, ajournement, sans avis, adoption et adoption avec réserve. Certaines délibérations ont plusieurs valeurs pour la propriété avis, notamment lorsque le conseil traite de plusieurs affaires en même temps. Par exemple, la délibération autour du Monument à la mémoire d’Eschen s’attelle également à une demande pour faire des réparations d’un hospice dans la même commune. Le monument est « adopté avec réserve », car « [l]e monument doit avoir ni moulures, ni profils, ni décoration [...] une noble simplicité en doit être le principal mérite », le manque de documents concernant l’hospice est décrit dans la base de données comme un « ajournement » (fiche 26464 dans CONBAVIL). Notons également que le graphique ignore les types d’avis pour lesquels il y a moins de 5 délibérations. Il ne fonctionne donc que pour les grandes villes ou pour des ensembles59.

Grâce aux interactions entre la carte et le graphique des avis, il devient possible de visualiser les dispositions du Conseil en fonction de l’emplacement des projets soumis à leur examen. Le Conseil des bâtiments civils a la réputation d’entraver les projets dans les provinces (Chateau-Dutier 2016: T1, 258). En refusait-il un plus grand nombre à l’extérieur de la capitale ? À partir de l’utilisation de la Carte liée aux avis du Conseil, nous pouvons établir une comparaison des avis entre ceux adressés aux provinces et ceux qui concernent Paris (tableau 2). Puisque le graphique ne répartit pas son contenu en pourcentages comme le dernier, nous les avons calculés pour compléter nos recherches60.

Tout CONBAVIL sauf Paris (19543) Uniquement Paris (4756)
Refus 719 → 3.5% 282 → presque 6%
Ajournements 3099 → 15% 441 → près de 10%
Adoptions 8942 → 45% 2084 → près de 45% (43.8)
Adoptions avec réserve 3561 → 18% 489 → 10%
Sans avis 3367 → 17% 1476 → 31%
À propos du graphique 19688 (145 avis complémentaires) 4772 (16 avis complémentaires

Tableau 2 Lena Krause, Comparaison Paris-Province: les avis du Conseil, 2021.

3.5% de refus en province pour presque 6% pour Paris, le Conseil ne manifeste pas plus de sévérité envers les projets provinciaux. Au contraire, le nombre de refus s’avère plus élevé dans la capitale. Nous attribuons ces refus à la surveillance accrue des projets dans la capitale. En effet, l’importance des projets ainsi que le montant plus élevé des dépenses justifient probablement un contrôle plus sévère de la part du Conseil. Nous constatons également une proportion nettement supérieure des projets adoptés avec réserve en province: 17%. Cela pourrait s’expliquer par la volonté du Conseil de s’en remettre aux autorités locales pour trancher sur certains problèmes. Les délibérations « sans avis » concernent souvent des sujets qui ne requièrent pas l’émission d’un avis. Il s’agit souvent d’autres tâches du Conseil comme l’examen des mémoires d’architecte.

Cet exemple montre qu’étudier la Carte liée aux avis du Conseil peut nous assister dans la production de nouvelles connaissances sur le rapport Paris-Province ─ dont les avis ne sont qu’une des dimensions ─, tout en soulevant de nouvelles hypothèses qui nous replongent dans la visualisation, dans les données et même dans les archives. Qu’en est-il pour les autres grands centres urbains comme Lyon, Rouen et Bordeaux61 par exemple ? Un éventuel transfert du contrôle aux autorités locales est-il mentionné dans les adoptions avec réserve en province ? Concernant les avis du Conseil à travers le temps, la présence de certains membres du Conseil influe-t-elle sur les avis émis ? Pour cela, il faudrait enrichir les séances de la constitution de ses membres, renseignée dans les archives, mais pas encore documentée dans la base.

3.3.2 Composition théorique

Pour bien saisir les enjeux entourant la conception d’un instrument de recherche, nous complétons notre analyse des formes d’utilisations actuelles de CONBAVIL (ch 2.2) en pensant à l’accès aux données avec la notion de rich-propect browsing (Ruecker et al. 2011: 3-4). L’assemblage des visualisations et des cartes évoque quant à lui l’atlas, dont il faut alors définir la forme dans l’espace numérique. Finalement, en ce qui concerne la manipulation des données, ainsi que d’éventuels enrichissements, transformations et réutilisations, nous mobilisons les questions éditoriales dans l’espace numérique et arrivons ainsi à l’éditorialisation de la base de données.

Interfaces

Au sein d’une réflexion sur les Lieux de savoir, Christian Jacob s’intéresse à l’instrumentation de la recherche (2013). Il s’interroge sur l’ergonomie des outils disponibles, notamment pour la manipulation de données et leur exploitation intellectuelle. Le défi identifié revient à développer des environnements logiciels au sein desquels on pourra expérimenter avec les données. Ceux-ci offriraient les moyens de varier la focale, de passer du local au global et inversement, mais aussi de passer d’une visualisation à l’autre. Il s’agit d’« élaborer des outils spécifiques et pointus, répondant à des logiques intellectuelles particulières, notamment le potentiel d’instruments de visualisation qui [...] permettraient de mettre à l’épreuve des hypothèses de travail en temps réel » ( Jacob 2013: s.p.). Ces réflexions résident au cœur de notre démarche pour la conception d’un instrument de recherche.

Les logiciels et outils numériques ont un fonctionnement dont les détails et la matérialité sont, en quelque sorte, invisibles. Lorsqu’un logiciel « roule » sur un ordinateur, les instructions codées qu’il contient s’enchaînent dans le back-end, en arrière plan. Ces instructions et étapes ne se révèlent sur l’écran de l’ordinateur, l’interface ou le front-end, que si cela a été spécifiquement prédéfini. Le code définit le fonctionnement du logiciel, mais l’interface détermine ce que l’utilisateur voit. Forme de médiation entre les tâches et les comportements, l’interface « discipline, contraint et détermine ce qui peut être fait dans tout environnement numérique » (Drucker 2014: 139). Pour interagir avec un logiciel, on passe par les éléments de l’interface --- boutons, objets cliquables, etc. On peut alors penser la structure d’une interface sous deux aspects. Le premier provient du milieu éditorial : la mise en page. La composition de l’interface, similaire à la page d’un livre, est un espace graphique à organiser et à structurer. L’emplacement et l’aspect visuel de ses composantes définissent le cadre de sa consultation. La seconde analogie confère à l’interface une forme plus dynamique. La notion de « mise en scène », plus théâtrale, détermine les enchaînements et les transitions dans les informations affichées. On comprend ainsi que l’interface conditionne un environnement pour l’action (Drucker 2014: 139).

Les chercheur·se·s Stan Ruecker, Milena Redzikowska et Stéfan Sinclair ont théorisé le design d’interfaces visuelles pour le patrimoine culturel numérique. Il·elle·s analysent d’abord les formes classiques d’interfaces d’extraction ou de récupération (retrieval interface). Celles-ci, similaires à l’interface actuelle pour la recherche dans CONBAVIL, aident l’utilisateur·rice à effectuer des requêtes dans les données. L’interface présente un formulaire pour la sélection de données qui répondent à certains critères. La machine envoie les spécifications au back-end , qui renvoie les données correspondantes à montrer dans l’interface. Ruecker, Redikowska et Sinclair démontrent les restrictions que pose ce type d’interface dans le potentiel de recherche dans les données. Dans de nombreux cas, l’utilisateur ne peut pas voir certaines informations utiles et disponibles concernant, par exemple, les liens entre les items: les regroupements possibles, d’éventuels séquençages ou motifs dessinés par leur mise en relation (Ruecker et al. 2011: 2).

Cet article se poursuit toutefois avec la théorisation d’une forme d’interface « d’exploration riche en perspectives » ou rich-prospect browsing. Celle-ci serait dotée d’une série de principes conducteurs qui visualisent les possibilités, ou affordances, pour la recherche dans l’interface (Ruecker et al. 2011: 3-4). Ces principes incluent notamment l’affichage de grands formats ou d’une grande quantité de données structurées dans une logique perceptible par l’utilisateur·rice. L’interface doit également fournir un maximum d’information pour la navigation dans l’interface et situer l’utilisateur·rice dans son exploration des données. Telle une carte routière, l’utilisateur·rice peut se servir de ces informations pour savoir où il se trouve. Il·elle visualise les parcours possibles et s’oriente dans son exploration des données.

Lors de la création de nos visualisations et dans la conception de notre interface, nous nous questionnons sur la possibilité de produire un instrument de recherche qui produirait une richesse et une diversité dans l’interprétation dans les données. Il s’agit de nourrir une tension ainsi qu’une continuité entre les possibilités de découvertes et d’interprétations. Serait-ce possible de créer une interface dont les affordances me nous mènent pas nécessairement où on avait prévu, mais dans des espaces où on savait qu’on pouvait aller ? En proposant de nouvelles perspectives incongrues, on pourrait ainsi tomber sur une dimension pertinente de l’objet qui nous intéresse.

La forme-atlas

Nous avons également été inspirée par le concept d’« atlas » pour penser la forme que pouvait prendre notre instrument de recherche. Christian Jacob définit l’atlas géographique comme un « dispositif qui permet de concilier le tout et le détail. Il est régi par une logique cumulative et analytique, qui conduit de la vision globale aux images partielles » (1992: 97). La forme-atlas est associée à une variété de formes visuelles : cartes, mais aussi graphiques, chronologies, illustrations, et même des reproductions d’œuvres d’art.

Au cours de nos recherches, nous avons découvert et consulté des atlas français du XIXe siècle. Détailler les évolutions de cette forme éditoriale serait un travail qui dépasse largement l’envergure de ce mémoire. Nous signalons plutôt quelques exemplaires pour montrer certaines caractéristiques que nous avons pu y observer. L’Atlas de la République française publié en 1802, est composé de 102 feuilles indiquant les départements, les arrondissements communaux, les justices de paix actuelles et les anciens cantons (fig. 3-24). Son rôle est défini dans le titre comme « servant à l’intelligence du Tableau Général de la nouvelle division de la France ». Avec un contenu plutôt « classique » pour un atlas, il présente une série de cartes des départements ainsi qu’une carte de France divisée en département. S’y adjoignent des tableaux des populations et la « nouvelle division en justices de paix, [qui] change entièrement celle des anciens cantons [et qu’]il importe de connaître l’effet de cette division ».

Fig. 3-24: https://www.public.archi/atlas-2021/img/3-24.JPG
Fig. 3-24 Pierre Grégoire Chanalaire (1758-1817) et P.C. Herbin, Atlas de la République Française composé de 102 feuilles indiquant les départements, les arrondissements communaux, les justices de paix actuelles, les anciens cantons... 2 parties en 1 vol. in-4 obl. (XIII-114 p.) dont 1 atlas (cartes) ; in-4 oblong, Paris : Impr. de la République, 1802.
https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb36279296k

La Statistique générale et particulière de la France et de ses colonies, avec une nouvelle description topographique, physique, agricole, politique, industrielle et commerciale de cet état; etc. Sept Volumes in-8°, avec une Collection de 19 Tableaux et 9 Grandes cartes enluminées, ...., continent une liste de cartes et de tableaux. Si les cartes se rapprochent des autres exemplaires précédents, les tableaux statistiques nous ont impressionnée par la quantité de chiffres qui y sont minutieusement rapportés, notamment dans le Tableau général par ordre alphabétique de départemens, des naissances, mariages et décès qui on eu lieu en France pendant l’an IX (fig. 3-25).

Fig. 3-25: https://www.public.archi/atlas-2021/img/3-25.JPG
Fig. 3-25 J.-B. Poirson et Tardieu l’aîné (graveur), Tableau général par ordre alphabétique de départemens, des naissances, mariages et décès qui on eu lieu en France pendant l’an IX dans Pierre-Étienne Herbin de Halle (1773-18..), Jean-Baptiste Poirson (1760-1831), Statistique générale et particulière de la France et de ses colonies..., 7 vol. in-8 ° et un atlas in-4 °, Paris : F. Buisson, 1803, p.53.
https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb36280157f

À la fin du XIXe, ces grandes listes statistiques évoluent vers des formes visuelles et statistiques qui nous sont plus familières, comme dans l’Atlas de statistique graphique de la ville de Paris... publié entre 1889 et 1981 par Jacques Bertillon (fig. 3-26 et 3-27). Cette évolution sensationnelle s’explique notamment par un héritage familial. Jacques Bertillon était le petit-fils du démographe Achille Guillard (1799-1876) et le fils de Louis-Adolphe Bertillon, directeur des Statistiques du département de la Seine et cofondateur de l’école d’anthropologie au sein de laquelle il crée la chaire de démographie. Son frère, Alphonse Bertillon, est chef du service photographique de la préfecture de police de Paris et devient l’auteur du système d’anthropométrie judiciaire nommé le bertillonage (« Alphonse Bertillon » 2021).

Fig. 3-26: https://www.public.archi/atlas-2021/img/AtlasDeStatistiqueGraphiqueBertillon_34.jpeg
Fig. 3-26 Jacques Bertillon (1851-1922), Vente en gros de la volaille et du gibier aux halles centrales, dans Jacques Bertillon (1851-1922), Atlas statistique graphique de la ville de Paris..., 2 volumes, in-fol. (vol. 1) et in-4 (vol. 2), Paris: Service de la statistique municipale, 1889, folio 34.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52510505s/f34.item
Fig. 3-27: https://www.public.archi/atlas-2021/img/AtlasDeStatistiqueGraphiqueBertillon_37.jpeg
Fig. 3-27 Jacques Bertillon (1851-1922), Paris 1888. Octroi de Paris_ Produits par bureaux et par nature de recettes, dans Jacques Bertillon (1851-1922), Atlas statistique graphique de la ville de Paris..., 2 volumes, in-fol. (vol. 1) et in-4 (vol. 2), Paris: Service de la statistique municipale, 1889, folio 37.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52510505s/f37.item

Aujourd’hui, l’atlas se transforme encore, il se métamorphose sur le web et notamment lors de son emploi par des artistes ou par des historien·ne·s de l’art62. Dans ce domaine, il peut devenir, selon Georges Didi-Huberman, une « forme visuelle du savoir » comportant « [un] paradigme esthétique de la forme visuelle, et [un] paradigme épistémique du savoir » (2011: 12). Cet outil crée des zones interstitielles, des intervalles heuristiques dans son ouverture inépuisable aux possibles. Sa réception est une activité non linéaire : on ne lit pas, mais on consulte un atlas. Cette particularité, qui introduit le multiple, le divers et l’hybridité, autorise l’émergence d’une forme de « connaissance par l’imagination » grâce à « la puissance intrinsèque du montage qui consiste à découvrir [...] des liens que l’observation directe est incapable de discerner » (Didi-Huberman 2011: 13).

En tant que forme éditoriale, l’atlas peut donc nous aider à rendre compte de l’activité du Conseil des bâtiments civils. Sous sa forme numérique, nous l’élaborons comme un dispositif dont on peut manipuler le contenu. Au-delà de liens entre les éléments, l’interactivité des visualisations comme de l’atlas réduit la tentation d’en faire des preuves. La forme mouvante reflète la construction, constructedness, de l’image. Un arrêt sur image devient un choix conscient qu’il faut argumenter et que l’on peut critiquer. Cet atlas numérique expérimente donc avec une nouvelle forme d’épistémologie visuelle, spatiale et numérique.

Éditorialisation

Le travail envisagé est un acte éditorial, afin de donner une forme à l’objet en question : la base de données CONBAVIL. Nous définissons l’acte de créer une nouvelle interface pour cette base de données sous la forme d’un atlas comme un processus de production et de structuration d’un espace numérique, c’est-à-dire une éditorialisation (Vitalit-Rosati 2016: 8). Cette démarche se caractérise par sa nature processuelle, expérimentale et surtout multiple (Vitali-Rosati, 2016: 68). Un atlas dont les cartes se transforment sous l’action de l’utilisateur produit de nouvelles formes d’autorités complexes à démêler. L’éditorialisation interroge également les formes d’autorité et les formes de productions du savoir dans l’espace numérique. Notre atlas est bâti à partir d’un grand nombre de contributions. Ce ne sont pas juste des sources ou des références, mais des contributions matérielles sur lesquelles se base l’instrument de recherche63. À travers l’interactivité des cartes et de l’atlas, on peut s’interroger sur les rôles, pour notamment se demander qui produit le savoir : où s’arrête la contribution de la personne qui a conçu l’atlas ou des producteur·rice·s des données, et où commence celle de la personne qui le consulte ? La production de connaissance n’est pas associée à un·e auteur·rice, mais prend plutôt la forme d’une série de contributions (Vitali-Rosati 2016: 10).

La conception même d’un atlas et de chacune des visualisations a considérablement évolué avec l’apparition des logiciels et outils informatiques. D’après les historiennes Claire Lemercier et Claire Zalc, « il n’est plus question de publier chaque tableau ou graphique péniblement obtenu, mais plutôt de les utiliser pour avancer dans une recherche, quitte à n’en montrer au lecteur final que quelques-uns » (2008: ch.1, §25). Comparativement aux grandes équipes de chercheur·se·s, ingénieur·e·s, informaticien·ne·s, cartographes et perforateur·rice·s de cartes, indispensables aux grandes enquêtes collectives menées dans les années 70, il est de nos jours possible de réduire le personnel, le temps, les connaissances et les coûts nécessaires à la création de cartes (Lemercier et Zalc 2008)64. Cela favorise particulièrement l’expérimentation, tant avec les formes et les variables graphiques qu’avec les calculs et les statistiques privilégiés pour la cartographie thématique. Aussi, les nombreuses itérations possibles au cours du processus de production nous invitent à repenser chaque élément jusqu’à ce qu’il convienne aux besoins du projet.

La forme de ce mémoire nous présente également un aperçu des multiples formes de l’éditorialisation. Nous l’avons écrit en format Markdown (.md) plutôt que dans un éditeur de texte comme Word ou LibreOffice. Ces derniers sont issus de la logique de la machine à écrire : des pages sur lesquelles on appose un texte. La finalité de ce format est l’impression sur des feuilles de papier. En contrepartie, le Markdown se concentre d’abord sur le texte, qu’il s’agit de baliser avec des indicateurs pour déterminer le style de paragraphe (titre, sous-titre, paragraphe ou citation, par exemple) et le style de caractère (italique, sous-ligné, etc.). C’est uniquement à l’export que ce contenu s’adapte à la forme désirée, qu’elle soit numérique comme pour la publication comme une page web ou qu’elle mène à la production d’un PDF pour l’impression. Le contenu du mémoire a ainsi été pensé pour qu’il se déroule dans une continuité entre le texte, les images et les iframes. Un iframe, pour inline frame, s’insère dans la continuité du texte numérique. À la différence d’une image, il s’agit d’une « fenêtre » sur une autre page web. Son contenu se charge réellement, ce qui lui permet d’être interactif et donc exploré par l’utilisateur.

Lorsque nous insérons un iframe d’une de nos visualisations dans le texte, celle-ci prend une nouvelle forme et un nouveau sens. L’exploration des visualisations par un lecteur produit, à son tour, de nouvelles interprétations65. À la différence d’une citation, les visualisations offrent un accès aux données qui peuvent ainsi être interrogées et explorées. L’argumentaire s’alterne entre le texte et les contenus interactifs dans ce mémoire pensé pour être lu et consulté en ligne. Si l’utilisation d’iframes présente des défis pour la publication scientifique66, elle offre surtout de riches perspectives sur de nouvelles façons de publier et de partager son travail. Ce mémoire contribue donc également aux expérimentations autour de nouveaux formats éditoriaux qui intègrent les données aux publications académiques67.

3.3.3 Assemblage pratique

Concrètement, nos visualisations sont tout d’abord regroupées dans un même espace éditorial. Leur publication commune forme notre proposition actuelle pour un Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795 -1840), accessible à l’adresse URL suivante: https://www.public.archi/atlas-2021/. Cette adresse présente l’exemplaire de notre atlas associé à ce mémoire de maîtrise. Un exemplaire antérieur, publié en 2020, se trouve sur https://www.public.archi/atlas-numerique/. En tant que contenu dans l’espace numérique, l’atlas est associé à un repository, un dépôt, mais aussi un référentiel du code informatique: https://github.com/imglab/atlasNumerique.

L’atlas des données

Sous sa forme actuelle, l’atlas offre un accès aux différentes visualisations que nous avons développées. Cependant, notre vision pour cet atlas va bien au-delà de ce que nous avons eu le temps de coder au cours de ce travail. Comme nous l’avons démontré, il est possible d’intégrer des liens dynamiques dans le code, de façon à relier les différentes composantes de l’atlas. Nous pouvons donc concevoir une interface qui rassemble les différentes perspectives sur les données, c’est-à-dire les visualisations, dans un même espace (fig. 3.28).

Fig. 3-28: https://www.public.archi/atlas-2021/img/3-28.png
Fig. 3-28 Lena Krause, Modélisation de l’atlas, prototype de l’Atlas numérique de l’architecture publique en France (1795-1840), 2019.

Puisque chaque graphique est initialement créé à partir du même jeu de données, nous pouvons mettre en place un système qui reproduit la sélection d’un sous-ensemble (d’un intervalle chronologique, d’un lieu ou d’une catégorie architecturale) dans les autres visualisations. Formellement, cela requiert deux ajouts techniques.

D’une part, nous avons besoin d’un gestionnaire de données, dans le back end, qui serait comme le chef d’orchestre des différentes visualisations. Il dirigerait l’atlas pour que son contenu soit harmonisé. Nommons-le Zeus, puisqu’il va régner sur l’ensemble de l’atlas et qu’il va avoir de nombreux enfants. Zeus dicte quelles données doivent figurer dans l’atlas. Omniscient, il peut contenir l’ensemble ou une sélection des données de CONBAVIL. En codant toutes les visualisations de façon à ce qu’elles soient des enfants de Zeus, elles peuvent se mettre à jour et s’harmoniser pour figurer la nouvelle valeur de Zeus.

Exemples de valeurs possibles pour Zeus:

  • toutes les données de CONBAVIL
  • uniquement Paris
  • uniquement les affaires entre 1815 et 1830
  • uniquement les délibérations qui mentionnent la présence d’un ingénieur
  • uniquement les prisons
  • n’importe quelle combinaison de critères sur les données

D’autre part, pour que les visualisations soient informées du changement de valeur de Zeus, il faut prévoir un système de communication entre les visualisations: un event emitter68. Puisque c’est un messager, nous l’avons nommé Hermès. Prenons pour exemple, un changement de la sélection temporelle dans la chronologie. Alors qu’elle figurait initialement toutes les données de CONBAVIL, l’utilisateur zoome pour étudier de plus près l’intervalle de 1815 à 1830. La chronologie utilise Hermès pour alerter Zeus de son changement de valeur. Une fois Zeus « filtré » pour ne concerner que l’intervalle de 1815 à 1830, Hermès émet un message à l’ensemble des visualisations pour les informer qu’elles doivent se mettre à jour69. La typologie et la carte ne figureront alors elles aussi que les types architecturaux et les communes dans CONBAVIL entre 1815 et 1830.

Ce système permet qu’une sélection de l’utilsateur·rice agisse comme un filtre sur les données. La sélection s’applique et se transfère sur toutes les autres visualisations. L’utilisateur·rice voit immédiatement l’effet de sélection, comme un phénomène qui se déroule sous l’action de sa souris. Il devient possible d’analyser les tendances typologiques dans une aire géographique particulière, et ce, à travers le temps. On révélerait ainsi, par exemple, certaines caractéristiques de l’engrenage de l’architecture publique en France.

Offrant d’abord un aperçu global, l’atlas se transforme au fur et à mesure du parcours interactif en des perspectives de plus en plus détaillées, qui descendent en profondeur jusqu’à la consultation d’une seule affaire. Chaque action de l’utilisateur, guidée par ses hypothèses et par ses réflexions, façonne donc la constellation que forment les données dans l’atlas. La manipulation aide la chercheuse ou le chercheur à analyser le contenu de CONBAVIL et l’invite à émettre des hypothèses sur sa signification. Visualiser les relations entre les différentes couches de l’atlas et les manipuler produit des possibilités inédites pour la recherche.

Imaginaires d’un atlas numérique

Implémenter Hermes et Zeus à l’échelle de l’atlas augmente de façon exponentielle le nombre de constellations de données que l’utilisateur peut découvrir. De l’association entre ces innombrables possibilités et l’imagination de l’utilisateur émerge un dispositif qui active « la puissance intrinsèque du montage » évoquée précédemment (Didi-Hubermann, 2011: 13). L’espace de l’atlas s’organise autour d’une structure éditoriale déterminée par son autrice, tout en se transformant en fonction de l’action de son utilisateur. Si la consultation d’un atlas papier est contrainte par les éléments structurels et les repères de l’ouvrage imprimé, les lecteur·rice·s sont libres de naviguer au sein de son contenu, de suivre la proposition des éditeur·rice·s ou de se laisser porter par la sérendipité de consulter l’atlas au hasard des pages. Et ces mêmes possibilités se présentent dans notre proposition d’atlas numérique : l’utilisateur est libre d’explorer le contenu à sa guise, malgré un cadre défini d’actions possibles dans l’interface. La sérendipité, quant à elle, est permise lors des déambulations du curseur dans l’interface, lors de la sélection aléatoire d’un sous-ensemble de données, ou encore lors de l’affichage à l’écran d’une constellation de données produite au hasard70.

Nous imaginons l’interface de notre atlas comme une grande table de montage, sur laquelle l’utilisateur place les vues qui l’intéressent. Stéphan Sinclair et Geoffrey Rockwell ont implémenté une grande partie de ces idées dans l’interface de lecture et d’analyse de textes numériques, Voyant (2016). L’interface, également codée avec D3.js, présente une multiplicité de vues sur le texte pour lesquelles l’utilisateur ajuste les dimensions à l’écran en fonction de son intérêt de recherche (fig. 3-29). On peut changer leur emplacement dans l’interface et paramétrer leur contenu.

Fig. 3-29 Stéfan Sinclair et Geoffrey Rockwell, Voyant tool, iframe de l’interface avec le corpus Austen, 2021.
https://voyant-tools.org/?corpus=austen

L’interface de Voyant éditorialise les données qu’on lui téléverse. Elle offre de nombreuses possibilités pour la recherche et cela inclut l’export sous tous les formats imaginables : une URL qui mène directement vers la vue choisie par l’utilisateur, une façon d’intégrer (embed) la visualisation comme outil dans une autre page web, un export des données ou un export bibliographique qui permet de citer cette vue. Notre atlas proposerait donc ces fonctionnalités d’éditorialisation, dans la gestion de l’interface comme dans les possibilités d’export.

Contrairement à Voyant qui est un outil fonctionnel pour tout texte numérique, notre atlas se dédie, comme un instrument de recherche, aux données de CONBAVIL. Cela nous semble nécessaire, pour le moment, car il n’existe pas de normes aussi clairement définies et employées dans les données en histoire de l’art72. Chaque base de données décrit ses objets différemment, au point où CONBAVIL n’a, par exemple, pas pu être téléversée dans l’application destinée à rassembler les ressources documentaires produites par l’INHA: AGORHA71. La spécificité, la complexité et la richesse des données de CONBAVIL nous motive à concevoir une interface de recherche qui lui serait consacrée. De plus, en tant qu’instrument de recherche spécifique pour CONBAVIL, nous pouvons éditorialiser les données, aussi dans le sens de permettre aux chercheur·se·s d’enrichir les données. Le contenu de la base de données pourrait ainsi être nettoyé73, étendu et mis à jour au fur et à mesure des contributions.

Concrétisation effective et limites du projet

Si notre vision pour l’atlas découle de moyens informatiques réels et disponibles actuellement, sa concrétisation présenterait un niveau de complexité élevé. Tout d’abord, chacun de nos prototypes figure l’ensemble de la base de données et se consulte en grand format. Les visualisations seraient probablement illisibles si elles sont limitées à un sixième de l’interface par exemple. Les interactions internes aux prototypes nous ont aussi donné du fil à retordre, et malgré le temps investi dans leur création, nous remarquons toujours et encore des bogues, par exemple dans la carte (fig. 3-17). Les délibérations des communes à l’extérieur de la France actuelle ne s’affichent pas. Nous avons une version de la carte sur laquelle cette erreur n’apparaît pas, mais la correction de ce type de bogue est si chronophage que nous avons accepté qu’il y aurait de tels bogues dans notre prototype.

Ensuite, peut-on réellement implémenter Zeus et Hermès? Notre utilisation d’Hermès dans la Carte avec les avis (fig. 3-23) révèle le nombre de cas à prendre en compte et l’immense engrenage qui serait nécessaire pour que toutes les interactions agissent sur toutes les visualisations. Avec les bonnes ressources humaines et techniques, ce serait possible, mais cela demeure néanmoins un projet complexe.

Quant à notre ambition de redonner les instruments de pouvoir à ceux·elles qui veulent l’étudier ou le contester, nous affirmons que le dispositif de l’atlas numérique permet une approche critique de la cartographie, de la statistique et des données issues d’archives gouvernementales. Si des contraintes temporelles ont restreint nos recherches sur la contre-administration74, nous répondons tout de même à l’injonction de Marcello Vitali-Rosati: « Autority must be questioned - or at least questionable » (2018 : 82). Nous établissons un cadre critique et produisons une interface actionnable pour l’interrogation des archives d’État, en retournant ses outils ─ la cartographie et la statistique ─ contre lui. Malgré cela, il subsiste des enjeux de savoir et de pouvoir dans notre atlas le numérique. Plutôt que d’essayer de tous les déjouer75, nous choisissons de nommer certaines dimensions qui peuvent s’avérer problématiques.

Il serait, par exemple, tentant de penser que l’interactivité de l’atlas déconstruit des enjeux de pouvoir dans le champ du savoir. Il ne faut toutefois pas oublier les choix effectués lors de sa production. Du point de vue du contenu, les archives sont produites par des instances dans un contexte historique déterminé, à savoir une administration française issue de la première moitié du XIXe siècle pour le Conseil des bâtiments civils. La base de données, pour sa part, est issue du travail de chercheur·se·s au tournant du XXIe siècle. Les connaissances obtenues à partir de ces données ne représentent donc pas une vérité, mais plutôt un point de vue76. En ce qui concerne l’interface de l’atlas, son élaboration se base sur diverses institutions, telles que Open Street Map pour le géoréférencement ou le thésaurus architectural de l’Inventaire général du patrimoine culturel. Ces références formatent le contenu selon des ontologies du savoir précises, des perspectives dont il n’est pas impossible de remettre la pertinence en cause. Par exemple, la toponymie contemporaine peut s’avérer problématique dans le cadre d’études historiques. Il faut donc garder à l’esprit les formes de pouvoir et d’autorité qui subsistent dans la production du savoir de notre atlas.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons encourager la réutilisation et l’appropriation de son code en le publiant sous une licence libre77. L’objectif est de faciliter les ajouts, les modifications et les contre-propositions, ainsi que la réutilisation du code pour d’autres projets. Nous savons que cela nécessite un niveau de littératie numérique encore peu répandu parmi les chercheur·se·s en histoire de l’art. Cependant, grâce à l’accessibilité et à la transparence de notre dispositif, nous invitons celles et ceux qui seraient intéressé·e·s à se former par la pratique, ou du moins à développer une compréhension plus fine du code afin de pouvoir, éventuellement, y apposer un regard critique.

Conclusion

Même à l’état de prototype, nous pensons avoir démontré le potentiel de la cartographie, de la visualisation de données et d’un atlas numérique pour transformer l’étude d’une base de données. L’interface visuelle et interactive de l’atlas offre une approche inédite du contenu des archives du Conseil des bâtiments civil et permet de renouveler la recherche en faisant usage des méthodes numériques disponibles aujourd’hui. À la manière du millefeuille topographique imaginé par Dario Gamboni, l’atlas plonge l’utilisateur dans « [des] profondeur[s] qui invite[nt] à l’excavation « (2008: 6). Il reste cependant ancré dans des préoccupations contemporaines à ses sources, afin de se distancier d’éventuels anachronismes que l’écart entre les archives du XIXe siècle et les nouvelles technologies du web appliquées à une base de données pourraient générer. S’il n’est pas toujours évident de savoir comment se servir de données dans la recherche en histoire de l’art, la cartographie et la visualisation se révèlent être des instruments précieux dans le contexte numérique.

Conclusion

Au terme de ce mémoire, nous avons parcouru un vaste territoire de recherche, partant du contexte historique, politique et administratif du début du XIXe siècle, jusqu’à la création de notre atlas avec les outils numériques du XXIe siècle, en passant par la structuration d’une des premières grandes bases de données de recherche en histoire de l’architecture, CONBAVIL. Si ces trois régions de notre sujet sont séparées par les années et par les technologies à disposition, elles sont liées et se font écho dans plusieurs de leurs préoccupations et de leurs raisonnements, notamment en ce qui a trait aux approches quantitatives.

Au début de ce mémoire, nous avons plongé dans l’organisation spatiale et au cœur du fonctionnement administratif de la France au lendemain de la Révolution. Au sein du ministère de l’Intérieur, la rationalisation des processus décisionnels s’accompagne de l’emploi de formes de savoirs scientifiques comme la cartographie et la statistique, toutes deux en pleine expansion à l’époque. Ces disciplines transforment et réduisent le territoire à un maillage de chiffres, de calculs et d’échelles. Sans nécessairement être sous l’emprise d’une bitch-goddess (Bridenbaugh 1963: 326)78, cette quantification et l’abstraction qui en relève fournissent en effet un mode de pensée qui peut donner l’illusion de tout savoir et tout contrôler.

De la carte de Cassini et des enquêtes statistiques à l’époque napoléonienne jusqu’aux visualisations de données, les formes de savoir et leur représentation visuelle restent souvent perçues comme des processus transparents produisant des faits. Miroirs scientifiques de la société qui les fabrique, l’illusion des chiffres et des cartes peut cependant être déconstruite. En nous appropriant ces dispositifs et en inversant les dynamiques de pouvoir, nous pouvons sentir la constructedness des chiffres, des données et des visualisations. Conscient·e·s de leurs biais et de leurs défauts, nous pouvons alors les employer, explorer leur fonctionnement et révéler les structures d’autorité et de pouvoir à l’œuvre.

Dans le cas du Conseil des bâtiments civils et de l’administration de l’architecture publique, nous avons conçu un Atlas Numérique de l’Architecture publique -- auquel nous donnons le surnom A.N.Archi 79 -- qui invite à l’étude de l’architecture publique et des dynamiques de l’équipement en France à la première moitié du XIXe siècle. Même à l’état embryonnaire, A.N.Archi invite à des recherches visuelles, spatiales et quantitatives et il renouvelle l’utilisation de la base de données CONBAVIL. Les visualisations présentent des perspectives inédites sur l’œuvre du Conseil des bâtiments civils. La carte situe les projets dans l’espace et permet notamment de consulter les délibérations selon leur proximité géographique. Les chronologies restituent le rythme et l’intensité des séances du Conseil, tandis que la typologie distribue les données de CONBAVIL selon la classification du Thésaurus d’art et d’architecture. La mécanique entre la carte et les avis, quant à elle, renouvelle l’analyse du rapport Paris-Province au sein du Conseil des bâtiments civils.

Pour ce faire, nous avons décortiqué les visualisations, les interfaces, les données, le dépouillement des archives et le fonctionnement tant intellectuel qu’administratif de cet organisme. L’instrument de recherche que nous avons prototypé est ainsi profondément ancré dans son sujet. Notre cas d’étude serait-il, de ce fait, trop précis pour répondre à la problématique plus large concernant l’utilisation des données dans la recherche en histoire de l’art? Notre réponse à cette question est double. D’une part, l’instrumentation de la recherche doit être adaptée à son sujet. Concevoir un instrument de recherche ou des visualisations de données sans prendre connaissance des enjeux qu’ils soulèvent présente le danger d’appliquer « aveuglément » des technologies. Nous pensons que la méthodologie doit, au moins partiellement, découler du sujet d’étude. Si cet argument suggère qu’il faut toujours des solutions « sur mesure » et que notre proposition ne répondrait, de ce fait, qu’au contexte très précis de CONBAVIL et de l’architecture publique en France à la première moitié du XIXe siècle, il ne faut cependant pas négliger le rôle des sources d’inspiration et des références employées dans le processus.

C’est pourquoi, d’autre part, la conception de notre instrument de recherche et de nos visualisations interactives va au-delà de la spécificité de notre domaine d’étude. Tout comme les projets E.A.T. Datascape (Leclerq et Girard 2013) ou Hypercities (Presner et al. 2014) ont inspiré notre atlas, notre proposition d’atlas numérique peut contribuer à la recherche à plusieurs échelles. En premier lieu, il peut véritablement être réalisé pour la base de données CONBAVIL, dont les nombreux·ses utilisateur·rice·s - chercheur·se·s pourraient bénéficier. Ensuite, le travail de mise en lien et d’interrelation de contenus peut être employé pour révéler les phénomènes et dynamiques contenues dans d’autres archives sérielles. Particulièrement pour celles issues d’une administration, leur contexte de production politique et gouvernemental laisse supposer qu’elles soient pourvues de caractéristiques sous-jacentes similaires. Finalement, dans le contexte de la recherche à l’ère du numérique où les « données » se multiplient et se diversifient exponentiellement, nous contribuons, par une réflexion théorique et par une approche pratique, à la conception de visualisations interactives et à la création d’un instrument de recherche.

L’épistémologie visuelle intrinsèque à la discipline de l’histoire de l’art (au sens large) peut ainsi être déployée dans l’espace numérique. L’éditorialisation, quant à elle, donne de nouvelles formes à la recherche. Elle favorise par la découverte, l’exploration, les annotations et les recherches subséquentes avec les données. Leur union en un atlas numérique produit des affordances pour la recherche en histoire de l’art dont notre proposition ne fait qu’annoncer le potentiel.

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Notes


1 Ce travail est pionnier dans l’effort de documentation systématique conduit pour la production de l’inventaire. Il ne s’agit toutefois pas d’un projet informatique, mais d’un volume imprimé.
2 CONBAVIL (2009) [Base de données en ligne], Paris : INHA, https://www.inha.fr/fr/ressources/outils-documentaires/conseil-des-batiments-civils-conbavil.html. Consulté le 3 décembre 2017
3 Sous-série F21* des Archives nationales (F21* 2470 à F21 * 2536, soit les années 1795 à 1840).
4 En employant un logiciel de reconnaissance de caractère par exemple.
5 Accès direct au formulaire : https://www.inha.fr/conbavil/recherche.php
6 Nous pensons ici à la consultation du contenu grâce à des critères de recherche.
7 Sans chercher à remplacer la première pour autant.
8 À quelques jours du dépôt de ce mémoire, nous avons découvert une nouvelle dimension du projet Rethinking Guernica, qui présente une visualisation interactive nommée « (Im)possible counter-archives ». Il aurait été pertinent d’inclure leur définition des « contre-archives » dans ce travail.
9 La puissance de la sérendipité dans Wikipédia se révèle lorsqu’on parcourt son contenu. On peut commencer sur une page à propos des langues gaéliques, puis se retrouver, en 5 clics, à consulter une entrée sur les grottes de Mogao, des chapelles bouddhistes aux riches décors peints et sculptés dont les origines remontent au IVe siècle. Les hyperliens nous emmènent dans des directions si diverses que nous parvenons à peine à nous les imaginer.
10 Cela reste relatif, notamment dû à l’exclusion encore quasi complète des femmes de la société civile.
11 Exemples identifiés à l’aide de la chronologie numérique Milestones in the History of Thematic Cartography, Statistical Graphics, and Data Viszalization, une chronologie illustrée des innovations de Friendly et Denis (Friendly et Denis 2001)
12 La somme varia à travers le temps. Par exemple, pour les travaux n’excédant pas 2000 francs, la circulaire du 12 septembre 1812 supprima la formalité de l’examen par le Conseil des bâtiments civils (Moullier 2004: 67).
13 La nouveauté de la statistique d’État causa de multiples suppression, réinstaurations, et transformations de son nom et de son fonctionnement.
14 Le Centre André-Chastel est un centre de recherche en histoire de l’art (Unité Mixte de Recherche 8150) sous la tutelle du Centre National de Recherche Scientifique, de Sorbonne Université et du ministère de la Culture
15 Cela a été effectué, probablement au cours des années 1990, mais nous n’avons pas trouvé la date exacte.
16 Dans le cas des archives du Conseil des bâtiments civils, conservées aux archives nationales de France, nous avons par exemple le répertoire des cotes F/21/2470-F/21/2588. Ce dernier contient la description formelle des documents : pour chaque registre sont indiqués l’intervalle de dates des séances concernées, le nombre d’affaires administratives contenues, et l’éventuelle présence d’une table des matières. Ce répertoire a été mis à jour par Brigitte Labat-Poussin et Werner Szambien à l’occasion du dépouillement dont il est question dans ce chapitre.
17 On peut comparer cela à l’index d’un livre : en faisant confiance à la qualité de l’index, on pourrait en tirer certaines conclusions. Par exemple, l’auteur fait 23 fois référence à ce lieu, c’est un lieu important dans l’ouvrage. Toutefois, la validité et la pertinence de cette méthode d’analyse doivent être défendues afin d’éviter les évidences et les conclusions précoces. (Moretti 2008, Rockwell et Sinclair 2016);
18 La série de procès-verbaux se poursuit, mais 1840 a été choisie comme date butoir, car la qualité des procès-verbaux diminue à ce moment, notamment dû à la réduction du format des volumes ainsi qu’à la piètre qualité de l’écriture (Boudon 2009 : 9)
19 Car nous avons la reproduction numérisée de cette entrée.
20 Parce que c’était plus simple d’utilisation et plus commun (?) à l’époque
21 La redondance est un terme utilisé dans le langage des bases de données pour parler des répétitions, lorsque l’information est enregistrée en double ou plus. C’est un principe d’éviter les redondances pour faciliter la gestion des données.
22 Les affaires étaient d’abord analysées à l’aide d’un document manuscrit, pour ensuite être saisies dans la machine. Ce système de double vérification devait également rendre la saisie plus confortable, les ordinateurs et leurs interfaces étant moins confortables et familiers à l’époque.
24 La base de données passées sous FileMaker lors de la reprise du projet a été convertie vers MySQL par les soins de la cellule d’ingénierie documentaire de l’INHA. L’interface publique est un formulaire PHP MySQL assez classique. Il n’a pas alors été possible de verser Conbavil dans la base collective de l’INHA Agorah en raison du caractère spécifique de son modèle de données ce qui explique cette situation atypique dans le contexte de l’établissement.
26 À moins d’avoir un ordinateur personnel équipé du logiciel et d’une copie autorisée de la base.
27 L’alignement, en informatique, signifie une comparaison de deux versions d’un contenu. L’un est considéré « plus avancé » que l’autre, et l’alignement permet d’identifier les différences ainsi que la mise à jour du contenu neuf ou modifié.
28 Traduction libre du terme anglais couramment utilisé en informatique « master ».
29 Le retour à la ligne est une recommandation, mais il n’est pas obligatoire.
30 Avertissement : n’ayant pas accès à la base de données dans son format original, les proposition suivantes sont des exemples basés sur la documentation que nous avons réunie et inspirés par la requête à effectuer.
31 Pour écrire une requête, on prend souvent la question à reculons, car la façon dont on tend à les formuler en français continent souvent les informations détaillées à la fin. On commence donc avec l’intervalle de temps et le département, puis on s’attaque aux questions de l’auteur, pour finalement décrire la forme sous laquelle on veut obtenir le résultat.
33 Le problème semble être causé par le trop grand nombre de pages, car, pour une recherche qui comporte par exemple six pages de résultats, le bas de la page énumère les pages de résultats, cliquables pour leur consultation.
34 Il y a également un « Boisson-Quincy » dans la base, mais sa seule mention est dans les Yvelines (conbavil26321), ça ne fausse pas cette requête. Toutefois, pour savoir cela, nous avons fait recherche plein texte dans le fichier de données. C’est difficile à vérifier pour un·e utilisateur·rice qui n’a que l’interface.
35 C’était relativement inconsistant lors de nos essais.
36 À ne pas confondre avec des données liées, une technologie beaucoup plus récente.
37 Nous faisons ici référence à la notion distant reading, Franco Moretti (2013)
38 Nous avons mis « simple » entre guillemets, car si le fond reste quasi identique via reproduction photographie haute résolution, la forme matérielle change. Cela implique la question de la classification, comment stocker et référencer ces archives numérisées.
39 C.f. la création de la grille et l’entrée des données, la partie 2.1.1 de ce mémoire
40 Projet prévu par Emmanuel Château-Dutier et les Archives Nationales de France.
41 http://eat_datascape.medialab.sciences-po.fr/
43 Au-delà des potentielles erreurs de transcription, il pourrait y avoir des irrégularités dans la conversion du calendrier républicain par exemple.
44 Le fonctionnement des matrices ainsi que les versions informatisées qui ont été créées depuis sont notamment présentées dans l’article de Perin et al. (2018)
45 Créée en 1976, la Rencontre des historiens du Limousin est une expérience originale de collaboration entre historien·ne·s. Sous la direction de Louis Pérouas, ces chercheur·se·s ont procédé au dépouillement de milliers d’archives afin de mener une étude sur la prénomination dans la région pendant près d’un millénaire (Pérouas 1984).
46 Le millefeuille comme analogie des multiples couches temporelles dans une représentation topographique est une analogie imaginée par Dario Gamboni dans son article Mille fleurs ou millefeuille? Pour un inventaire à n dimensions (Gamboni 2008)
47 Pour apprendre à utiliser un SIG ainsi que pour approfondir nos connaissances en cartographie numérique, nous avons participé à l’école d’été d’internationale du GRHS et du PIREH: « Méthodes et outils numériques : la cartographie informatique en histoire », organisée du 25 au 29 juin 2018 par P. Bastien, B. Deruelle, S. Lamassé, L. Robichaud, UQAM, Université de Sherbrooke et Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
48 Le nom, D3, vient des 3 « D » de Data-Driven Documents.
49 Le fond de carte provient de l’école d’été « Méthodes et outils numériques : la cartographie informatique en histoire », 2018 à l’UQAM (GRHS - PIREH), à laquelle nous avons participé.
50 Nous avons utilisé un fichier de données mis en ligne par Grégoire David en 2018. Ce dernier partage, au format GeoJSON, les cartes des régions, départements, arrondissements, cantons et communes de France à partir des données publiées par l’IGN et l’INSEE.
51 Le centroïde est le centre géométrique d’une surface. Il est calculé mathématiquement et est fréquemment employé en cartographie, pour inscrire le nom des zones géographiques par exemple.
52 Avec l’aide, toujours et encore, de l’excellent Arnaud Pichon.
53 L’affichage du contenu textuel de la base de données est encore limité dans l’interface, mais il est disponible, pour le moment, dans la console du navigateur.
54 Si près de 5000 fiches dans CONBAVIL disposent d’une adresse, elle ne permet pas nécessairement de les géolocaliser.
55 La documentation de D3.js présente clairement les différents types de courbes et leurs biais respectifs.
56 Puisque la base de données Conbavil a été créée en s’appuyant sur une version antérieure du thésaurus (Thésaurus de l’architecture, 2000), des ajustements mineurs ont dû être effectués
57 Nous employons le terme paraphrase puisqu’il ne s’agit pas des données complètes et puisque nous avons remanié les contenus pour faciliter leur lecture.
58 Pour comprendre l’effet de l’interactivité, il reste largement préférable d’explorer soi-même la visualisation, disponible à l’adresse suivante: https://www.public.archi/atlas-2021/viz/BoudonSzambien/index.html#q5
59 En réalité, lorsqu’il y a très peu de délibérations, il est relativement aisé de simplement parcourir les délibérations pour connaître l’avis du conseil pour chacune d’entre elles. De plus, retirer cette clause reste possible techniquement parlant, ajuster ce détail n’a pas été une priorité dans le développement.
60 Un travail simple et rapide grâce à l’utilisation de l’outil suivant: https://percentagecalculator.net/.
61 Ce sont les trois communes avec le plus de délibérations dans CONBAVIL après Paris.
62 En ce qui concerne les atlas numériques produits par des artistes, nous référons nos lecteur·rice·s à l’article d’Enrico Marchese et Chistelle Proulx, « Cartographier les internets » (2020).
63 L’atlas ne peut pas prendre forme sans les données ou le code que nous utilisons. Si toute recherche et tout savoir sont les produits de ceux qui les précèdent, l’intensité et la multiplicité des contributions sont démultipliées dans l’espace numérique.
64 Soulignons toutefois que, malgré l’apport des outils numériques, notre travail n’aurait pu être effectué sans les contributions de nombreux·ses chercheur·e·s, informaticien·e·s et spécialistes, notamment : Emmanuel Château-Dutier, Stéfan Sinclair, Paul Girard, toute l’équipe du MédiaLab SciencesPo, ainsi que les nombreux auteurs des bibliothèques de code, dont Mike Bostock pour la bibliothèque D3.js.
65 Cela s’applique principalement à l’édition web du mémoire. Pour la version « papier », nous avons choisi de produire un volume d’illustration séparé, pour que le·a lecteur·rice puisse organiser sa lecture de façon à avoir le texte et les illustrations sous les yeux. Cette alternative s’avère nécessaire puisqu’il faut déposer une version imprimée du mémoire. Somme toute, écrire dans cet environnement inhabituel et effectuer le travail éditorial supplémentaire requis pour cette double édition nous a donc paru nécessaire malgré les défis que cela représentait.
66 Nous relevons présentement ce défi avec l’équipe de la revue Captures, dans lequel nous avons publié un article, partiellement issu de ce chapitre de notre mémoire (Krause 2020). L’intégration des iframes est prévue au printemps 2021, à l’issue d’une longue année d’expérimentation autour des enjeux que comportent ce nouveau format: http://revuecaptures.org/article-dune-publication/constellations-de-donn%C3%A9es-historiques.
67 Le terme « Data paper » est parfois employé pour décrire de tels articles, comme dans l’appel à communication pour la conférence DHNord2021: https://www.meshs.fr/page/dhnord2021-aac...dhnord2021.---3. Cette conférence pourra certainement éclaircir le sens et les formes des data papers dans la recherche en sciences humaines et sociales.
68 Nous l’utilisons pour la carte des avis du Conseil (et nous l’avons vraiment appelé ’hermes’ dans le code): https://www.npmjs.com/package/eventemitter3
69 Si les visualisations sont constamment aux aguets concernant l’action de l’utilisateur, c’est-à-dire qu’elles réagissent de façon immédiate à leur survol par la souris par exemple, elles ont besoin de ce petit « coup de pouce » de la part d’Hermès quand il s’agit de s’actualiser par rapport aux données qui la composent (Zeus).
70 Nous avons le projet de coder un algorithme qui choisirait des variables dans l’atlas pour créer un sous-ensemble aléatoire de données. En sélectionnant l’option « constellation aléatoire », l’utilisateur trouverait ainsi un point d’entrée arbitraire à partir duquel commencer son exploration du contenu.
72 Non seulement Voyant accepte un simple copier-coller d’un texte, mais, en plus, dans le domaine de la littérature, les normes d’encodage sont beaucoup plus communes, comme l’utilisation de la Text Encoding Initiative: XML-TEI par exemple (https://tei-c.org/).
73 Le nettoyage de données consiste en leur normalisation, comme nous l’avons fait pour systématiser l’incertitude quant à l’attribution de la typologie et des communes par exemple
74 Nous avons par exemple commencé une recherche sur les prisons, dont l’interface garde une trace notamment dans la carte, avec le bouton « que les prisons ».
75 Un véritable travail de Sisyphe.
76 L’étude du même sujet peut se faire suivant d’autres approches : sociologique, à travers l’impact de cette architecture sur la population; ou urbanistique, à propos de l’organisation et la planification du développement des villes (Lepetit, 1990), par exemple.
77 Le code est disponible sur la plateforme Github, sous la licence GNU GPL, et l’atlas est accessible à partir du lien suivant.
78 Nous sommes abasourdie de l’emploi d’un terme aussi dénigrant, employé envers l’ensemble des sciences sociales, mais qui, en plus, calomnie les femmes dans la lancée. Ce choix de mot provient du président, en 1962, de l’Association des historiens américains (AHA). Son adresse présidentielle, prononcée lors de la conférence annuelle de l’association, a ensuite été publiée dans le journal American Historical Review. Il semble considérer l’usage d’un tel langage son « devoir [..] au bénéfice de la postérité » (Bridenbaugh 1963: 1). En réponse, nous choisissons de nous approprier et de détourner ces paroles, et ainsi procéder à leur profanation.
79 Petit clin d’œil aux joyeux aléas des abréviations, en référence à « CONBAVIL » pour CONseil des BÂtiments civILs.